Cinq ans après la faillite de Lehman Brothers, en sait-on plus sur les crises ?
Par Guy Sorman.
Cinq ans après la faillite de Lehman Brothers, qui a contaminé le monde et interrompu un long cycle de croissance, en sait-on plus sur les crises ? Pas grand-chose que l'on ne savait déjà.
Rappelons que nul n'avait prédit cette crise (prophétiser, ce n'est pas prévoir) et nul n'est capable de dater la prochaine. Tout se passe comme si les crises étaient inhérentes à l'économie de marché : la spéculation et l'innovation étant imbriquées dans le capitalisme, des accidents de parcours semblent certainement inévitables puisque toute innovation (fut-elle technique ou financière) ne peut pas réussir et toute spéculation ne peut pas être gagnante. Ces accidents sont d'autant plus imprévisibles que nul ne parvient à en identifier la cause et que, probablement, il n'existe pas de cause unique.
Ainsi l'usage est-il de dater la crise à partir de la faillite de Lehman Brothers. Mais cette faillite n'a pas provoqué la crise, elle l'a révélée et lui a ajouté une panique psychologique, ce qu'aucun économiste n'est capable d'anticiper.
Depuis 2006, les prix de l'immobilier, base du crédit hypothécaire, stagnaient : la crise ne datait-elle pas de 2006 ? Mais, en 2006, les prix du pétrole ont augmenté, rendant le logement en banlieue moins attrayant pour les familles américaines. Le prix du pétrole ne fut-il pas à l'origine de la crise ? La combinaison des facteurs – et non une seule cause – est à l'origine de toute crise : accuser tel ou tel, les banquiers, les agences de notation ou les agents immobiliers est une quête de bouc émissaire, pas une démarche scientifique.
Les économistes classiques ont toujours accepté cette inéluctabilité des crises qu'accroît, en notre temps, la complexité des systèmes d'échange et de production : donc, nous n'avons rien appris de neuf qui faciliterait les cures préventives. Par défaut, saurons-nous mieux surmonter les crises à venir ?
Depuis cinq ans, tous les gouvernements et banques centrales ont rallié la même politique : limiter les dégâts en baissant les taux d'intérêt, insuffler un peu de relance par le déficit budgétaire, mais pas trop. Aucun gouvernement, aucune banque ne se sont aventurés dans un libéralisme strict qui aurait exigé de ne pas agir du tout, ni dans une relance keynésienne massive, tout aussi aléatoire. Les deux grandes écoles de pensée se retrouvent ainsi à égalité, chacune proclamant que si leur théorie avait été intégralement appliquée, le monde tournerait plus vite. Le débat peut continuer.
Soulignons un aspect positif de cette modération des politiques anti-crise. À la différence de 1930 et de 1974, aucun pays n'a réagi à l'excès : pas de fermeture des frontières ni de nationalisations massives comme dans les années 1930, ni création massive de monnaie comme après 1974 et hyperinflation.
Cette fois-ci, malgré la crise, d'une ampleur tout de même modérée à l'échelle de l'histoire, les grands principes de l'économie ouverte et de la stabilité monétaire ont été préservés, avec le soutien actif des pays émergents (Corée du Sud, Chine, Brésil en particulier) au statu quo libéral.
Cette modération partagée devrait susciter un futur cycle de croissance qui s'esquisse : l'esprit d'entreprise reprend le dessus. Jusqu'à la prochaine crise : s'il fallait parier, celle-ci naîtra probablement d'un déséquilibre entre les bénéfices de l'État providence et la raréfaction de son financement, une sorte de généralisation du « malheur grec ».
Pourquoi ne pas anticiper ? Les électeurs et les hommes politiques qui les représentent préfèrent récolter les avantages de l'État providence et céder à leurs successeurs les dettes qui en résulteront.
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