L’unité de maternologie de Saint-Cyr-L’Ecole ne devrait plus accueillir, le soir, les mères souffrant de dépression post-partum. Une maman témoigne.
Une mère et son enfant, à la maternité, à Paris (AJ PHOTO/BSIP)
Par un communiqué daté du 6 septembre, le centre hospitalier Jean-Martin Charcot a annoncé « l’évolution » de son unité de maternologie de Saint-Cyr-L’Ecole (Yvelines) en « unité parents-bébés ». Simple changement sémantique pour définir ce lieu pilote, fondé il y a 26 ans, où sont prises en charge les mères souffrant de post-partum ?
Pour les associations de défense des mères et de cette pratique spécifique de traitement de la difficulté maternelle, il s’agit bien plus d’une mise à mort.
« Le nouveau projet permettra de développer une hospitalisation de jour », explique le communiqué.
« Un retour en arrière », dénonce le docteur Frédérique Jean, vice-présidente de l’Association française de maternologie, puisque jusqu’à présent, la prise en charge des mères était aussi assurée de nuit pour des séjours courant sur plusieurs semaines.
Depuis juin 2013, l’unité est d’ailleurs rattachée à un pôle de psychiatrie infanto-juvénile. « On psychiatrise une souffrance qui n’est pas pathologique », s’étrangle Cécile Croquin, coprésidente de Maman blues, une association d’aide aux mères souffrant de post-partum.
« C’est gravissime, confirme Frédérique Jean. Cela va totalement à l’encontre des soins dispensés en maternologie où il s’agit de redonner confiance aux mères. Là, on leur colle l’étiquette de “mère folle”. »
A notre demande d’interview, la direction du centre hospitalier Charcot nous a fait savoir qu’elle n’avait « rien à ajouter » au communiqué.
Vanessa : « J’ai du mal à l’aimer »
LA DÉPRESSION DU POST-PARTUMDifficile de donner des chiffres exacts, tant ce mal reste encore difficilement assumable, dans une société où l’image de la maternité ne souffre pas d’être écornée… On estimerait à 10% le pourcentage de mères en faisant les frais chaque année.
Au terme de « dépression du post-partum », les tenants de la maternologie préfèrent d’ailleurs celui de « difficulté maternelle » puisque ce qui se joue dans ce profond mal-être qui atteint la mère, de quelques semaines à quelques mois après la naissance, c’est sa difficulté à établir un lien avec son nourrisson.
« La difficulté maternelle recouvre des réalités très diverses, de la grosse fatigue jusqu’à l’envie de mourir. Mais dans tous les cas, il est important de ne pas la banaliser. De ne pas juste se dire “ça va passer” », estime Frédérique Jean.
Vanessa, 33 ans, mère d’une fille de 4 ans et demi et d’un garçon de 17 mois, est passée par l’unité de maternologie en 2012, quand son fils avait 6 semaines. Elle raconte.
« Dès le jour de sa naissance, mon petit garçon m’a paru étrange. Je m’attendais à avoir un bébé brun et chevelu, à l’image de ma fille, née quelques années auparavant. Or, j’accouche d’un nourrisson presque chauve, très blanc aux yeux bleus.
J’ai le sentiment de ne pas le “ reconnaître ”. Je n’arrive pas à faire de belles photos de lui : il hurle énormément, il régurgite tout le temps : pas un cliché où ses habits ne sont pas maculés. Et il trimballe avec lui une constante odeur de vomi. Je ne me le formule pas, mais j’ai du mal à l’aimer.
Les jours passent. Merlin crie toujours énormément. Les tétées durent une éternité et, à la fin, il recrache tout. Il dort peu et logiquement, moi non plus. Je me lève trois ou quatre fois par nuit, je n’ai bientôt plus assez de vêtements pour le changer entre deux vomis. Je suis épuisée et on me dit que “ c’est normal ”. Moi, je me dis que je vais partir. Que ce sera mieux pour mon mari et mes enfants. Que je reviendrai dans quelques années, quand les choses se seront apaisées. Que pour mon fils, je ne suis qu’une source de nuisance. Que je ne “ sais ” pas faire.
Un soir, la tétée de Merlin prend des plombes, comme d’habitude. Je n’en peux plus et je le pose dans son lit. Parce qu’à ce moment là, je me dis que je vais le passer par la fenêtre. Je vais donner le bain à mon aînée qui fait un peu la folle pour attirer mon attention. Elle m’agace et je lui saisis le poignet, violemment. Et j’ai cette pensée qui me traverse le crâne : “ Cogne la contre le carrelage, ça va la calmer. ” Là, je me dis que non, ce n’est pas “ normal ”, qu’il faut que je me fasse aider.
“Pas normal”
J’avais entendu parler de l’unité de maternologie sur le site de Maman blues, une association qui aide les mères victimes de dépression post-partum. Je reste longtemps devant mon téléphone. Il faut du courage pour appeler, pour dire qu’on ne va pas bien. Au bout du fil, une infirmière me passe immédiatement une psy. Je me rappelle qu’elle m’a dit :
“ Ce n’est pas normal que la maternité vous mette dans cet état-là.”
“ Pas normal ”. Pour la première fois, on reconnaît ma situation… “ Je vous propose un rendez-vous demain ”, poursuit-elle. Je n’ai pas le temps de dire non.
Le lendemain, je me maquille, histoire de montrer que je ne vais pas si mal que ça. A l’unité de maternologie, on ne vous fait pas poireauter pendant des heures : je suis reçue rapidement par deux thérapeutes. Merlin est avec moi et, très vite, je me sens entourée d’une grande douceur. A la fin de l’entretien, le docteur Carlier, la psychiatre responsable de l’unité, me propose, si je le souhaite, une hospitalisation de deux semaines. Je pleure toutes les larmes de mon corps. De tristesse, d’une part, parce que cette admission signifie que je ne vais vraiment pas bien. De soulagement aussi parce que je sens qu’ici, on va pouvoir m’aider.
Je reste deux mois et demi en maternologie. Nous sommes quatre mères, épaulées par une équipe soignante extraordinaire. Chaque jour, nous avons des entretiens avec des psys. J’y parle de mon histoire, on fait un retour sur la grossesse.
Les infirmières : elles sont des tantes, des cousines
Avec le recul, je ne saurai pas trouver “ une ” cause précise à mon pétage de plomb. Mais des portes se sont ouvertes. J’entrevois des réponses possibles liées à mon histoire familiale, au sexe du bébé. Il y a aussi une équipe d’infirmières qui nous aide à nous occuper des enfants, prend le relais quand nous n’en pouvons plus. Elles nous supplient presque de dormir pour que nous récupérions.
Elles ne portent pas la blouse et, à nos yeux, elles sont comme des tantes, des cousines. En fait, l’unité de maternologie offre ce que notre société moderne nous a fait perdre : un accompagnement sur le chemin de la maternité. Aujourd’hui, les familles sont plus éclatées, nos mères moins présentes pour nous aider. Quant à nous, nous voulons à tout prix endosser un habit de “Superwoman ” très lourd à porter. Il me semble qu’aujourd’hui, la maternité, c’est une histoire de femme seule.
Entre mamans, nous échangeons peu. Nous prenons nos repas ensemble, pour autant, nous ne nous racontons pas nos vies. Nous ne voulons pas nous “ charger ” les unes les autres. Nos valises sont suffisamment lourdes comme ça. A l’unité, il n’y a pas de télé, pas de radio. Ça ne me gêne pas. Le calme, c’est ce dont nous rêvons toutes depuis des semaines. Les sorties sont encadrées. Pour autant, je n’ai pas l’impression d’être en prison. Au contraire, on me réapprend la vie. On m’encourage à prendre rendez-vous chez le coiffeur et l’esthéticienne qui sont à côté. Je vais au cinéma avec mon mari. A Saint-Cyr, on ne fait pas que sauver une mère et son enfant. On sauve finalement toute une famille.
Là-bas, Merlin est pris en charge. On lui a diagnostiqué de sérieux reflux gastriques et on lui donne un traitement qui fonctionne. Je recommence à prendre des photos, à faire des petits films de lui. Il babille. Pour moi, le début de la guérison est marqué par ma décision d’arrêter de l’allaiter. Je n’ai jamais aimé ça, ce n’est pas mon trip. Et à la pharmacie, en lui choisissant soigneusement biberon, tétine et lait, j’ai pour la première fois le sentiment de m’occuper bien de lui. La sortie se fait de façon progressive. On rentre chez soi une nuit, puis deux jours. Les entretiens psys se font plus courts, moins profonds. On sent qu’on peut s’envoler à nouveau.
Scandaleuse réorganisation
A mes yeux, la “ réorganisation ” de Saint-Cyr est scandaleuse. Elle démontre de la part de l’hôpital Charcot – dont dépend l’unité – une profonde méconnaissance de ce qu’est la maternologie et un mépris des patients.
Je ne me considère pas conservatrice, mais il me semble que c’est une base essentielle pour tout être humain que d’avoir un lien familial solide. A Saint-Cyr, on “ construit ” des mères et des enfants qui vont bien. Que vont devenir ces mères qui n’ont pas d’antécédents psychiatriques mais qui souffrent d’un mal qui touche quand même près de 10% des parturientes ?
Que vont-elles faire le soir, quand, à 17 heures, elles trouveront porte close parce que l’unité n’assurera plus qu’un accueil de jour ? Car ne nous leurrons pas : c’est la nuit que les angoisses sont les plus abominables. C’est dans ces moments-là qu’on veut se jeter par la fenêtre. Et son bébé avec. »
http://www.rue89.com/2013/09/11/depression-post-partum-cest-nuit-quon-veut-jeter-fenetre-245625
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