Le premier coup de semonce de la part de Klein date d'y a deux ans environ, dans un journal américain (The Nation). Elle y disait déjà que la sauvegarde de la planète ne pouvait passer que par "la pulvérisation de l’idéologie du marché libre, laquelle a dominé l’économie depuis plus de trois décennies". Position déjà pas banale.
Mais là elle va plus loin. Dans un entretien publié par Earth Island Journal, elle souligne à quel point les grandes ONG environnementalistes ("big greens") se sont laissées bouffer par l'idéologie capitaliste, au point d'en devenir des portes paroles contre-productives pour l'environnement.
Elle dit : « Le mouvement écologiste fait preuve d’un déni profond quand il s’agit des« Big Greens »,« les principales organisations environnementales. Selon moi, celles-ci ont fait plus de dégâts que les négationnistes climatiques de droite. Si on a perdu tellement de temps, c’est bien à cause d’elles, qui nous ont tous entraînés dans une direction débouchant sur des résultats déplorables.
Si on examine ce qui s’est passé sous l’égide du protocole de Kyoto dans la dernière décennie– les mécanismes de l’ONU, ceux mis en place par l’Union européenne - , on voit combien tout cela a été désastreux. (…)
La droite avait combattu les échanges de permis d’émission en prétendant qu’ils allaient nous mener à la faillite, qu’on distribuait des aumônes aux grandes compagnies, et qu’en plus ça n’allait pas marcher. La droite avait raison ! Non pas pour la faillite de l’économie, mais pour le fait qu’il s’agissait de cadeaux énormes consentis aux grandes sociétés. Elle avait raison aussi de prévoir que ces mécanismes ne nous rapprochaient pas de ce que souhaitaient les scientifiques, à savoir baisser les émissions. Alors, pourquoi les groupes verts se sont-ils obstinés dans cette voie ? »
Limpide non ? Elle démontre une fois de plus une entourloupe. Et elle le fait avec brio.
Mais elle va plus loin, en parlant de décroissance sans détour : "le niveau de réduction des émissions dont nous avons besoin dans les pays développés est incompatible avec la croissance économique".
Ainsi, elle fait un point sur l'histoire. La force des mouvements environnementalistes dans les années 70 et la rupture qui suivi l'élection de Reagan. Elle explique que plutôt que de résister à la politique reaganienne anti-écologique, les ONG et autres environnementalistes ont choisi de s'allier et de collaborer avec les grandes entreprises. Et donc de nier l'aspect néfaste du capitalisme. C'est par l'exemple de Fred Krupp, directeur d’Environmental Defense Fund, qu'elle introduit cela. Et ça fait froid dans le dos !
Selon elle : « pour les environnementalistes, il s’agissait d’établir des alliances avec les entreprises. Ils n’étaient pas sur la ligne :« Attaquons ces salauds ! », mais sur la ligne : « Oeuvrons ensemble, les salauds et nous ! » Cela revient à désigner les corporations comme acteurs volontaires de la solution. ».
S'en suit une analyse lucide : « Nous avons globalisé un modèle économique insoutenable d’hyperconsommation. Il se répand dans le monde avec succès, et il nous tue. (…) Les groupes environnementalistes n’ont pas été les spectateurs de ce phénomène, ils en ont été les partenaires. Ils voulaient en faire partie. »
Ça fait mal. Mais c'est pourtant la stricte vérité. L'exemple de l'ALENA (accord de libre échange entre les USA, le Canada et le Mexique) défendu par les ONG environnementale alors qu'il prévoyait une baisse des contraintes liées à l'environnement est frappant.
Elle précise sa vision : « Je ne dis pas que tous les groupes ont été complices : ni Greenpeace, ni les Amis de la terre, ni, globalement, le Sierra Club. Et ni 350.org, qui n’existait pas encore. Mais cela remonte aux racines du mouvement. (…)
Ces élites historiques avaient décidé de sauver la nature, elles étaient respectées pour cela. Si donc le mouvement environnementaliste avait décidé de les combattre, leurs élites auraient risqué perdre leur aura, et personne n’était vraiment prêt à assumer cela. Je pense que cette situation est largement à l’origine du niveau actuel des émissions de gaz à effet de serre. (…)
La stratégie du soi-disant win-win (gagnant-gagnant) a lamentablement échoué. C’était l’idée générale des échanges de permis d’émission. Les groupes verts ne sont pas aussi malins qu’ils ne le croient. Ils ont joué à trop grande échelle. Nombre de leurs partenaires avaient un pied dans le Climate Action Partnership, et un autre à la Chambre de commerce. »
Elle souligne ensuite que l'Europe semble aller dans le bon sens en partie, avec des associations qui se liguent contre le marché carbone. Elle affirme : « C’est le genre de choses que nous devons faire maintenant. Nous n’avons plus le temps de perdre du temps. »
Elle rejoins donc en grande partie les thèses de Fabrice Niccolino dans son livre "Qui a tué l'écologie ?" (et chroniqué par moi ici.)
Bien entendu, elle est attaquée de toute part par les défenseurs des ces ONG et autres. Qui emploient des arguments aussi fallacieux que leurs "opposants". Par exemple ils parlent de la baisse des émission de CO2 en Europe... Sans tenir compte des délocalisations !
Naomi Klein leur répond d'ailleurs ICI. Et promet un livre sur le sujet en 2014.
Encore une fois on soulignera l'importance de Naomi Klein dans le paysage de la réflexion globale pour sortir de ce système. Elle apporte cette touche de poil à gratter et de théorie fort appréciable.
En tout cas, je partage son point de vue. Et je me dis : sans sortie du capitalisme, point de salut pour l'humanité.