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Geoffrey Oryema. "La musique est une arme positive et redoutable"

Par Titus @TitusFR

C’est depuis la Bretagne, cette « terre de résistance » où il est installé depuis deux ans et demi, que le célèbre musicien ougandais Geoffrey Oryema mène aujourd’hui ses combats contre les guerres ou les enfants-soldats. Entouré de musiciens lorientais, il sera en concert au festival de l'îlophone, à Ouessant, le 14 septembre, et le 28 septembre à Guilers.

Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à vous installer en Bretagne il y a deux ans et demi ?

Tout d’abord la beauté de cette région,... et l’amour. Je ne suis pas vraiment dépaysé par ici; je suis originaire de l’Ouganda, que Churchill surnommait "perle de l’Afrique", un pays où se trouve le lac Victoria, deuxième plus grand lac au monde. J’habite aujourd’hui près de la mer, dans la région de Lorient, et cela me rappelle les grands lacs de mon pays d’origine. J’aime aussi la Bretagne car c’est une terre de résistance. À Plogoff, les Bretons ont su faire entendre leur voix, il y a une trentaine d’années, en disant non à l’implantation d’une centrale nucléaire. Et puis, la Bretagne n’a rien à voir avec Paris, qui fut ma première ville d’adoption.

Votre premier album, « Exile », raconte l’histoire de votre exil forcé, à la suite de l’assassinat de votre père. La musique fut-elle une manière de faire face à cette tragédie ? 

Oui, ce premier disque m’a servi de thérapie. Je ne pouvais pas vivre avec cette douleur. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai commencé à faire du karaté. Je voulais analyser cette peur qui me terrassait. J’étais tellement traumatisé par l’Ouganda d’Amin Dada, où des gens étaient enlevés et tués tous les jours, qu’en arrivant à Paris, les pétards du 14-Juillet me terrorisaient. 

Comment êtes-vous arrivé en France ? 

C’est un pasteur breton qui travaillait pour la Croix-Rouge française, Gilbert Baume, qui a tout fait pour que je puisse quitter le Kenya où je m’étais réfugié. On se revoit encore de temps en temps. J’ai été accueilli en France par la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués). Je dois tout à la France, qui m'a tendu la main. 

Nous vous connaissons depuis « Ye ye ye », qui fut utilisée comme générique de l’émission « Le Cercle de minuit », de Michel Field. Avez-vous été surpris de l’intérêt suscité à l’époque ? 

J’ai eu du mal à comprendre ce qui m’arrivait lorsque ma maison de disques, Virgin, m’a appelé pour me demander mon autorisation. Michel Field cherchait un générique et il a eu le coup de foudre pour cette chanson. Le plus drôle, c’est que je ne croyais pas du tout au potentiel de ce titre. C’est Brian Eno, qui a produit mon premier album, qui était persuadé que ça ferait un tube. Il a eu raison. Grâce à « Ye ye ye », nous avons obtenu un disque d’or. Le standard de France 2 a été assailli d’appels de téléspectateurs qui voulaient savoir qui interprétait cette chanson... Le disque a aussi vraiment bien marché à l'étranger, notamment au Canada.

Vous avez fait entendre des sonorités totalement nouvelles grâce à certains instruments traditionnels, comme le lukeme. Comment avez-vous appris à en jouer ? 

C’est mon père qui m’a appris. C’est lui aussi qui m’a initié à la harpe à sept cordes, le nanga. J’ai attrapé le virus de la musique à l’âge de cinq ans grâce à mes parents. Au début des années 60, ma mère était directrice de la troupe de danse nationale « Heartbeat of Africa ». Mon père, lui, était fonctionnaire, mais sa véritable passion était la musique. Ma mère chantait très haut alors que mon père avait une voix très basse. J’ai dû prendre un peu des deux. J’ai commencé très jeune à donner des petits spectacles pour la famille; j’étais très réservé mais déterminé. Après mon bac, on m’a donné deux choix : si je ne faisais pas de musique, je serais devenu médecin... Aujourd’hui, je soigne par la musique. Je suis un peu un mouton noir au sein de la famille, car je suis le seul qui ait suivi un itinéraire artistique. Mes frères et sœurs sont tous avocats ou ingénieurs. 

Pouvez-vous nous rappeler dans quelles conditions s’est faite la rencontre avec Peter Gabriel ? 

En 1988, deux représentants des studios Real World, l’étiquette lancée par lui, étaient venus à Paris pour débusquer de nouveaux talents. C’est à Radio France qu’ils ont entendu parler de moi. J’ai été contacté tout de suite et me suis retrouvé dans les jours qui ont suivi en tête à tête avec Peter. Il m’a dit : "Apprends-moi à chanter". Pour moi qui étais fan de Genesis, je lui ai répondu : "C’est une plaisanterie ?". Peter a eu l’idée du producteur, Brian Eno. Je me suis donc retrouvé avec deux dinosaures pour m’entourer. 

Geoffrey Oryema et Peter Gabriel interprétant "Biko", le tube de Peter Gabriel

Vous étiez aussi accompagnés de requins de studio, à l’image de David Rhodes, qui vous sont restés fidèles... 

Absolument, il y a eu aussi Tony Levin et Bob Ezrin par la suite. De formidables musiciens...

Vous êtes une icône en Ouganda. Y-êtes-vous jamais retourné depuis votre départ ? 

Non, jamais jusqu’ici, mais je prévois d’y retourner en 2015. Quand je suis arrivé en France, j’éprouvais de la haine envers mon propre continent. Avec le recul et l’âge, cela s'est estompé et ce retour est devenu une nécessité. j’ai envie d’y retourner. Pas pour y vivre. Mais pour être présent. Ça sera très émouvant. Je donnerai une série de concerts à Kampala et rencontrerai aussi le président ougandais, Yoweri Museveni. Cela fera ensuite l'objet d'un documentaire. 

Votre dernier album, « From the heart », est distribué en Bretagne par Coop Breizh. Est-ce une manière de montrer votre attachement à votre nouvelle terre d’adoption ? 

Tout à fait. Car c’est un disque qui parle de résistance. On en a besoin en ce moment. Ce choix découle aussi de ma rencontre avec Jean-Jacques Mel, de La Mouche Production, qui est devenu mon agent. C’est par son biais que cet album a pu être distribué dans l’Hexagone. 

Vous avez toujours été très engagé. Dans votre chanson « La Lettre », vous dénoncez les enfants-soldats enrôlés de force par l’Armée de résistance du salut en Ouganda. Quel en a été l’impact ? 

J’ai été menacé de mort à cause de cette lettre adressée au commandant Joseph Kony, chef de l’Armée de résistance du salut, qui commet des crimes contre l’humanité depuis 20 ans. Ses forces, qui comptent plusieurs milliers d’hommes, sont très organisées et sont très mobiles, repliées le plus souvent entre le Congo et le Soudan. J’ai été invité à interpréter cette chanson à l’assemblée générale de l’ONU, à New York, en 2010, devant 2.000 diplomates. C’était très émouvant et cela a contribué au lancement d’une campagne contre les enfants-soldats. J’ai aussi été approché par l’ONG War Child, qui construit des centres pour aider les enfants traumatisés par la guerre. Leurs visages ne sont plus ceux d’enfants. Ce sont des machines à tuer. C’est impardonnable. Je n’accuse personne mais j’ai honte. 

Croyez-vous que la musique puisse être un bon moyen de faire évoluer les mentalités ? 

C’est une arme positive et redoutable. Elle a souvent joué un rôle très important dans l’Histoire. Elle a notamment contribué à faire tomber l’apartheid. En tant qu’artiste, c’est le seul outil dont on dispose pour faire passer certaines choses. 

Malgré tout, vous n’êtes pas de nature pessimiste... 

Non, je reste optimiste parce que je sais que même s’il y a des gens corrompus ou qui ont soif de pouvoir, je sais qu’il y a des hommes, des dirigeants, des artistes qui œuvrent jour et nuit pour qu’on vive dans un monde meilleur. 

Vous serez, samedi, au festival de l’Îlophone à Ouessant, puis à Guilers le 28 septembre. Y proposerez-vous un survol de votre carrière ? 

Tout à fait. Certains pensent que Geoffrey est mort et enterré, mais ces périodes où l’on parle peu des artistes correspondent souvent aux moments de création les plus intenses. Je travaille en ce moment sur un nouvel album et je ferai entendre plusieurs nouvelles chansons lors de ces spectacles. Je serai accompagné par une nouvelle équipe, les musiciens lorientais Stéphane Marrec (basse électrique et contrebasse) et Ali Otmane (guitares). Nous étions en résidence d’artistes la semaine dernière et nous sommes fins prêts ! 

Est-il vrai que vous donnerez bientôt un concert à Paris reprenant les chansons de vos débuts ? 

C’est encore un projet, mais j’espère que cela pourra se réaliser. Pendant des années, je n’ai pas pu réécouter les chansons de cet album. Maintenant que j’y arrive, il est sans doute temps de les chanter à nouveau, de retrouver l’esprit de ce premier disque.. Mon prochain opus va sans doute ressembler au premier, mais puissance dix. Un retour à l’acoustique de mes débuts avec des chansons fortes, qui touchent l’âme. 

Propos recueillis par Titus le lundi 9 septembre 2013. Une version écourtée de cette interview a été publiée dans Le Télégramme du 12 septembre 2013.

Pratique

Le 14 septembre, au festival de l'îlophone, à Ouessant (tarif : 27 €); le 28 septembre, à 20 h 30, à l'Agora, à Guilers (tarifs : 10 ou 15 €).

Discographie

1990. « Exile », produit par Brian Eno (Roxy Music) et édité par le label Real World de Peter Gabriel. Le tube «Ye ye ye » est retenu comme générique du Cercle de Minuit de Michel Field.

1994. Album « Beat the border » (Real World). Participation au 25e anniversaire du Festival Woodstock. 

1997. « Night to night » (Real World).

2000. « Spirit ».

2004. « Words ».

2010. Sortie internationale de l’album « From the heart ».

2011. Installation en Bretagne. L’album « From the heart » est distribué en France par Coop Breizh.


Pour en savoir plus

Le site officiel de Geoffrey Oryema

La page Facebook officielle de l'artiste

 

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