Curieuse information: on apprend ce matin que l’infameux « bijoutier de Nice » bénéficierait du soutien de près d’un million de personnes sur Facebook, et que les Tweetos seraient en train de s’y mettre aussi. Et le débat de s’enflammer entre les gardiens de l’ordre à la schlague et les défenseurs des valeurs de la démocratie. Mais finalement, l’information, c’est quoi? Qu’un boutiquier quelconque puisse susciter un courant de sympathie de la part d’un million d’internautes désoeuvrés, ou que lesdits internautes soit si nombreux à se mobiliser pour un fait divers aussi absurde quand la réforme du droit du travail peine à mobiliser des manifestants ou quand diverses mafias continuent de se partager Marseille, l’agroalimentaire, la pharmaceutique et tant d’autres choses?
Le maire de Nice Christian Estrosi et ses copains, jamais à court d’une connerie quand il faut lécher les bottes de Marine Le Pen, sont allés jusqu’à suggérer que les commerçants devraient pouvoir posséder une arme pour défendre le fruit de leur travail. Les ouvriers aussi aimeraient bien défendre leur boulot, mais ça m’étonnerait fort que quiconque leur fournisse de quoi empêcher les licenciements financiers et protéger leurs contrats toujours précaires.
Et puis parallèlement, les échéances électorales de 2014 approchant, on nous refait le coup de la menace frontiste, et des sondages catastrophiques qui prévoient des triangulaires, des cités entières acquises aux idéaux fascistes, un avenir sombre pour les toutes les minorités pas très catholiques de souche.
Alors les soutiens du bijoutier de Nice, cet espèce de symbole anti-bande à Bonnot reflètent-ils vraiment une percée du fascisme en France? Laissez-moi rire. Ca fait longtemps, depuis Poujade en gros, que la France est la patrie de l’épicier, de l’âme étroite qui compte fourbement sa monnaie, qui pleure comme une madeleine pour payer moins et vendre plus, sans rime ni raison; ça fait des lustres que les PME se la jouent moteur de l’économie alors que la majeure partie d’entre elles ne sert rigoureusement à rien; et aussi loin que l’on remonte, toute cette caste de comptables arides et limités n’a pour seul horizon existentiel que la baisse des charges et la fidélisation des chalands à coups de sourires aussi honnêtes qu’une prévision de croissance gouvernementale. Ils se targuent d’animer campagnes et centre-villes, alors qu’ils ne font qu’enlaidir les rues avec leurs façades hideuses et leurs promotions absurdes. A quelques exceptions près (comme les libraires indépendants et certains bars conviviaux), ils pourraient tous disparaître qu’on ne s’en porterait pas plus mal. Et le million de signataires des réseaux sociaux n’en sont que les esclaves satisfaits.
Encore, l’épicier, au sens strict du terme, peut-il avoir son utilité. C’est toujours sympa de pouvoir s’acheter à manger, puisqu’on est encore loin de l’abolition de la propriété et de la production collective. Mais le bijoutier? Faites un tour dans n’importe quel musée où vous pouvez trouver des reliques mérovingiennes, et vous verrez qu’avec trois coquillages et des colorants naturels on pouvait faire des parures autrement plus jolies que les cailloux sculptés par un joailler obscur. Là où ils ont été malins, c’est qu’ils ont paré leur camelote du voile de l’amour. Si tu es contre offrir à ta bourgeoise une caillasse précieuse pour une raison aussi absurde qu’incompréhensible, c’est que tu n’as pas de coeur. Tu peux toujours objecter que si tu aimes vraiment ta dulcinée, tu a le droit de te demander quand même d’où vient le matériau qui a servi à confectionner le joyau (cf. les récentes manifs en Afrique du Sud), avant de lui offrir un bouquet de sang, on te dira on s’en fout, c’est en Afrique ça nous regarde pas. Bref, en ce qui me concerne, braquer un bijoutier n’est en rien une faute morale, tout comme voler plus riche que soi n’est qu’une juste remise à niveau du partage des richesses.
Vous l’aurez compris, je ne suis pas prêt de signer la pétition de soutien au bijoutier, je n’en ai même absolument rien à secouer. Mais d’un autre côté, je ne lui jette pas la pierre (précieuse). Pas parce que je pense qu’il peut légitimement shooter le premier monte-en-l’air venu. Après tout, s’il était prêt à risquer sa vie pour sa boutique, ce qui est presque aussi con que de vouloir mourir pour sa patrie, grand bien lui fasse. Comme je l’ai dit plus haut, son imagination ne peut guère s’étendre au-delà de ses étals et de la grille qui protège son univers étriqué.
C’est plutôt parce que j’en veux aux braqueurs. Les gars, dérobez banquiers, bijoutiers, vendeurs de tout ce qui est précieux mais qui ne vaut rien, vous aurez toujours mon soutien inconditionnel. Mais faites au moins preuve d’un peu de professionalisme. Avant que de vider la boutique du vieux schnock qui fournit la Côte d’Azur en camelote pour vieilles connasses à fourrure, que ne l’avez-vous solidement garrotté à une chaise, et pris votre temps pour tout emporter? Lentement, patiemment, procédez à un inventaire de tout son stock, comptez, analysez, profitez de l’expertise du bijoutier pour savoir quel prix vous tirerez de son butin. Dans un supplément de cruauté à l’endroit du parasite à pignon sur rue, racontez-lui comment vous allez brader ses merdes, comment vous allez en distribuer à des pauvres gens pour qui un collier représente un an de salaire, et pour l’achever, dites-lui bien que tout ceci sera net d’impôts. Le vieux en crèvera de chagrin, et ce sera bien plus conforme aux règles de l’art. Pas de pitié pour les exploiteurs.
Mais là, vous avez juste salopé le boulot, et vous vous êtes fait pincer comme de vulgaires voleurs à l’étalage. C’est triste, mais c’est presque bien fait pour vos gueules aussi.