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[note de lecture] Dorothée Volut, "A la surface", par Anne Malaprade

Par Florence Trocmé

VolutLa quatrième de couverture file la métaphore : « matrice », « libérer une matière », « gestation », « passage vers l’extérieur », « premier corps d’écriture ». Ce livre est celui d’une parturiente qui accouche d’une matière verbale progressivement grossie et portée dans l’ombre, si ce n’est cachée. Déni de grossesse, déni d’écriture ? Certes non. Et pourtant il y a quelque chose d’un secret dérobé, d’une pratique clandestine, conduite jour après jour, années après années, que cette publication délivre justement. La surface est peut-être cette page qui retient, capte et dispose certains fragments d’écriture qui, jusque-là solitaires, vont certainement trouver leurs lecteurs et parents adoptifs : des yeux attentifs pour lesquels se recomposer, s’affirmer, se distinguer. 
En ce temps-là, donc, l’écriture était jeune sans innocence, et la vie n’avait pas encore trouvé son visage. La petite fille aux allumettes brûlait intégralement son présent : « Debout au milieu de la véranda j’écoutais en silence le crépitement de la neige. Je grappillais des boules en regardant mes doigts. Quelques allumettes flambaient. Seule dans ma chambre froide, je confectionnais des poèmes indestructibles que j’offrais en guise de couronnes mortuaires. » 
Douze textes écrits entre 2003 et 2009 sont regroupés : des stations, des arrêts sur image, douze « Voix » qui, accompagnées d’un lieu et d’une date, dessinent le parcours d’un timbre, la tentative d’une restitution, le désir d’une apparition. Blocs de prose, fragments, vers, esquisses de récits, brouillons sauvés de la poubelle aux papiers racontent l’expérience qui conduit l’enfant à trouver sa parole au sein d’un cadre toujours prédéfini, que ce soit par les parents, l’école, la littérature, l’Histoire, autant d’institutions qui font tenir droit un corps-esprit dont il faudrait pouvoir cependant préserver la souplesse et la vivacité, la lenteur comme la précipitation. On ne parle jamais en liberté, on n’est jamais entièrement dégagé pour parler. C’est à partir de la nécessité et de la loi, de la rigueur et de la grammaire que le sujet met au point sa syntaxe et son rythme, et pratique sa vérité — ­ou, dit autrement, façonne sa liberté pratique : « Détacher des mots de temps en temps, le temps que les lettres reviennent. Ne plus se soucier des compléments d’objets. N’espérer que des verbes intransitifs, des actions solitaires. Des verbes intransigeants, indépendants et irréguliers, tenus fragiles au bord de la phrase. Des verbes avec du blanc après, le grand blanc qui recouvrait chaque année le pays tout entier, celui où l’on vivait bien malgré nous ». Une vérité à entendre comme authenticité : non pas coller à un modèle, ni retrouver un schéma ordonné. Non pas dévoiler ou dé-couvrir : mais plutôt briser, casser, rompre ce que l’on a lu, aimé, appris, admiré ou entendu. Chercher sa phrase dans la coupure des mots, entre les syllabes, sur la respiration de chaque silence. Multiplier les pauses, creuser le vide. Observer les pièces du puzzle, accepter d’en égarer quelques-unes et de livrer un paysage incertain. Écouter. Renoncer. Tenter, expérimenter. Jeter, garder, isoler. Petit à petit donc, depuis l’intérieur, quelque chose se dépasse et se dépose à la surface (vers la main, la bouche sous la lumière) : quelques lettres assemblées, tout un monde qui ne pèse rien, et cependant dit la gravité d’une pensée. La forme d’un songe, la conduite d’un rêve, ou le transport d’un cauchemar : « je est survenu d’avant connaître qu’il n’a rien pris de la nudité à l’extérieur de soi ». C’est déjà l’aube, et les mondes intérieurs comme extérieurs offrent une nudité que l’écriture peut accompagner de tout le trouble des nuances, du vague et de l’obsession, de l’excès et de l’attention. Chance et incertitude, certitude et malchance : un cadre pour que la vie renoue avec le vif du sujet.  
En ce temps-ci, l’écriture travaille le visage de la durée, le temps d’une surface, ce reflet des possibles. 
[Anne Malaprade] 
 
Dorothée Volut, A la surface, Eric Pesty éditeur, 2013, 94 p., 13 euros. 


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