En 2012, 40 à 44% des hôpitaux situés aux Etats-Unis avaient adopté un système plus ou moins élaboré de dossiers médicaux électroniques.
Le dossier médical électronique est le maillon essentiel du parcours santé de demain où il ne sera pas concevable d’avoir une rupture d’information dans le parcours santé du patient, où chaque traitement, antécédent, allergie, pathologie chronique d’un malade devra être accessible quasiment en temps réel à chaque professionnel de santé de celui-ci. On parle même d’inclure le séquençage ADN comme type d’information à y entreposer…
Aujourd’hui, en France, des dossiers médicaux électroniques existent (avec plus ou moins de succès) et sont pour les « plus connus » identifiés sous les appellations DP et DMP. Dossier Pharmaceutique et Dossier Médical Personnel (ou Personnalisé). Du coup, à ce simple énoncé, on se pose des questions : pourquoi 2 dossiers différents qui semble pourtant avoir la même finalité, quelles sont les différences entre les 2, combien d’utilisateurs et qui sont-ils ?
Tentative d’explication :
Le dossier pharmaceutique
Le dossier pharmaceutique (DP) a été créé par la loi du 30 janvier 2007 relative à l’organisation de certaines professions de santé. Pour chaque titulaire de DP, celui-ci recense tous les médicaments délivrés au cours des 4 derniers mois par n’importe quelle pharmacie de France. Permettant aux pharmaciens, et plus récemment à certains médecins, de vérifier qu’il n’y a pas de risque de redondance dans la dispensation de médicaments, ou qu’il n’y a pas de risque d’interaction dangereuse. Le DP est également utilisé pour les informations liées aux rappels et retraits de lots de médicaments ou de dispositifs médicaux, et pour certaines alertes sanitaires.
Le pharmacien d’officine a besoin, en plus de sa carte professionnelle, de la carte vitale de son client pour avoir accès au DP de celui-ci, via une connexion sécurisée. Les informations sont cryptées et ne restent pas sur l’ordinateur de la pharmacie après usage.
Plus de 26 millions de patients ont aujourd’hui un dossier chez un pharmacien. En mai 2013, le DP était déployé sur 97 % des pharmacies de ville.
Mais pour que le DP soit un maillon efficace dans le circuit des soins, il est nécessaire que d’autres professionnels de santé puissent y avoir accès. C’est le sens de l’histoire depuis 2010, quand la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) donna son feu vert à une expérimentation de l’utilisation du DP dans les pharmacies hospitalières. Depuis le 30 décembre 2011, les pharmaciens hospitaliers ont donc accès au Dossier Pharmaceutique (DP), dans les mêmes conditions que les pharmaciens d’officine (consultation, modification).
Aujourd’hui, des expérimentations se mettent en place afin de permettre l’accès au DP par d’autres praticiens que les pharmaciens. (Signe que la logique du partage d’information par le numérique, permettant une meilleure coordination des soins et de la dispensation de médicaments entre la ville et le milieu hospitalier, en enfin intégrée). Cela a fait l’objet d’un autre décret (9 janvier 2013) et d’un arrêté ministériel (28 mai 2013) pour établir la liste des établissements participant à ces tests. 1400 praticiens (urgentistes, anesthésistes et gériatres) de 55 établissements répartis dans 18 régions testeront l’utilité d’une consultation du DP. A titre d’exemple, en Poitou-Charentes, c’est l’hôpital de Niort qui a été retenu.
Les spécialités retenues pour ces expérimentations s’expliquent par la nécessité d’avoir une vision exhaustive du niveau de médication du patient, au regard de l’intervention :
Urgences : permet aux médecins de disposer d’une information instantanée des traitements en cours,
Anesthésie-réanimation : permet d’établir le risque anesthésique au regard des médicaments pris,
Gériatrie : connaître le risque iatrogène compte tenu du nombre de traitements suivis et de l’âge des personnes.
Cette phase de tests devrait s’achever le 29 décembre 2014, avec la remise au ministère de la Santé, d’un rapport rédigé par chaque ARS.
En parallèle, le DP teste, depuis le mois d’août, une nouvelle fonctionnalité (Le DP-Rupture) permettant aux pharmaciens d’alerter les industriels et les autorités de santé en cas de difficultés d’approvisionnement d’un médicament. Cette phase d’expérimentation débute avec 200 officines, quelques pharmacies hospitalières, des grossistes-répartiteurs, 15 laboratoires et les autorités sanitaires (ANSM, ARS, ministère).
Les cas de ruptures de stock seront présentés sous forme de carte et d’histogrammes. Ce nouveau service est prévu pour être opérationnel avant la fin 2013.
A l’avenir, l’objectif est clair, pouvoir utiliser le DP pour alimenter le DMP.
Le Dossier Médical Personnel
Le Dossier Médical Personnel est un carnet de santé, informatisé et sécurisé, accessible sur Internet. Il permet au patient de partager ses informations de santé avec des professionnels de santé à qui, il autorise l’accès à son dossier. C’est un service public et gratuit. Le patient en a le contrôle. Son ouverture s’effectue via un professionnel de santé à son cabinet, à l’aide de la carte vitale du patient. Le professionnel de santé doit également s’identifier grâce à sa carte CPS (carte de professionnel de santé). Au terme du processus de création, une petite étiquette est collée sur la carte vitale du patient, signifiant qu’il possède désormais son DMP.
Le DMP a été lancé en 2011, dans quatre régions « test » de France : l’Alsace, l’Aquitaine, la Franche-Comté et la Picardie, pour se généraliser ensuite à toute la France en 2012. A ce jour, près de 355 000 DMP sont crées. Il est utilisé par 4 965 professionnels de santé libéraux et près de 350 établissements de santé (source : DMP ACTU N°15).
Après un départ plus ou moins difficile, le DMP fait l’objet de nombreuses critiques. Divers aménagements sont souhaités par les professionnels de santé, concernant notamment des actions de communication et d’information (professionnels de santé et patients) sur l’utilité du DMP. Concernant des actions d’accompagnement des professionnels de santé (formation, soutien à la mise en place technique, mesures financières…) et concernant enfin une réflexion sur les contenus prioritaires ayant un intérêt médical indéniable et justifiant de fait, leur saisie au sein du DMP (CR d’hospitalisation ou d’analyses biologiques, imagerie médicale, antécédents et allergies…).
Cela étant, la généralisation du DMP au niveau national semble impulsée par les établissements de santé, pour tenter ensuite de se généraliser auprès des médecins libéraux avant de s’étendre à tous les professionnels de santé. Cheminement espéré pour répondre à la logique de filière de soins, concernant le patient et son suivi, notamment après sa sortie d’un établissement hospitalier.
En février 2013, la Cour des comptes a publié un rapport estimant le coût total du dossier médical personnel à au moins 210 millions d’euros, entre 2004 et fin 2011. Il indique également le coût des autres téléservices de santé qui ont vocation à converger vers le DMP tels que le dossier pharmaceutique pour un montant de 23 M€ à fin 2011.
Il est d’ailleurs intéressant de souligner que dans les principales recommandations de ce rapport, il est conseillé de « conclure avec l’Ordre des pharmaciens et l’ASIP un protocole et un calendrier de rapprochement entre le DMP et le dossier pharmaceutique ».
Et alors ?…
Alors, on ne peut que constater que le DMP est à la peine face au DP, et laisse le champ libre sur le créneau du « carnet de santé en ligne », à de nombreuses solutions qui continuent de se lancer depuis des mois, à l’image notamment de Carnet de santé, Assistant Santé, Dossier santé personne, MesVaccins.net et Sanoia qui affiche plus de 150 000 usagers et permet de traduire automatiquement son e-dossier médical en quatre langues.
Reste à observer comment tout cela va évoluer au fil des mois. Le DMP va-t-il réussir à s’implanter définitivement et durablement dans le paysage de la e-santé en France. Ne doit-il pas y tenir le rôle de pivot central ? A suivre.
Et vous ? Qu’en pensez-vous ?
POUR EN SAVOIR PLUS :
-A titre de comparaison, je vous invite à consulter l’excellent article paru dans le MAG n°9 de l’asip santé, sur le DMP australien « le personally controlled electronic health record ».
-Diaporama présentant la mise en œuvre de l’expérimentation (DGOS) : http://www.sante.gouv.fr/IMG/ppt/Diaporama_presentant_la_mise_en_oeuvre_de_l_experimentation_DGOS_.ppt
-Guide du dossier pharmaceutique : http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_du_dossier_pharmaceutique.pdf
-Rapport de la Cour des comptes – février 2013 : Le coût du dossier médical personnel depuis sa mise en place : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000136/0000.pdf