Évidemment, comme les épicières qui tricotent sur la place de Grève, j'aime bien assister aux enterrements, par curiosité malsaine, et j'adore ralentir sur l'autoroute lorsque je croise un accident – pour résumer, je me rends régulièrement sur le site de Mediapart. Et on ne sait jamais, un miracle est si vite arrivé.
Aujourd'hui, ceci : Un papier interview vidéo d'Antoine Perraud, autour du dernier roman de Stéphane Osmont, L'idéologie. Je ne dirais rien sur le livre, je ne l'ai pas lu, si jamais je le fais, peut-être, mais là, je vais me contenter de l'article.
La partie écrite joue à fond le registre du « mais que veut nous dire au fond cet auteur ? Ce qu'il met dans la bouche et la tête de son personnage, le pense-t-il vraiment, en vrai ? Retour tout de suite, avec le principal intéressé... » et n'aurait absolument aucun intérêt si on n'y décelait la doxa Mediapart dans ces lignes :
Crachant sur les journalistes citoyens et autre « peuple reporter », Evariste Kolawski [personnage d'Osmont, ndlr] pollue de son cynisme envahissant le cyberespace en concrétisant à sa façon le dogme du Web coopératif : « Les connaissances d'une communauté interactive contiennent davantage de vérité que les certitudes d'un expert. Mort aux journalistes, aux clercs, aux élites en général. Vive les anonymes, les novices et pourquoi pas les cancres s'ils se soumettent au débat collectif. » Cette façon de pervertir la transparence démocratique au gré des frétillements d'un site fangeux [référence au site du personnage dans le roman, ndlr] ne pouvait qu'interpeller, aux antipodes : Mediapart !
Evidemment, dire de telles choses, c'est forcément cynique quand on a comme intention de faire croire au peuple que des individus qui ont échoué dans la presse « traditionnelle » (voir à ce sujet cet excellent article – et drôle, cela ne gâche rien) pourront se refaire une virginité sur Internet, même si elles n'y connaissent rien, qu'elles découvrent la chose comme une poule découvrirait un couteau (oui, je me répète) et qui n'ont donc qu'une intention : y faire leur nid. Mediapart, évidemment, les anonymes [dont on ne connaît pas le nom, ndlr], les novices [qui n'ont pas été adoubés par les bonnes personnes, ndlr], les cancres [ceux qui ne sont pas diplômés des écoles de journalisme, qui n'ont pas la carte du Parti, le sceau royal, la marque de crédibilité que tout le monde, c'est-à-dire le milieu, reconnaît, etc., ndlr], ça les dérange, tant ça remet en question l'utilité – si ce n'est l'intérêt - de leur existence, que ça interroge la réalité des codes et des repères qu'ils croyaient immuables, pour ne pas dire vrais...
Certes, mais qu'en pense (car la question a son importance), le « fameux » Stéphane Osmont ? Dans la partie vidéo, ce dernier, visiblement – il se pourrait bien que je me trompe – prend le contre-pied de son personnage. Selon l'inénarrable antienne du « aujourd'hui, ce n'est plus comme hier », Stéphane Osmont se demande : « avec Internet, tout le monde a accès à des images, à de la musique, mais est-ce que pour autant Internet n'abolit pas définitivement la capacité à comprendre le monde, c'est à dire à savoir d'où nous venons, ce que nous faisons ensemble, et ce vers quoi nous allons ? » Un peu plus loin, on pourrait presque croire qu'il se « plaint » de la disparition des « intellectuels qui mettent un peu d'ordre dans le chaos du monde ». Le tout mâtiné d'un « air du temps » dont on peine à deviner à quoi il fait référence : après tout cet « air du temps » n'est-il pas le produit des clercs, et autres « faiseurs de compréhension du monde » dont Osmont note (pour ne pas dire déplore) la disparition ?
Reste à savoir si "l'ordre" et "la capacité à comprendre le monde" existent réellement, si les poinçonneurs et les pompistes ont bien fait de disparaître, et si un moineau plongé dans un bocal peut bien vite développer des branchies. Amis d'un passé qui n'existe plus et d'un présent qui n'est pas encore là (ou presque), restez à l'écoute !