La place du Griffon (avec ses rues attenantes) fit donc agréablement place nette. Ce fut incontestablement –et c’est toujours- une réussite. Mais voilà, les ouvriers et les pelles mécaniques eurent à peine quitté le chantier que la place fut déjà souillée par de multiples déjections animales qui, pour le coup, faisaient vraiment tache sur la belle pierre immaculée. Avant la rénovation de la chaussée, sur l’asphalte plus ou moins cabossé et plein de cicatrices, sans parler des voitures, on ne les voyait pas. Mais depuis la réfection de la place, on ne voit plus qu’elles.
Devant un tel spectacle, je me suis dit que les animaux responsables (à moins que ce ne soit leurs maîtres) auraient pu attendre un peu ne serait-ce que par respect pour le travail réalisé et ceux qui l’ont accompli; attendre un peu que la pierre noircisse sous les effets du soleil, de la pollution et des piétons avant de la salir davantage; attendre un peu pour ne pas rappeler trop vite aux passants que ces petits tas d’excréments déposés, par animal interposé, par d’autres passants bien sous tout rapport représentent une véritable catastrophe dans nos cités qui n’ont pourtant plus rien à voir avec le Paris du Moyen-Âge décrit dans “Le Parfum” de Patrick Susskind où les eaux usées et les déjections de toutes sortes étaient évacuées à même les rues.
Et surtout on se demande comment arriver à bout de cette calamité, que dis-je, de cette véritable verrue plantée dans le dos de la civilisation. Nos autorités municipales ont eu l’excellente idée, toute pédagogie ayant échoué, de verbaliser les maîtres fautifs (à moins que ce ne soit leurs chiens) à des tarifs défiant toute concurrence comme cela se passe déjà dans certains pays anglo-saxons. Le problème c’est que personne ou presque n’a jamais vu un contrôleur-verbalisateur et que, en revanche, tout le monde observe quotidiennement des propriétaires de chiens déféquant en toute impunité par l’intermédiaire de leur animal domestique dans les squares, sur les trottoirs, dans les espaces verts, sur les aires de jeu, devant l’entrée des immeubles, bref dans les moindres recoins de l’espace public. À croire qu’ils agissent de la même manière dans leur salon ou leur chambre à coucher. Sans doute la municipalité manque-t-elle de personnel, on ne peut pas tout avoir, des crèches et l’absence de merde sur le bitume, et puis de toute façon, on ne peut pas mettre un contrôleur-verbalisateur derrière chaque propriétaire de chien. Tout cela est vrai.
C’est pourquoi j’ai imaginé une solution proprement révolutionnaire puisque, au lieu que ce soit le contrôleur qui se mette en chasse du maître-déféquant, c’est le maître-déféquant qui va tout faire pour se faire prendre par le contrôleur. Oui, vous avez bien lu. La méthode, pour étonnante qu’elle paraisse, est pourtant enfantine: tout propiétaire de chien surpris en flagrant délit en train de ramasser soigneusement l’œuvre soufrée de son animal se verrait remettre, en guise de félicitation et d’encouragement, un billet de 10 ou 20 euros, sur-le-champ et, si j’ose dire, en main propre par un contrôleur-complimenteur.
Les avantages de cette méthode sont multiples. L’efficacité, premièrement: en reposant, non plus sur un minimum de savoir-vivre, mais sur les bas instincts du propriétaire de chien, à savoir sa cupidité, nul doute que ce dernier aura bien vite compris les avantages de ne plus souiller les lieux publics. Deuzio, le moindre coût: point besoin pour la municipalité, en effet, d’embaucher une pléthore de contrôleurs de même qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait un seul ticket gagnant dans un bureau de tabac pour faire acheter des jeux à gratter par les clients. Le seul espoir de gagner quelques euros suffirait à convaincre les maîtres les plus rétifs, y compris en l’absence de contrôleur-complimenteur dans les parages. Et il n’est pas certain que les dépenses engagées, ces dons en nature ajoutés aux coûts salariaux, soient supérieures à celles gaspillées en vain par les méthodes classiques, motocrottes et toutounettes confondues, qui finalement se sont révélées désespérément inefficaces. Tertio, une amélioration du climat social urbain: le propriétaire de chien ne serait plus considéré par le non-propriétaire de chien comme un ennemi, mais comme un bienfaiteur de l’humanité grâce à sa conduite exemplaire. Quant au contrôleur-complimenteur et au maître du chien, ils se rencontreraient avec grand plaisir et sans la moindre suspicion ni agressivité.
Que l’on ne se méprenne pas sur mes propos qui peuvent prêter à sourire. Cette proposition est très sérieuse et mérite d’être étudiée avec soin par des audits compétents afin de voir si elle tient, si j’ose dire, la route. Dans cette hypothèse, on pourra seulement regretter d’être obligé d’en arriver à de pareilles extrémités pour faire adopter par certains de nos concitoyens un comportement élémentaire qui relève du simple bon sens et du minimum d’hygiène, de respect et de considération vis-à-vis de leurs semblables.
Mais le plus intéressant, c’est, sans nul doute, que ce système pourrait s’étendre non seulement à tous les manques de civilité mais aussi aux délits ou crimes les plus divers, le dédommagement étant proportionnel à la gravité de ces derniers. Ainsi le braqueur qui s’abstient d’attaquer une banque pourrait recevoir de la collectivité une récompense conséquente et je ne parle pas de l’assassin arrêté dans son élan meurtrier par l’espoir d’encaisser un véritable pactole.
J’engage donc nos élites politiques, à commencer par le Président de la République, à réfléchir sur cette idée qui entraînerait, si elle était appliquée, une véritable rupture dans la politique sécuritaire du gouvernement et qui semble bien être le seul remède universel pour faire disparaître la merde de nos trottoirs et, par la même occasion, vider les prisons et faire reculer l’insécurité dans notre pays