L'homme de papier
Les artistes occupent la rue. Dans la lignée de Keith Haring ou Basquiat, qui avaient déjà investi l'espace public, des “traces” laissées par des artistes sont toujours visibles. Dans certains quartiers ce sont des fresques, ailleurs des collages, des affiches. Il m'a semblé reconnaître aussi des dessins-signatures, comme un logo d'artistes apposé sur un trottoir, un poteau ou un mur.
Il est là, sur le mur, les paumes ouvertes, le torse nu douloureusement musclé. Il n'est qu'une empreinte comme une ombre mouvante, prisonnière de la porte sur laquelle il est collée et dont il s'essaye de s'arracher en vain. Le temps a commencé son oeuvre d'effacement : traces d'arrachement, graffitis et intempéries le font disparaître peu à peu.
Je regarde son visage flouté et j'en vois un autre, familier, le visage de l'absence. Je remarque qu'une de ses mains est comme posée sur la poignée : peut-être va-t-il m'ouvrir, m'inviter à passer de l'autre côté, et à m'évanouir dans une rue de New York, une backstreet anonyme.
J'ai pensé à mes propres peintures, mes empreintes inachevées que j'ai roulées dans un coin en attendant la force de les reprendre. Peut-être est-il temps de les ressortir. J'ai regardé longtemps cette silhouette, à découvert, comme implorante, je l'ai photographiée en regardant son image inversée dans le viseur carré de mon yashica. Aujourd'hui dans le petit viseur de ma mémoire, quelqu'un me manque et cette image, double de papier, me le rappelle.