Où vont les gens qui courent ?

Publié le 14 septembre 2013 par Livmarlene

"Même au moment de passer l'arme à gauche, on sera à la bourre." Cette phrase, signée d'un de mes amis, m'a inspirant la réflexion que je vous fais partager aujourd'hui. (au passage, je remercie donc ma muse ^^) Le légendaire bon sens des Africains leur fait dire : "Pourquoi tu cours, on arrivera ensemble à la fin de l'année, non ?" Impossible de nier cette vérité. Pourtant, nous courons. Notre société court. Tout le monde court après le temps, cherche à l'économiser, à le rattraper lorsqu'il a été perdu, comme si le temps était un objet ou un animal que l'on pourrait garder en cage. Or le temps s'écoule, inexorable. Longtemps, j'ai été fascinée par ceux que je voyais courir le long des routes, par temps de pluie ou de gros vent. J'ai fini par entendre parler des endorphines. Les coureurs sont alors devenus pour moi des drogués un poil radins, qui se débrouillent pour avoir leur dose sans débourser le moindre kopeck, si ce n'est pour une paire de pompes. Des shootés à l'agitation, incapables de supporter le moindre instant d'immobilité. Et si c'était le contraire ? Si ceux qui courent avaient trouvé le secret pour être un peu moins esclaves d'un rythme frénétique sourd à nos besoins naturels ? Guillaume Le Blanc est un philosophe étrange. En effet, il a questionné et étudié une activité jusqu'alors méprisée par ses prédécesseurs : vous l'aurez deviné, la course à pied. Rue 89 a publié un entretien où il survole la pensée développée dans son ouvrage, Méditations physiques, paru chez Flammarion. Au journaliste, le penseur explique entre autres : "Assumer une philosophie de la course, c’est affirmer qu’il y a des méditations qui commencent très sérieusement avec le corps, dans le corps et par le corps." Le corps ne serait donc pas l'ennemi de l'esprit, pas plus que sa mise en mouvement intense. Evidemment, on n'a pas la même capacité de réflexion lorsque l'on avale des kilomètres à vive allure, que lorsque l'on est tranquillement assis dans un fauteuil à oreilles, un plaid sur les genoux. Mais oxygéner le corps, c'est aussi oxygéner le cerveau. Fatiguer le corps, cela permet d'évacuer ce que l'on englobe sous le terme de stress et donc, d'améliorer la qualité du sommeil. Le sommeil qui est, est-il besoin de le rappeler, un élément déterminant dans la capacité d'apprentissage et par ailleurs, un bon conseiller. Courir, ce n'est pas toujours fuir. C'est même souvent s'aider à trouver un chemin de vie. Quand on court, on est dans les sensations, dans le corps, dans le présent. On laisse derrière soi les pensées parasites jusqu'à faire le vide, un vide nécessaire à la créativité, à la liberté de décider. Une fois finie la petite ou grosse foulée, le coureur retourne à sa vie, son domicile, son travail, ou ailleurs. Il a repris possession de son corps, "maison de son esprit". Il a expérimenté un effort délibéré et même, quand celui-ci devenait très important, une forme de relativité du temps. Les gens qui courent poursuivent la sensation de vie, laissant de côté (pour un moment au moins), le souci d'une coiffure parfaite, d'un teint frais, d'aisselles parfaitement sèches et d'un pantalon tendance. Ce faisant, ils mettent en action les mots de Saint Augustin : "Avance sur ta route, car elle n'existe que par ta marche."
(Image tirée du film Cours Lola, cours de Tom Tykwer. Une Lola incarnée par la fabuleuse Franka Potente)