Au début de ce mois de septembre est décédé, à l'âge de quatre-vingt sept ans, le sculpteur Michel Guino. Sa mort n’a pas suscité beaucoup d’évocations dans la presse. C’est pourtant un des derniers sinon le dernier sculpteur de la génération des « récupérateurs » qui disparaît.
Le temps des "récupérateurs"
De la même promotion que César, Albert Féraud ou Philippe Hiquily à l’école nationale des Beaux-arts de Paris, Michel Guino a fait partie de ces premiers sculpteurs à recourir aux rebuts pour faire œuvre. Ces artistes récupérateurs, à défaut de marbre ou de bronze trop cher pour leurs carrières débutantes, utilisèrent un peu tout ce qui leur tombait sous la main : ferrailles, déchets divers, vieux ustensiles. Ces jeunes turbulents troquent alors le burin pour le fer à souder. Certes, le recours aux matériaux de récupération s’est développé depuis mais, à l’époque des Arman, César, Féraud et Guino, la rupture avec l’utilisation attendue des matériaux nobles opérait un choc violent.
"Impatience II " 1983 Michel Guino
Richard Guino et Renoir
Le père de Michel Guino, Richard Guino, connut une étonnante expérience avec le peintre Auguste Renoir. Cette collaboration entre le jeune sculpteur et le vieux peintre dura jusqu’en 1918, à Essoyes puis aux Collettes, à Cagnes-sur-Mer. Elle aboutit à la création d’un ensemble de pièces: la « Petite Vénus », la « Vénus Victrix », le « Jugement de Pâris », la « Grande Laveuse ». Renoir meurt en 1919, les sculptures sont exploitées sous le seul nom du peintre.
Pendant plusieurs années, Michel Guino a consacré son temps à la divulgation de cette histoire familiale que constitue la collaboration de son père avec le peintre Renoir.
Un art inquiet
Puis il lui fallut tracer sa propre voie dans l’univers contemporain de la société industrielle.
Dans les années soixante dix, au plateau d’Assy dans les Alpes, je revois son « Homme qui marche » dont la silhouette inquiétante se découpait sur ce décor montagneux lors de la manifestation "Sculptures en montagne" créée par Jean-Pierre Lemesle.
"L'homme qui marche" 1973 Michel Guino
Dans sa propriété du Loiret où je lui rendais visite il y a déjà quelques années, un demi-siècle de production artistique habitait le lieu. S’il n’était pas vraiment étonnant de trouver de nombreuses sculptures, petites et grandes amoncelées dans les remises, la plus grande surprise se trouvait ailleurs : çà et là, dans les herbes hautes de la propriété, Michel Guino, redécouvrait, comme un archéologue, des œuvres presque abandonnées, qu’il fallait arracher à la végétation. Ici une monumentale hélice d’avion, là quelques obus éclatés en attente d'une destination artistique. Plus récemment, le sculpteur avait rendu un hommage au monde paysan oublié avec une sculpture imposante composée d'une demi-douzaine de socs de charrues abandonnés. Cette redécouverte par l’artiste de ces pièces prenait une dimension étrange ; comme l’arroseur arrosé, Michel Guino récupérait ses récupérations. Avec le recul, l'artiste soulignait combien le recours à ces objets de récupération offrait au sculpteur bien plus qu'un matériau. Il le chargeait d'une histoire, d'un vécu parfois douloureux. "La sculpture est peut-être l'art le plus inquiet" pensait-il.
A l'image de son "Homme qui marche" sans tête, Michel Guino a poursuivi tout au long de son itinéraire cette interrogation sur l'art en avançant d'un pas inquiet sur ce chemin inconnu.