Repas à la fois copieux et authentique, il ne laisse en rien présager l’expression "faire un bon p’tit gueuleton" puisque par définition un gueuleton n’est jamais petit, vous voilà averti. D’ailleurs, le dictionnaire apporte une dimension supplémentaire à cette notion de quantité : "… très bon repas, copieux, abondant, plantureux" (Source/Le Robert de poche). Inutile de vous rappeler qu’on ne gueuletonne pas avec ses beaux-parents ou son patron, encore moins au cours d’un mariage ou d’un baptême. Non, le gueuleton se suffit à lui-même pour convoquer les amis, s’amuser et partager une belle assiette et s’abreuver de quelques verres d’un bon "jaja" choisi.
Dans la très érudite "Histoire de l’alimentation" (Fayard), dirigée par Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari, les auteurs rappellent l’existence du Convivia, de l’antiquité tardive au Moyen âge. Ces repas se caractérisaient par une pléthore de nourritures et de breuvages sélectionnés. L’essentiel était de manger et de boire ensemble pour se retrouver et non orner son assiette en vue d’y émettre quelques avis. Ces repas-ripaille traversent donc les époques et connaissent parfois des heures sombres : au détour des années 1970-80, la mode de la nouvelle cuisine s’empare des fourneaux de nos chefs étoilés et, plus d’une décennie après, elle gagne le mangeur de la rue. En 1990, la cuisine se servait y compris à la maison, avec cette terrible manie d’imiter les chefs. On servait, alors, des plats dans de grandes assiettes carrées, et pourquoi pas en verre dépoli. Les ménagères, quant à elles, se dotaient de certains ustensiles comme le cercle en inox : en un tour de main, la purée et/ou les lentilles étaient architecturées.Tout cela est franchement dépassé… Rien de mieux et de plus pratique que de servir une bonne purée de pomme de terre fondante dans un joli plat, accompagné de son bol de jus de rôti savoureux.Qui dit gueuleton suppose évidemment un certain type de cuisine. Il s’agit de recettes à partager dont certains modes de cuisson sont implicitement bannis : vous n’imagineriez pas servir un tartare de noix de Saint-Jacques pour un gueuleton ? Exit les cuissons vapeur, les fritures légères ou les carpaccios prétentieux, on privilégie, ici, une magnifique pièce de viande à découper, des recettes mijotées, des cuissons longues. Des plats en somme qui se servent à la cuillère, de ceux qu’on pose directement sur la table. Voilà ce qu’est un VRAI gueuleton.Conseil : ne vous amusez plus pas à dresser les assiettes une à une en cuisine. D’abord c’est ringard, en plus c’est humainement infaisable. Quand vous êtes six à table, sans aide d’une brigade de chefs de partie ou de commis derrière vous, difficile de s’en sortir.Non, le gueuleton c’est un partage et non un service à l’assiette façon chacun pour soi. Est-ce à dire que notre époque serait à moins d’individualisme ? Pas sûr. Mais trop de solitude tue la solitude, place donc à une table honnête et fédératrice, place à la vraie cuisine.
Après plusieurs décennies de chichis, d’apprêts, de minauderies le gueuleton sert à nouveau de référence. Les chefs ont, une nouvelle fois, joué un rôle prépondérant dans l’émergence de ces repas dits de nouvelle génération. En rendant courageusement leurs étoiles, en ouvrant des bistrots, en dressant des tables avec nappes à carreaux rouges et verres ballon, en servant le saucisson sur planche et les cornichons dans le pot -qu’il faut impérativement copier- ces hommes ont réhabilité l’humeur paillarde à table. Ici, on ne se démarque pas du restaurant, bien au contraire : on s’en inspire.F.G.