L'Assemblée nationale vient de voter, ce lundi 16 septembre le Projet de loi "habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens". Un nouveau principe : le silence de l'administration vaudra accord. Une révolution ?
Le dossier législatif du projet de loi peut être consulté ici sur le site de l'Assemblée nationale.
Le texte de ce qui va devenir la "Petite Loi" peut être consulté ici.
Ma première analyse du projet de loi peut être consultée ici. Mon entretien sur ce sujet à Libération peut être lu ici.
Le projet de loi défendu par Marylise Lebranchu tend à inverser un principe ancien du droit administratif. Désormais, passé un délai de deux mois à compter de la présentation d'une demande d'un administré, le silence de l'administration vaudra accord.
Toutefois, l'application de ce nouveau principe est encadrée par tant de précautions et de conditions qu'il est difficile de dire qu'un principe a chassé l'autre. En réalité, à la suite du vote de cette loi, deux principes cohabitent : dans certains cas le silence de l'administration vaudra accord, dans d'autres non. Plus que jamais, les juristes devront procéder au cas par cas pour savoir si une demande peut faire naître une décision implicite de rejet ou d'acceptation.
Le nouveau dispositif n'est donc pas plus simple que l'ancien. Il n'est pas non plus certain qu'il soit réellement plus protecteur des droits des administrés. Il ne fait à l'inverse pas de doute que ce texte va contraindre l'administration a une réorganisation importante en raison notamment de la mise en place d'un nouveau système d'échange d'informations entre administrations.
Le point de départ du délai de formation de la décision implicite d'acceptation
L'article 1er A du projet de loi qui vient d'être voté par l'Assemblée nationale précise tout d'abord les conditions de calcul du délai au terme duquel peut nâitre une décision implicite d'acceptation. Est ainsi modifiée la rédaction de l'article 20 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Cet article 20 est précisément consacré au cacul des délais de formation des décisions implicites. Une nouvelle phrase est ajoutée à son 3ème alinéa :
"Article 20
Lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l'autorité administrative compétente et en avise l'intéressé.
Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'autorité initialement saisie.
Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite d'acceptation ne court qu'à compter de la date de réception de la demande par l'autorité compétente. Si cette autorité informe l’auteur de la demande qu’il n’a pas fourni l’ensemble des informations ou pièces exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur, le délai ne court qu’à compter de la réception de ces informations ou pièces.
Dans tous les cas, l'accusé de réception est délivré par l'autorité compétente."
Le délai au terme duquel se forme une décision "valant accord" ne peut donc commencer à courir tant que l'administration n'a pas été rendue destinataire de toutes les informations, qu'elle en a fait part à l'auteur de la demande et que ce dernier a fourni les documents requis. En d'autres termes, le point de départ du délai est fixé à réception par l'administration d'une demande complète.
Le silence gardé pendant deux mois vaut acceptation : un principe très conditionné
Aux termes de l'article 1er A du projet de loi qui vient d'être voté, l'article 21 de la loi du 12 avril devrait être ainsi rédigé :
"Art. 21. – I. – Le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation.
« La liste des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut décision d’acceptation est publiée sur un site internet relevant du Premier ministre. Elle mentionne l’autorité à laquelle doit être adressée la demande, ainsi que le délai au terme duquel l’acceptation est acquise.
Force est de constater que le nouveau principe...n'est pas réellement un principe. Il s'agit d'avantage d'une règle de droit qui s'appliquera dans des cas listés et prédéterminés. Cette règle selon laquelle le silence de l'administration vaut accord ne s'appliquera en effet que pour des procédures dont la liste sera publiée sur "un site internet relevant du Premier ministre". Au passage, notons que le procédé ancestral de la circulaire est détrôné ici par le recours au site internet.
Non seulement le silence ne vaudra accord que pour une liste précise de procédures mais, de plus, la loi fixe toute une série de dérogations à cette nouvelle règle :
« Le premier alinéa n’est pas applicable et, par dérogation, le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet :
« 1° Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle ;
« 2° Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ;
« 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;
« 4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d’État, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public;
« 5° Dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents.
« II. – Des décrets en Conseil d’État et en Conseil des ministres peuvent, pour certaines décisions, écarter l’application du premier alinéa du I eu égard à l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration. Des décrets en Conseil d’État peuvent fixer un délai différent de celui que prévoient les premier et troisième alinéas du I, lorsque l’urgence ou la complexité de la procédure le justifie."
En réalité, pour comprendre précisément la portée de cette nouvelle règle selon laquelle le silence de l'administration vaut accord supposera la consultation régulière d'un site internet et la publication de plusieurs décrets.
Mais aussi de nouvelles ordonnances...
De nouvelles ordonnances pour de nouvelles procédures administratives électroniques
Il est remarquable que, depuis quelques années, un droit administratif électronique est en voie de création. L'article 1er de ce projet de loi y contribue.
"Article 1er
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, à prendre par ordonnances des dispositions de nature législative destinées à :
1° Définir les conditions d’exercice du droit de saisir par voie électronique les autorités administratives et de leur répondre dans la même forme ;
1° bis (nouveau) Définir les conditions, en particulier les garanties de sécurité et de preuve, dans lesquelles les usagers peuvent, dans le cadre de leurs échanges avec les autorités administratives, leur adresser des lettres recommandées par courriers électroniques ayant valeur de lettre recommandée lorsque cette formalité est exigée par un texte législatif ou réglementaire, et les conditions dans lesquelles les autorités administratives peuvent user du même procédé avec les usagers qui l’ont préalablement accepté ;
2° Définir les conditions dans lesquelles peuvent être communiqués aux demandeurs les avis préalables, ainsi que leur éventuelle motivation, recueillis sur leur demande, conformément aux dispositions législatives et réglementaires, avant que les autorités administratives n’aient rendu leur décision, en particulier lorsque la communication de ces avis est de nature à permettre au demandeur de modifier ou de compléter sa demande et de réduire le délai de réalisation de son projet ;
3° Élargir les possibilités de recours aux technologies permettant aux organes collégiaux des autorités administratives, à l’exception des organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs groupements, de délibérer ou de rendre leur avis à distance, dans le respect du principe de collégialité.
Sont considérés comme autorités administratives au sens des 1°, 1° bis, 2° et 3° les administrations de l’État et des collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les organismes de sécurité sociale et les autres organismes chargés de la gestion d’un service public administratif.
II. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé, dans le délai mentionné au I du présent article, à adapter par ordonnances les dispositions prises en application du même I aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi qu’à les étendre, avec les adaptations nécessaires, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna.
III. – Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de chaque ordonnance."
Un nouveau code relatif aux relations entre le public et les administrations
L'article 2 du projet de loi prévoit la composition par ordonnances d'un nouveau code. A noter : il ne s'agit pas d'un exercice de codification à droit constant. L'insertion de nouvelles règles est donc à prévoir :
"Article 2
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnances à l’adoption de la partie législative d’un code relatif aux relations entre le public et les administrations.
II. – Ce code regroupe et organise les règles générales relatives aux procédures administratives non contentieuses régissant les relations entre le public et les administrations de l’État et des collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes chargés d’une mission de service public. Il détermine celles de ces règles qui sont applicables aux relations entre ces administrations et entre ces administrations et leurs agents. Il rassemble les règles générales relatives au régime des actes administratifs. Les règles codifiées sont celles qui sont en vigueur à la date de la publication de l’ordonnance ainsi que, le cas échéant, les règles déjà publiées mais non encore en vigueur à cette date.
III. – Le Gouvernement est autorisé à apporter aux règles de procédure administrative non contentieuse les modifications nécessaires pour :
1° Simplifier les démarches auprès des administrations et l’instruction des demandes, en les adaptant aux évolutions technologiques ;
2° Simplifier les règles de retrait et d’abrogation des actes administratifs unilatéraux dans un objectif d’harmonisation et de sécurité juridique ;
3° Renforcer la participation du public à l’élaboration des actes administratifs ;
4° Renforcer les garanties contre les changements de réglementation susceptibles d’affecter des situations ou des projets en cours ;
5° Assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions devenues sans objet ;
6° (Supprimé)
7° Étendre les dispositions de nature législative ainsi codifiées en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans le respect des compétences dévolues à ces collectivités, ainsi qu’aux îles Wallis et Futuna, et adapter, le cas échéant, les dispositions ainsi codifiées en Nouvelle-Calédonie et dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution ;
8° Rendre applicables au Département de Mayotte les dispositions de nature législative ainsi codifiées issues des lois qui ne lui ont pas été rendues applicables.
IV. – Ces ordonnances sont publiées dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la promulgation de la présente loi.
V. – Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de chaque ordonnance."
A noter : ce code devrait avoir une incidence sur le régime, pour l'heure fort complexe de retrait et d'abrogation des actes administratifs unilatéraux :
"2° Simplifier les règles de retrait et d’abrogation des actes administratifs unilatéraux dans un objectif d’harmonisation et de sécurité juridique ;"
Un nouveau code de l'expropriation
"Article 3
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnances à la modification du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique afin d’y inclure des dispositions de nature législative qui n’ont pas été codifiées, d’améliorer le plan du code et de donner compétence en appel à la juridiction de droit commun.
Il peut également apporter les modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions devenues sans objet.
En outre, le Gouvernement peut étendre, le cas échéant avec les adaptations nécessaires, l’application des dispositions ainsi codifiées en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna.
II. – (Non modifié)
III. – Les ordonnances sont publiées dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de chaque ordonnance.
Une ordonnance à venir sur un nouveau système de circulation d'informations entre administrations
"Article 2 bis (nouveau)
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures nécessaires pour :
1° Harmoniser les définitions, données et références utilisées lors des relations entre les administrations et le public, en vue de permettre les échanges d’informations ou de données entre les administrations prévus à l’article 16 A de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations et d’éviter que soient demandées au public une information ou une donnée déjà fournies à une administration ;
2° Procéder, dans les dispositions relatives aux secrets protégés par la loi et, le cas échéant, après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans la législation relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, aux ajustements nécessaires pour donner accès aux informations ou aux données du public à tout organisme autorisé à en connaître. Ces ajustements ne peuvent pas porter sur les informations ou les données qui, en raison de leur nature, notamment parce qu’elles touchent au secret médical et au secret de la défense nationale, ne peuvent faire l’objet d’une communication directe ;
3° Définir les conditions dans lesquelles des déclarations sur l’honneur peuvent être substituées à la production de pièces justificatives et préciser corrélativement les conséquences qui s’attachent à l’éventuelle inexactitude de ces déclarations.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance."