La Syrie va donc remettre ses stocks d’armes chimiques à la communauté internationale pour qu’ils soient détruits. Fort bien.
Sauf que ce n’est pas l’armée syrienne qui a utilisé ces armes récemment à Damas.
Ce qui veut dire que d’autres (en l’occurrence les rebelles) ont toujours des armes chimiques (on a d’ailleurs trouvé dans des tunnels différentes substances toxiques provenant d’Europe ou des pays du golfe), qu’ils se sont vantés sur des vidéos qu’ils les utiliseraient et qu’ils les ont d’ailleurs déjà utilisées dans les combats récents (voir les déclarations de Carla del Ponte).
Rien n’est donc résolu sur le fond et demain d’autres enfants pourraient très bien mourir après avoir été gazés, surtout s’ils sont kurdes, chrétiens, chiites ou alaouites. Mais il semblerait que pour Washington, seul le gaz détenu par Bachar el Assad soit dangereux. C’est en tout cas ce que pense son allié israélien, qui a finalement moins peur d’Assad que des rebelles. En effet, si ceux-ci finissent par remporter la victoire, ils auront accès aux stocks de l’armée syrienne et rien ne dit qu’ils ne vont pas les utiliser contre Israël.
Donc, ce coup monté pour lequel on n’a pas hésité à massacrer des enfants, permettait à la fois d’affaiblir Assad en bombardant la Syrie et de protéger Israël en allant détruire les fameux stocks d’armes chimiques.
Mais la Russie, qui est décidemment très forte ces derniers temps, et qui veut faire comprendre aux USA qu’ils ne sont plus seuls à diriger le monde, est parvenue à éviter ces frappes américaines en proposant la destruction des stocks syriens (qu’Assad n’utilisait quand même pas pour le moment).
Comme les Occidentaux (sauf Hollande, qui avait fait de la chute de Bachar el Assad une priorité de sa campagne électorale, en bon valet d’Israël qu’il est) étaient réticents à intervenir et qu’Obama lui-même semblait un peu hésitant (mais la pression de différents lobbies -à vous de deviner lesquels- l’avaient quand même poussé à vouloir frapper militairement la Syrie), tout le monde s’est emparé de la proposition russe avec soulagement.
Evidemment, ceux qui voulaient la guerre (les pro-israéliens Kerry, Hollande et Fabius) ont tout de suite compris l’opportunité qui s’offrait à eux : ils ont dit en substance : d’accord, on n’intervient pas cette fois-ci et on détruit les armes chimiques, mais au moindre dérapage, on ira bombarder la Syrie en représailles. Assad, à qui on a déjà imputé un massacre qu’il n’a pas commis, a tout de suite compris le piège : une fois ses armes chimiques détruites, les djihadistes gazeront quelques centaines de personnes supplémentaires et on le rendra, lui, une nouvelle fois responsable de ce carnage, ce qui justifiera l’entrée en guerre de l’Occident. Le problème, c’est justement qu’il n’aura plus ses armes chimiques pour se défendre (car s’il avait clairement dit qu’il ne les utiliserait pas contre son peuple, il ne s’était pas caché non qu’en cas d’attaque étrangère contre la Syrie, il y aurait recours).
Donc, si on peut se féliciter que l’attaque contre la Syrie a été ajournée, je me montre quand même un peu pessimiste. Les USA n’avaient pas attaqué l’Irak d’emblée. Ils avaient d’abord affaibli ce pays par une première guerre du golfe, puis par un blocus économique et militaire, et enfin en bombardant régulièrement des zones sensibles pendant plus de 10 ans (tuant au passage des civils, femmes et enfants compris, en très grand nombre, et faisant certainement plus de victimes qu’Assad n’est supposé en avoir fait à Damas). Ce n’est qu’une fois l’armée irakienne affaiblie qu’ils l’ont affrontée directement. Il en a été de même avec la Libye, Kadhafi ayant renoncé à un certain moment à se doter de l’arme atomique contre la promesse américaine de ne pas l’envahir. On a vu ce que ces promesses valaient.
Donc, pour revenir à la Syrie, je suis certes content que ce pays ne soit pas bombardé pour une faute que son gouvernement n’a pas commise (car on sait ce que valent les frappes soi-disant chirurgicales), mais je reste pessimiste pour l’avenir. En effet, ces armes chimiques constituaient quand même une belle dissuasion contre toute attaque terrestre d’une armée étrangère.
En attendant Israël doit rire, puisqu’il voit son vieil ennemi s’affaiblir (n’oublions pas que les missiles atomiques israéliens sont pointés sur la Syrie depuis des années et qu’ils vont le rester). En plus, les stocks d’armes chimiques ne risqueront plus de tomber dans les mains des rebelles, qui auraient pu en faire un mauvais usage. Car une arme chimique n’est mauvaise que lorsqu’elle se retourne contre vous et jamais quand elle tue un ennemi. C’est d’ailleurs pour cela qu’Israël dispose lui aussi d’importants stocks d’armes chimiques. Ce ne sont ni les USA ni les Russes qui le lui reprocheront, car ces deux pays, bien qu’ils aient signé la fameuse convention de 1997, se sont bien gardés de détruire l’entièreté de leurs stocks. On ne sait jamais…
Bon, tout cela c’est très bien, allez-vous me dire, mais votre raisonnement depuis le début repose sur un postulat, celui selon lequel Assad serait innocent et n’aurait pas commis les crimes qu’on lui impute dans la banlieue de Damas. En effet. Mais si on peut douter de la pertinence de mon raisonnement, moi qui ne suis qu’un petit blogueur anonyme, il est d’autres personnes plus illustres qui disent la même chose et c’est avec une certaine satisfaction que j’ai retrouvé certains de mes arguments chez des militaires de haut grade :
http://www.voltairenet.org/article180213.html
Enfin, pour terminer, moi qui ai assez souvent fustigé la presse pour ses mensonges délibérés dans l’analyse de la crise syrienne, je voudrais ici rendre hommage à un journaliste courageux de La Voix du Nord, qui ose apostropher son rédacteur en chef de manière assez directe tellement il est écœuré par le discours de ce dernier :
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article3896