par Frédéric Vigne
Ce qui vient de se passer sur l'Estive du Pouilh(*) est intéressant et révélateur à plus d'un titre. Il nous en dit long sur une réalité qui n'est que l'histoire constante d'un éternel mensonge, d' un perpétuel jeu de dupes et d' un répétitif et lancinant scénario où les acteurs, tout comme le script, sont inchangés depuis des lustres.
Etant en Ariège, on ne peut certes pas s'attendre à de la nouveauté. Ce serait comme demander à un manchot de voler. Et on peut sans trop de risque déduire des expériences passées certaines projections pour l'avenir.
Le berger sera sans doute indemnisé. Après quelques tours de pistes pour faire croire à un examen sérieux et impartial, l'ONFCS relèvera le doute légitime, et l'ours, qui décidément est bien pratique pour engranger de la thune - donc pourquoi vouloir l'éradiquer, mais bon - sera désigné coupable potentiel. Le préfet du coin, enfin la préfète, arrivée "avec un oeil neuf" (sic) va prendre en l'espèce une décision tout ce qu'il y a de vieux.
Les écologistes officiels, ceux qui vous dégouttent de l'Ecologie - à croire qu'ils s'en sont fait une vocation - ne diront comme d'habitude rien, puisqu'en leur sein la plupart sont des agrariens, pas des naturalistes. Et nous, eh bien nous protesterons, puis finalement avalerons la couleuvre. Notez que je me contente d'une métaphore buccale alors que c'est une toute autre qui me vient à l'esprit.
D'où ma question: à quoi servons-nous? Quand je dis "nous", je parle de ceux qui veulent une montagne vivante, ceux pour qui l'ours n'est pas négociable. Nous, ce sont les associations, leurs membres, et ceux qui ne veulent plus en faire partie ou bien pas y entrer. Nous, quoi! Nous tous!
Nous qui à longueur de contributions, de posts, d'argumentaires et de contre-arguments, d'indignations, d'espérances, d'amertume, de déception ou d'enthousiasme, nourrissons un débat autour d'un sujet où force est de constater que là encore, il n'y a rien de franchement nouveau (à part deux naissances pour lesquelles j'ai déjà porté un toast en privé avec un excellent bourbon).
Nous, nous sommes les poissons rouges qui faisons des bulles dans notre bocal sous l'oeil amusé des brochets à béret et à fusil. Ils surjouent l'agacement, c'est du théâtre. Ils ne nous craignent pas, ils nous instrumentalisent pour motiver leurs troupes vociférantes et encaisser l'argent de l'Etat. Nous sommes les idiots utiles.
Car enfin, que faisons-nous? Nous protestons, nous communiquons entre nous, nous nous écoutons parler et nous regardons écrire, nous débattons entre nous, signons des pétitions. Tout cela est fort louable, mais quelle est l'action concrète? Il n'y en a qu'une, et elle concerne les zones à loups, donc pas les Pyrénées: Pastoraloup.
La seule action concrète que nous menons est d'épauler les adversaires acharnés des grands prédateurs. Des idiots utiles, disais-je. Nous ne sortons pas du registre de la posture indignée, nous ne sommes jamais dans l'action, dans l'offensive autre que verbale, limitée et sans aucun écho car nous ne nous adressons qu'à nous-mêmes. Et lorsque nous allons vers le public, c'est sous forme d'expositions pédagogiques sur le bien fondé de la biodiversité.
En clair, nous avons soit une démarche groupusculaire, soit une logique d'instituteur. Mais de position de combat, jamais. La doxa du consensus nous enchaîne, alors même que nous vivons dans un pays où le consensus, historiquement, n'a jamais existé. On n'est pas en Suède.
Nous semblons avoir peur de notre courage. A moins que nous mesurions à quel point nous en manquons. Je lis et je relis qu'il faut faire quelque chose, que c'est inadmissible, que quelque chose doit être fait, qu'on ne peut pas laisser les choses en l'état.
Ce que par contre je ne lis jamais, c'est un plan d'action, ni qui va le mener. C'est toujours le voisin qui doit faire quelque chose. "Armons-nous et partez" devrait être notre devise car au jour d'aujourd'hui, aucune autre ne nous sied mieux.
Nous confondons temps passé (à écrire des posts, des articles, des contributions...) et temps utile. Nous devons changer radicalement ou bien alors dégager la piste pour que de meilleurs que nous fassent un boulot que l'on néglige. Nous protégeons l'ours comme les éleveurs de Barèges-Gavarnie protègent leurs moutons.
Nous avons une fenêtre historique. Le berger a menti, délibérément, et même l'ONFCS n'a RIEN trouvé. Le doute légitime ne sera appliqué qu'à postériori. Si nous gérons bien, nous pouvons leur faire mal, ce coup-ci! Ils ne nous ferons pas ce cadeau deux fois, en tout cas mieux vaut ne pas trop y compter, même s'ils ne sont pas bien malins.
La presse nous est fermée? Pas les publi-communiqués, certes payants, mais où l'on écrit ce qu'on veut...justement parce qu'on paye pour ça. Pas besoin de passer par le filtre objectif de la PQR et de ses Pulitzer locaux. On peut s'offrir un "J'accuse!" tonitruant. Même si ça coûte 3.000€, on peut facilement les trouver! Nous sommes bien une vingtaine, une cinquantaine, plus les associations, ça ne va pas nous ruiner!
Pour mener un combat, il faut deux choses:de la DETERMINATION et de l'ARGENT.
La cause est connue, l'adversaire identifié, donc il faut concentrer le tir sur ses lignes, les pilonner au mortier lourd, les faire céder. Il faut pousser l'adversaire à la faute, l'amener à découvert, devant nos concitoyens. Il faut mettre leurs mensonges au grand jour. Il faut les clouer au pilori une bonne fois, devant le peuple! Il faut faire nôtre cette devise d'Anatole France: "Nous aurons raison, parce que nous avons raison!"
En avons-nous le courage, ou même l'envie? Franchement je m'interroge.
Il n'y a ni compromis, ni consensus possible. On négocie en position de force, pas le couteau sur la carotide. Inversons le rapport de forces, on parlera plus tard. Et comme ils n'ont rien dans les tripes, ils accepteront tout ce qu'on voudra.
Vous, mes bien chers camarades, je ne sais pas. Mais moi, je ne suis pas à la retraite, mes journées sont remplies, de surcroît je ne vis plus dans les Pyrénées mais à 6000 km, et en plus je me marie dans trois semaines. Tout ça pour dire que j'ai autre chose à faire que de tricoter de longs paragraphes stériles sur l'ours dans nos Pyrénées. (notez que je me considère toujours pyrénéen, aucun porte-flingue de l'ASPAP ne pourra jamais m'enlever ça).
Alors parfois je me demande si c'est bien sérieux, tout ça. Après tout, 25 ours de plus ou de moins, ça ne va pas changer la face du monde, ça n'empêchera pas la banquise de fondre ni les sols d'être pollués. Il y a des sujets de société bien plus brûlants à régler. Il y a l'avenir de nos gamins à assurer. Les traites à payer, le travail à tâcher de ne pas perdre (Dollo ou Bonrepaux ne risquent rien, eux).
Non, vraiment, on devrait tous faire autre chose, profiter de la vie, amener les enfants au zoo, voir les ours qu'on n'a pas défendus, ou si mal.
En l'état actuel, à quoi servons-nous ? Répondez vous-mêmes.
Frédéric Vigne
Free-lance photographer
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