Rendons à Gaudi ce qui lui appartient :-)
J'ai écris, déjà, que ce sont les édifices modernistes catalan qui épatent le plus à Barcelona, une ville qui a pourtant beaucoup à offrir aux visiteurs.
Et si certains sites - et ce type d'architecture - sont aussi populaires aujourd'hui et font la réputation de Barcelona et de toute cette région de l'Espagne, c'est en partie à cause du génie de Gaudi.
Pour ceux qui ne connaissent pas le personnage et ses réalisations, je ne referai pas ici ce qui a déjà été fait en partie sur Wikipedia, allez lire la page qui lui est consacré et qui fait un bon survol de sa carrière.
Après avoir exploré - en quelques visites à Barcelona - cinq des oeuvres majeures de l'architecte - et faute de lui avoir consacré des billets conséquents auparavant - voici donc une courte série de 5 billets portant sur ces oeuvres.
Ce premier billet-photo vous présente une oeuvre peut-être méconnue (ou un peu plus négligée des visiteurs), un palais réalisé par Gaudi au début de sa carrière (1886-1890).
Le palais a été érigé à la demande d'Eusebi Güell, un industriel et homme politique catalan (il a été conseiller municipal à Barcelona), un nom qui est passé à l'histoire pour avoir été un admirateur et un commanditaire important de l'architecte Antoni Gaudi. La façade de pierre montre deux arches paraboliques et maintes décorations de fer forgé, dont ces armoiries de la Catalogne surmontée d'un dragon. Au-dessus des portes (à droite en bas sur la photo), des serpents de fer forment un G, l'initiale du propriétaire de la maison.
L'intérieur est absolument spectaculaire; passé l'escalier monumental, on accède à une série de pièces du premier étage (planta noble) éblouis par les fenêtres en ogive, les plafonds à caisson, les bancs-rampes et autres truc astucieux dont la maison semble remplie.
Les pièces de devant, au premier, étaient des pièces où Güell recevait des visites. Elles étaient donc séparées des pièces privées comme les chambres, mais un passage à la mezzanine du second étage permettait au propriétaire d'observer ses visiteurs sans être vu, et ce par d'ingénieux interstices intégrés aux moulures de bois du haut des murs, sous le plafond.
Gaudi n'avait pas pour habitude de ne réaliser qu'un dessin ou un plan général. Il bâtissait des maquettes, dessinait les décorations, concevait des meubles, une maison était donc un tout qui devait être cohérent.
L'ensemble des pièces du Palau Güell évoluent autour d'une grande pièce centrale qui s'ouvre sur tous les étages vers un plafond en coupole monumental; l'effet est spectaculaire, et bien évidemment, très difficile à rendre sur une photo. Plutôt que de réserver une pièce pour y faire une chapelle (ce qui était l'habitude à cette époque), Gaudi a intégré une chapelle-autel-armoire à ce grand salon principal, permettant donc de le transformer complètement en chapelle en quelques minutes, et de retrouver le salon au complet une fois la messe terminée. Mieux encore, il a incorporé un orgue à la structure, dont le clavier était à côté de l'armoire-autel, et les tuyaux donnent sur la coupole du plafond, au dernier étage, pour un meilleur rendu acoustique.
Enfin, comme les maîtres de maison pouvaient ne pas vouloir assister à la messe avec les autres personnes présentes, un balcon dans leurs chambres, donnant sur le salon, leur permettait d'être présent, mais de manière privée, et sans sortir de leur intimité. Il s'agit peut-être de détails anecdotiques, mais ils représentent bien comment Gaudi confectionnait un édifice, imaginant des solutions astucieuses pour occuper de manière efficace et agréable l'espace à sa disposition. En ce sens, le Palau Güell respire l'espace et la lumière; et même si on passe d'une pièce à l'autre et d'un étage à l'autre, essentiellement toujours autour du salon central, on a l'impression d'une résidence gigantesque alors que l'immeuble est relativement étroit.
Compte tenu de la conception de l'édifice, le toit devait comporter 14 cheminées et quelques puits de lumière. Plutôt que de considérer ces éléments comme simples utilitaires, il en a fait des décorations, initiant ainsi une vague décoratives des toits de Barcelona qui allait faire la réputation de la ville des décennies plus tard. Porcelaine, vitre et marbre allait être utilisés pour créer des formes originales: pyramides, cônes tronqués ou spirales, surmontés de chapiteaux coniques et l'ensemble recouvert de fragments de céramiques, une technique qu'on allait baptiser trencadis. Cette technique était parfaite pour capter et refléter au maximum la lumière naturelle, et constituait la meilleure manière de recouvrir de céramique les formes rondes ou inégales de ses structures. Notez que le toit n'est pas plat, il est inégal, formant des vagues, ce qui évite l'accumulation d'eau.
Cent vingt ans après la construction du Palau Güell, où Gaudi utilisait sa technique pour la première fois, le résultat est toujours aussi fantastique et spectaculaire. Ces décorations donnent à cette maison un aspect fantaisiste qui était déjà présent dans la conception de certaines pièces, couloirs ou balcons secrets, via ses accès cachés et portes dérobées et son orgue intégré à la structure du salon et de la coupole... c'est, sans vouloir faire de jeux de mots, la cerise sur le sundae du Palau Güell.
Avec le passage des décennies et l'exposition aux éléments, il a fallu restaurer ces cheminées-oeuvres d'art, et au passage, un artiste a ajouté un petit élément contemporain, le logo et la mascotte des jeux olympiques de 92 sont donc maintenant cachés à travers les mosaïques des cheminées du Palau Güell. Quand on sort de la visite de cet immeuble aussi beau qu'astucieux, on se dit que Gaudi aurait apprécié.
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