Le clash des victimes : Clément Méric contre le bijoutier de Nice
Publié le 17/09/2013
Le traitement des affaires Clément Méric et Stephan Turk, plus connu comme "le bijoutier de Nice", semble toujours apporter la même réponse : il faut plus d’État, plus de cet État responsable du meurtre du premier et du meurtre du second.
Un billet d'humeur de Baptiste Créteur.
mort d'un coup de poing reçu après avoir attaqué dans le dos assassiné par un fasciste, qui avait eu droit à la solidarité des politiques, des médias et de tous ses camarades antifascistes, c'est un bijoutier de Nice qui, après avoir tué dans le dos son agresseur en fuite, est devenu l'homme d'une lutte.
Au premier, mort dans une rixe qu'il a déclenchée contre l'ennemi d’extrême-droite, la solidarité de la gauche ; au second, incriminé pour avoir tiré sur un délinquant multirécidiviste, la solidarité de la droite. Les similitudes dépassent le fait qu'on fasse un martyr d'un individu qui en a attaqué un autre dans le dos.
Car ils sont plus que des victimes ou des coupables ; ils sont les noms d'un combat, les héros d'une lutte contre le fascisme dans un cas, l'insécurité dans l'autre, qu'il faudrait mener en dissolvant les groupuscules d'extrême-droite dans un cas, en mettant les racailles en prison dans l'autre. Ils ne sont pas qu'un mort ou qu'un meurtrier, pas qu'un agresseur ou un agressé. Ils sont chaque jeune engagé (sauf s'il est d'extrême-droite, et surtout s'il est de gauche), chaque honnête citoyen non violent (sauf quand l'agresseur est parti, l'honnête citoyen tirant alors à vue et visant plutôt bien).
L'un attaque et meurt, l'autre se défend et tue ; les emblèmes symétriques sont des catalyseurs, des accélérateurs de protestation et des facteurs d'unité pour ceux qui auraient eu du mal à se rassembler sans victime contre un bouc émissaire constitué de bandes violentes qui n'ont que faire de la loi et aucun respect pour le citoyen honnête. Et ils arrivent à un moment opportun pour la protestation ; la récupération est pratique quand le Front National devient de plus en plus normal, quand la justice penche de plus en plus vers une réinsertion qui fait des secondes chances des deuxièmes chances et en offre volontiers des troisièmes, quatrièmes et cinquièmes, quitte à ce que remettre les délinquants en liberté réduise leur espérance de vie.
Et contre ces boucs émissaires, une évidence récurrente : l’État ne fait pas son travail, laissant se développer des bandes fascistes dans un cas, incriminant un citoyen "qui ne faisait que son travail" et prenant en apparence le parti de ses agresseurs dans l'autre. Pour ceux qui les soutiennent, l'agresseur Méric et le meurtrier Turk sont certes coupables aux yeux de la loi, mais ne défendent-ils pas une cause plus juste, n'ont-ils pas osé faire ce que beaucoup voulaient mais n'osaient pas accomplir ?
La première victime, celle qui a été menacée de mort, c'est le bijoutier et je suis toujours du côté des victimes. – Eric Ciotti.
Eric Ciotti, député UMP, est du côté des victimes – des premières victimes. Ou sans doute de ceux qui mènent un combat silencieux du quotidien, ceux qui se lèvent tôt le matin (par opposition à des racailles qui se lèvent tôt le matin pour les agresser à l'ouverture de la bijouterie) ; de ceux qui luttent au quotidien contre le fascisme, pour un monde plus doux et plus juste.
Dans le cas de Clément Méric, les médias avaient une jolie histoire à raconter. Un mensonge utile, selon lequel Clément Méric avait été assassiné ; un mensonge dont on savait depuis longtemps qu'il était faux, mais dont le caractère mensonger n'a été révélé par la diffusion des cassettes de la RATP que lorsqu'il avait rempli son rôle : rappeler aux yeux du monde la présence de l'ennemi fasciste. Les groupuscules sont dissous, la nécessité de lutter contre leurs idées rappelées, les municipales approchent et merci Clément : quelques semaines plus tard, grâce à toi, on pourra pousser des cris d'effrois à la simple idée d'une normalisation du Front National et dénoncer un homme politique qui n'inviterait pas automatiquement à s'unir avec n'importe qui mais pas le FN.
Dans le cas de Stephan Turk, les médias mainstream n'ont commencé à évoquer l'affaire qu'une fois les réseaux sociaux saturés, et principalement pour relayer une controverse : 1,5 million de soutiens, c'est impossible, il y a erreur et sans doute manipulation. Et on ne parlera pas tant de l'affaire que de la mobilisation ; il n'y a pas de réelle insécurité, mais un sentiment partagé d'insécurité ; d'ailleurs, le million de marginaux se cristallise sur l'impunité des "racailles" sans laisser la justice remplir son rôle – justice qui ne fait, elle aussi, que son travail.
Il existe pourtant un vrai message, qui ne sera pas relayé : celui de Français qui se lèvent tôt le matin et ne veulent plus d'un État couteux mais incapable de remplir les fonctions régaliennes qui justifient son existence, d'une justice qui fait preuve d'un zèle certain vis-à-vis de certains manifestants mais est incapable de réellement punir ou réinsérer ceux qui le méritent, qui ont besoin d'elle ou dont les honnêtes gens ont besoin qu'elle les protège.
Vendredi, le procureur de Nice, Éric Bedos a écarté la thèse de la légitime défense, rappelant que "la vie doit absolument être préservée, y compris quand on a face à soi un malfaiteur condamné quatorze fois par un tribunal correctionnel et un tribunal pour enfants. Au moment où le bijoutier intervient, sa vie n'est pas directement menacée".
Le procureur de Nice mettra à raison la légitime défense en question, sans poser la question de l'efficacité de son employeur, de ses collègues. Il rappellera bien que le bijoutier a tort, que la justice doit être la même pour tous et le droit identique. On aimerait que ce soit le cas, que l’État traite chaque citoyen de la même façon ; on aimerait que le fils du bijoutier ait tort, et qu'il n'y ait pas en France une partie des citoyens qui soit victime de la rage taxatoire au profit d'une autre bénéficiaire de ses largesses.
Son fils voit dans cette vague de soutien un "ras-le-bol contre l'insécurité". Il évoque une "société coupée en deux : il y a ceux qui se lèvent le matin pour travailler, qui en ont marre de payer autant d'impôts et de ne pas se sentir en sécurité" – et il y a les autres.
La conclusion que serviront les médias sera tout autre : comme à chaque fois, il faudra plus d’État. Avec des justifications multiples, sensées, déjà entendues ; ce ne sera qu'une piqûre de rappel indolore. Manque de moyens dans la police et la justice pour empêcher les malfaiteurs d'agir et détecter les plus dangereux. Besoin de créer des places supplémentaires à l'école pour y accueillir les enfants dès 2 ans et réduire ainsi leurs chances de devenir des criminels par un raisonnement qui échappe à toute personne constatant que l'éducation est déjà obligatoire de 6 à 16 ans. Nécessité de renforcer les contrôles sur les armes et les règles sur leur détention, apparemment assez laxistes aujourd'hui pour que deux voyous et un bijoutier se promènent avec deux pistolets et un fusil à pompe. Discriminations dont les uns et les autres ont été victimes et qui expliquent leur passage à l'acte violent, ainsi que l'absence de perspectives des jeunes désœuvrés qui s'en remettent au crime s'ils ne jouent pas assez bien au football, la faute à l'absence d'égalité des chances.
Les victimes de la faillite de l’État deviendront donc malgré elle des prétextes. Victimes de son incapacité à remplir ses missions, de l'absence totale de bon sens des hommes politiques qui lui ont donné sa forme actuelle et de la complaisance niaise des médias, elles deviendront des prétextes pour demander plus d'interventionnisme ; une restriction plus forte de libertés déjà ténues ; et la fin d'une complicité entre l’État et ses victimes qui lui servent aussi de justification, extrémistes et criminels comme repoussoir, démunis et minorités comme objet de toutes les attentions.
Tant pis pour les nombreux Français qui se mobilisent sincèrement ; leur message sera tronqué, déformé. Il leur aura fallu pourtant des efforts colossaux pour réussir à l'envisager ne serait-ce qu'un instant, et plus grands encore pour le formuler clairement ; trop d’État écrase l'individu. Pas seulement le travailleur, l'entrepreneur ou le contribuable ; pas seulement l'automobiliste, le locataire ou le propriétaire ; pas seulement l’extrémiste et le radical, pas seulement le protestataire et le partisan.
Trop d’État écrase l'individu, qui qu'il soit. Et indirectement, en prétendant protéger ses administrés, l’État tue ; parfois directement et vite, parfois à petit feu, parfois comme un dommage collatéral. Toujours et partout, le pouvoir est l'ennemi de la liberté. Ce n'est pas parce qu'un pouvoir est démocratique qu'il est juste, ce n'est pas parce qu'une mesure est prise au nom de l'intérêt général qu'elle ne bénéficie pas qu'à une minorité qui a les faveurs du pouvoir. Ce n'est pas parce que les hommes politiques représentent le peuple qu'ils parlent en son nom ou décident en sa faveur.
Dans l'état actuel du système éducatif, du journalisme, de la justice et de la vie politique, il y a peu de chances que la liberté prenne le dessus ; il y a peu de chances que l'initiative privée et ses multiples avantages soient préférés au collectivisme. Il y a peu de chances que les choses changent, et ce n'est pas en votant pour l'un ou l'autre des partis existants – normalisés ou pas – qu'elles changeront. Ce n'est pas avec plus du même mal que la France malade du collectivisme guérira.
Ce dont les Français ont besoin, c'est de plus de liberté. À eux de s'en saisir.
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