Jeudi 1er mai 2008 alors que certains défilent pour la fête du travail, que d’autres profitent de ce jour férié pour s’offrir du muguet, j’assure une permanence pénale au Palais. J’aurais moi aussi préféré passer cette journée avec ma compagne à me détendre.
Je pars donc au Palais en souhaitant que tout se passe bien et vite mais néanmoins motivé comme d’habitude.Pour tout vous dire ce fût finalement une longue journée mais une bonne journée que je ne regrette aucunement.
Le programme commence dès 10 heures devant le Juge des Libertés et de la détention qui doit statuer sur le sort de 5 étrangers en situation irrégulière pour lesquels la Préfecture sollicite la prolongation de leur placement en centre de rétention.
Petite explication : Lorsqu’un étranger en situation irrégulière fait l’objet d’une mesure d’éloignement (ici un arrêté de reconduite à la frontière), l’administration peut procéder à son placement en centre de rétention dans l’attente de l’expulsion.
La période de rétention est de 48 heures au maximum étant précisé que cette période peut être prolongée de 15 jours puis de nouveau pour 15 jours.
Mais cette prolongation ne peut être ordonnée que par le Juge des Libertés et de la détention après un débat contradictoire auquel participent l’étranger, son avocat et la Préfecture si elle daigne se présenter à l’audience (ce qui est rare chez nous et encore plus un jour férié).
Le Juge des Libertés et de la détention dispose d’une marge de manœuvre assez étroite pour statuer.
En effet si les conditions d’une prolongation de la rétention sont réunies, celle-ci ne peut être évitée au profit d’une assignation à résidence que si l’étranger dispose d’un passeport en cours de validité et que d’autre part il justifie de garanties de représentation suffisantes.
L’absence de passeport oblige le JLD à prolonger la période de rétention.
Autant vous dire qu’il est assez rare que les étrangers concernés par ces procédures soient en possession de leur passeport lorsqu’ils sont interpellés. (Soit qu’il aura été conservé par leur passeur, soit qu’il aura été perdu/détruit ou qu’il ne sera plus valide).
Autant vous dire aussi qu’intervenir dans ce type de dossier est parfois très frustrant quand sur le fond on ne dispose d’aucun élément convaincant.
Reste alors l’espoir d’une irrégularité de procédure pénale ou de la procédure administrative mise en œuvre par la Préfecture.Je dois avouer que ce premier mai fût pour moi une sorte de festival des nullités de procédure.
Après lecture du premier dossier, je conclus à l’existence d’une irrégularité : Le Parquet a été avisé tardivement du placement en garde à vue alors qu’il doit l’être dès le début de la mesure (art.63 du Code de Procédure Pénale).
Et hop, un jeu de conclusions pour faire annuler la procédure et un peu de lecture pour le JLD.
Deuxième dossier et rebelote, deux irrégularités dont l’une tellement monstrueuse qu’on se demande comment il est encore possible qu’elle existe.
La aussi le Parquet a été avisé tardivement de la mesure de garde à vue. De plus l’étranger au moment de son placement en garde à vue à solliciter la visite d’un avocat (art.63-1 du Code de Procédure Pénale).
Et bien croyez le si vous voulez, les policiers ont « simplement » oublié d’aviser l’avocat du placement en garde à vue de son client …
Deuxième jeu de conclusions pour le JLD.
Et ainsi de suite pour les autres dossiers. Seul un des dossiers sur cinq m’a paru « carré ».
Bilan des courses, 3 annulations de procédure et une décision jugeant que le maintien en rétention n’était pas justifié en raison d’une erreur dans la procédure administrative.
Bien évidement les clients sont satisfaits, soulagés de savoir qu’ils ne seront pas renvoyés en Centre Afrique, en Inde ou en Éthiopie et cela fait plaisir à voir même si cela ne change rien à leur statut d’étrangers en situation irrégulière.
Le soulagement sera total pour eux lorsqu’ils apprendront que le Parquet ne relève pas appel des décision rendues.
Il est 16 heures, 10 minutes de pause sandwich car la permanence parquet a annoncé deux comparutions immédiates et un mineur qui doit être présenté au juge pour enfant.
Je me dis que ce bambin ne doit pas être un inconnu de la Justice pour qu’on prenne le soin de le déférer un jour férié.
S’agissant des deux comparutions immédiates, il faut préciser qu’elles relèvent également de la compétence du JLD dans la mesure où le Tribunal correctionnel ne siège pas les jours fériés.
Le Juge des Libertés et de la détention n’étant pas le juge du fond ne décide pas de l’innocence ou de la culpabilité des personnes qui lui sont présentées.
Il doit simplement décider de leur sort dans l’attente de leur jugement par le Tribunal correctionnel. La personne peut-elle être libérée (avec ou sans contrôle judiciaire) ou placée en détention provisoire ?
Lorsque j’ouvre le premier dossier, je tombe sur le casier judiciaire de l’intéressé qui ressemble plus au bottin qu’à autre chose. Pas moins de 8 pages de condamnations diverses et variées, ça commence mal et le reste du dossier confirme cette impression.
Oui sauf que ce 1er mai, le Dieu de la procédure est avec nous et le festival continue.
En l’espèce, la personne placée en garde à vue à solliciter de rencontrer son avocat habituel (au vu du casier il doit s’agir d’un client institutionnel pour le confrère) dont il donne les coordonnées y compris le numéro de téléphone portable.
Il précise qu’au cas ou son avocat ne serait pas disponible ou pas joignable il souhaite l’intervention de l’avocat de permanence.
Ici, les policiers font bien leur travail dans un premier temps puisqu’ils tentent de contacter l’avocat désigné sans succès. Et que font-ils ensuite ?
Rien ou plutôt, ils vont attendre 5 heures pour téléphoner à la permanence du barreau pour solliciter l’intervention de l’avocat de permanence alors que le gardé à vue peut rencontrer un avocat dès la première heure de sa garde à vue.
Deuxième dossier, même topo quant l’avis tardif au parquet du début de la mesure de garde à vue.
Mais il existe un souci pour ces deux procédures. Le JLD n’est en effet pas compétent pour annuler la procédure. Seul le tribunal correctionnel qui jugera l’affaire au fond peut examiner les nullités de la procédure.
Reste donc à convaincre le JLD de la pertinence de mon argumentation pour l’amener à refuser de placer les deux intéressés en détention provisoire comme le demande le parquet.
Le JLD décidera finalement d’un placement sous contrôle judiciaire et d’un placement en détention provisoire motivé par les antécédents de l’intéressé et la nature violente des faits qui lui sont reprochés tout en soulignant toutefois la probable irrégularité de la procédure (il sera jugé demain en début d’après-midi).
Il est 19 heures, reste à traiter le cas d’un mineur qui ressort du bureau du juge après avoir été mis en examen et s’être fait remonter sévèrement les bretelles tant par le juge que par son frère et son avocat.
20h15, fin de l’audience j’arrive chez moi 45 minutes plus tard, fatigué mais finalement heureux de cette journée.
Heureux avec ce sentiment d’avoir fait correctement mon travail, heureux aussi d’avoir été suivi par un Juge des Libertés et de la détention qui n’hésite pas à me suivre dans mon argumentation sur les irrégularités de procédure et qui me semble faire son travail en toute objectivité ce qui parfois fait défaut.
Et puis demain, c’est férié pour moi.