Le projet "W" couvait depuis plus d'un an, nous promettant une nouvelle ère des paiements électroniques, orchestrée par 3 des plus grandes banques françaises (BNP Paribas, La Banque Postale, Société Générale)… Ce matin, ses géniteurs l'ont (enfin) présenté [PDF], sous son nouveau nom de baptême : Paylib.
Grosse surprise de l'annonce : on attendait un porte-monnaie virtuel (de préférence mobile) et on n'aura finalement qu'une solution de paiement en ligne, qui viendra ainsi s'ajouter aux habituelles options de règlement par carte, PayPal et autres des sites de m-commerce et e-commerce. Sur ce plan, les promesses qui accompagnent le produit sont classiques : sécurité pour les consommateurs et les marchands, fluidité du parcours client et intégration facile.
En pratique, les futurs utilisateurs ne seront probablement pas trop perturbés par la nouveauté : au moment de payer leurs achats, ils choisiront l'option Paylib, se connecteront au service (avec leur adresse de messagerie et un mot de passe), vérifieront les détails de la transaction et enregistreront leur confirmation avec un code secret à 6 chiffres. Au préalable, ils auront du créer leur compte, sur l'espace en ligne ou l'application mobile de leur banque, grâce à une procédure très rapide.
Point trop de changements non plus pour les commerçants. Tout d'abord, il leur est assuré que la mise en œuvre technique sera simple. En ce qui concerne les flux financiers, ils seront traités exactement comme pour les règlements par carte actuels. Pour tenter de les séduire, une garantie de paiement (dont il faudra cependant étudier les détails lorsqu'ils seront disponibles) et une tarification qualifiée de "compétitive" sont les principaux arguments mis en avant.
A ce stade, il est indiqué que 8 "gros" sites marchands français ont prévu de proposer Paylib, d'ici le milieu de l'année prochaine. Parmi ces précurseurs, figurent La Poste (évidemment), Voyages SNCF, Price Minister… La projection de couverture du web français est encore limitée mais l'ambition est d'atteindre une grande partie des 23 millions de clients que cumulent les 3 banques à l'origine du projet. Les premiers inscrits (à partir de la semaine prochaine) n'auront malgré tout pas souvent l'occasion d'utiliser leur compte, initialement…
Que penser de cette initiative ? En premier lieu, il faut totalement oublier l'idée qu'il s'agisse d'innovation. Si la description du parcours client vous donne l'impression de revenir 12 ans en arrière, aux tous débuts de PayPal (sans les échanges d'argent entre particuliers, toutefois), vous comprenez maintenant le titre de ce billet ! Alors, il reste tout au plus une série d'arguments autour de la sécurité, considérée comme le pré carré de la banque, pour justifier Paylib.
Pourtant, même dans ce domaine, certains choix soulèvent l'étonnement. Ainsi, après avoir cherché à convaincre commerçants et consommateurs de l'importance d'adopter 3D-Secure pour ajouter un deuxième facteur d'authentification aux transactions, le paiement avec Paylib ne repose plus que sur un mot de passe et un code PIN, méthodes tellement décriées actuellement ! Et voilà deux secrets de plus à retenir (ou à noter sur un post-it, caché sous le clavier)…
Même réaction vis-à-vis de la technique dite "innovante" de sécurisation des achats sur mobile. Celle-ci consiste à vérifier que le téléphone exécutant l'opération est le même que celui qui a servi à la création du compte. Cela peut certes être un moyen de contrôle supplémentaire utile mais pourquoi n'est-il pas généralisé aujourd'hui en France (il l'est ailleurs, par exemple en Turquie) ? A priori, parce que la gestion administrative est un casse-tête coûteux, dont il est difficile de croire qu'il a été résolu ici.
Par ailleurs, il est impossible de ne pas revenir sur les promesses non tenues. Un parcours client plus fluide ? Alors qu'il faut quitter le site marchand, passer par une identification sur le compte Paylib, puis valider la transaction par un code secret ? Une conception pensée pour un usage sur mobile ? Parce que la saisie du numéro de carte est remplacée par l'adresse mail ? Et que dire des lacunes béantes ? Pas d'intégration du paiement dans les applications ("in-app", prévue pour plus tard…). Et même pas une petite fonction d'échange d'argent entre particuliers !
Un an (18 mois, selon certaines sources) pour accoucher d'un tel souriceau, il y a de quoi rester perplexe ! Ce ne sont pourtant pas les bonnes idées qui manquent dans le domaine des paiements (Kaching, PingIt, ou même, en France, Kwixo, S-Money…) et qui mériteraient bien un projet interbancaire. En l'état, j'imagine que les responsables de PayPal (et de quelques startups) vont dormir sur leurs deux oreilles ce soir et, demain, continuer à mener la charge de l'innovation tambour battant. Mesdames et messieurs, les banques vous laissent le champ libre !