Le modèle du marché signifie l’abandon de son métier Pour devenir un négociant, l’entreprise doit abandonner son métier. C’est ce phénomène qui a été à l’œuvre, partout, ces dernières décennies (du moins à l’Ouest). Pour en comprendre la conséquence, l'équation métier = risque est nécessaire : faire un métier c'est avoir développé une maîtrise exceptionnelle d'un certain type de risques. Voici ce que cela donne :
- Enron a été un des pionniers du modèle du marché. 6 fois de suite il reçoit la palme de l’innovation du journal Fortune. Et tous les MBA le citent en exemple. Fin 2001, faillite. Il avait masqué ses actifs à risque dans des filiales non consolidées[1]. Toutes les entreprises font maintenant de l’Enron :
- Goldman Sachs[2] et l’industrie financière ont augmenté massivement chiffre d’affaires et bénéfice en vendant à des marchés insolvables, tout en faisant porter les risques par d’autres, ce qui leur permettait de limiter les réserves qui servent de garanties.
- Les laboratoires pharmaceutiques ne veulent plus faire de recherche, ils parient sur le marketing pour vendre des produits de grande consommation (OTC).
- Les assureurs ont fait appel à des réassureurs.
- Les constructeurs automobiles et aéronautiques ont confié de plus en plus de conceptions à leurs sous-traitants.
- Jusqu’au traité de Kyoto qui a délocalisé nos émissions de CO2 (qui croissent trois fois plus vite depuis[3]) !
- Il est redevenu possible de créer des marques automobiles[4]. Il suffit de s’entourer des bons équipementiers. De même, les compagnies pétrolières n’auront bientôt plus que leurs yeux pour pleurer. En effet, elles « ont jugé sage de sous-traiter le forage et d’autres aspects de la production. » Leurs sous-traitants ont apporté ce savoir-faire aux pays possesseurs de ressources pétrolières.[5] Partout les entreprises se sont dépossédées de leur métier, leur compétence à prendre des risques, en particulier celui de l’innovation. L’entreprise devient une coquille vide. Elle amasse de l’argent qu’elle est incapable d’investir. Les fonds d’investissement l’ont compris. Ils veulent lui faire cracher ses économies. Sous leur pression, Apple, par exemple, va verser 100md$ à ses actionnaires[6].
- Et si un composant fautif (mais assuré) faisait dérailler votre train ou votre voiture, ou exploser votre autocuiseur ? Le risque est saupoudré partout. On ne sait plus où il est. Et surtout, il n’est plus entre les mains de ceux qui savent le gérer. Voilà pourquoi la croissance est bloquée. Les banques sont assises sur des actifs qui peuvent leur éclater à la figure. Mais lesquels ? Alors, elles accumulent des réserves. Elles espèrent aller assez vite pour être prêtes au cas où. Ce faisant, elles augmentent les chances d’Armageddon.
- Qu’ils soient issus du milieu scientifique ou économique, les travaux américains actuels de prospective constatent que nous gérons la planète comme l’économie. La planète court à la faillite[7] ! (Curieux retour au rapport du Club de Rome, Les limites à la croissance[8].) Le modèle du marché ne crée pas. Il exploite. Ce faisant, il détruit.
[1] EICHENWALD, Kurt, Conspiracy of Fools: A True Story, Broadway Books, 2005. [2] Sur l’histoire récente de Goldman Sachs : TAIBBI, Matt, The Great American Bubble Machine, 9 juillet 2009, que l’on peut lire ici : http://www.rollingstone.com/politics/news/the-great-american-bubble-machine-20100405. [3] FRIEDMAN, Thomas L, Hot, Flat, and Crowded: Why The World Needs A Green Revolution - and How We Can Renew Our Global Future, Penguin, 2009. [4] Dans le dossier spécial de son numéro du 20 avril 2013. [5] Supermajordämmerung, The Economist, 3 août 2013. [6] Tim Cook’s cash card, The Economist, 27 avril 2013. [7] Voir une revue de livres sur la question : Pearce, Fred, What do we fix first – environment or economy?, NewScientist, 8 juillet 2013. Et, en particulier : Friedman, Thomas L, Hot, Flat, and Crowded: Why The World Needs A Green Revolution - and How We Can Renew Our Global Future, Penguin, 2009. [8] MEADOWS, Donella, RANDERS, Jorgen, MEADOWS, Dennis, Limits to Growth, Chelsea Green, 2004.