On connaît la mesure de la poésie
de Stéphanie Ferrat : elle pratique un art de la concision et de la
densité. Chaque poème est aussi bien « caillot » que caillou cerné de
silence. Formellement, on pourrait penser au haïku pour la brièveté, mais
autant le poème japonais est clos sur son instant, même s’il le dilate aux
dimensions d’une expérience du monde, autant le poème de Stéphanie Ferrat
apparaît toujours comme une bribe, un fragment. Il ne se replie pas sur
lui-même, il est comme extrait d’une masse non dite dont il indique le poids,
mais pas la nature. La force tient à la contraction du poème sur ce qui peut se
dire par rapport à tout ce qui reste tu. « à la terre rendue/la présence
diluée//tête retrouvée/sauf le creusement » (p.20).
Au fond, il y a dans cette poésie un refus égal de l’épanchement lyrique et de
la fulgurance type Char. Poèmes comme éclats sans éclat, sans effets sonores
appuyés non plus. On verrait plutôt une sorte de mobile composé de petits
éléments de sens ébréché que le lecteur fait bouger au fil des pages. On saisit
qu’il y a une séparation et une reconstruction lente : « le reste est
ce qu’il peut » (p.37), « il a fallu//marcher perdre//pour que tout
arrive » (p.42), « travailler// à tout survivre » (p.64)
Mais il n’est pas possible à partir des poèmes, qui sont pourtant des jalons,
de reconstituer un récit, une « histoire ». Il n’y a d’ailleurs pas
de « je » dans ce livre, seulement de l’impersonnel, et parfois le « on ».
Sauf dans un seul des tout derniers poèmes, peut-être la clé du livre :
« j’avance//parole transparente//une enfance/plus bas/m’a
laissée/opaque » (p.75). Le mouvement final est bien celui d’une
libération fragile, comme en témoigne aussi le dernier poème :
« toujours à ouvrir//la main//sera » (p.78)
Signalons aussi la publication chez Propos2éditions d’un beau petit livre où
les poèmes de Stéphanie Ferrat accompagnent des photos en noir et blanc de
Magali Ballet.
[Antoine Emaz]
Stéphanie Ferrat, Caillot, Editions
La lettre volée, 80 pages – 15€