« La Claire fontaine », un portrait sensible de Gustave Courbet

Publié le 12 septembre 2013 par Savatier

Si les historiens de l'art consacrent peu de développements à la dernière période de la vie de Gustave Courbet, c’est-à-dire à son exil forcé à La Tour-de-Peilz (Suisse), consécutif à son injuste condamnation dans l’affaire de la colonne Vendôme, celle-ci semble davantage inspirer les romanciers. Ainsi, après Le Grand soir de François Dupeyron (2006), David Bosc vient de publier La Claire fontaine (Verdier, 128 pages, 14 €).

Bien qu’il soit ici question d’un récit romancé, ce livre repose sur une solide documentation, en particulier sur la monumentale Correspondance du peintre réunie par Petra ten-Doesschate Chu, si bien que l’historien ne s’agacera jamais à relever les erreurs ou les incohérences trop souvent présentes dans ce genre littéraire. L’amateur de roman y trouvera aussi son plaisir, car l’auteur révèle ici de réelles qualités de plume à côté desquelles il serait dommage de passer.

David Bosc montre aussi – et c’est une belle surprise car cette faculté devient trop rare chez les écrivains du XXIe siècle – une remarquable finesse d’analyse dans la description des toiles qu’il évoque tout au long des chapitres. Le prouve, par exemple, ce commentaire du portrait de Jo la belle Irlandaise, dont le peintre conservera une copie jusqu’à sa mort : « Est-elle à se mirer, à jouir de sa propre beauté ? Non, elle est au-delà de la vanité, elle est intranquille, elle scrute son reflet, le pousse dans ses retranchements. Ses paupières sont empesées de rêve et de mélancolie. Dans le cou, sous la peau, Courbet a mis un peu de ce bleu qui appelle la morsure. La bouche est d’une transparence qui avoue le don de l’amour. Mais ici, la volupté est à demeure dans les cheveux, comme enivrés d’eux-mêmes, en pamoison sous les doigts fins qui les soulèvent. »

« Intranquille », « mélancolie », deux termes qui pourraient tout autant qualifier Courbet dans cette fin de vie où, derrière une façade d’ogre hâbleur et de joyeux fêtard, l’artiste dissimulait des blessures anciennes. Le beau portrait sensible que brosse David Bosc ne néglige aucunement ces traits de personnalité, tout comme il n’occulte pas la petite industrie de production de peintures à la chaîne que l’artiste avait organisée avec l’aide de quelques « assistants » pour répondre à une demande croissante des amateurs. En 1873, le peintre n'écrivait-il pas à ses sœurs : « C'est une centaine de tableaux à faire. La Commune veut me faire millionnaire. Nous en avons déjà livré une vingtaine, nous en devons encore en livrer autant.» 

L'auteur laisse surtout voir que Courbet n’avait rien du révolutionnaire puritain qu’avait décrit Pierre-Joseph Proudhon, mais qu’il s’affirmait aux yeux de l’Histoire comme un amoureux exclusif de la Liberté, avec son art pour arme de subversion massive : « Le réalisme de Courbet est une riposte à la fable sociale, au fameux modèle de société, à la civilisation, au programme des écoles des classes asservies, au programme des écoles des classes dirigeantes, aux recueils de lecture à l’usage des jeunes filles. Le réalisme de Courbet lacère les décors derrière lesquels on accomplit la sale besogne, il déchire les toiles peintes : les bouquets d’angelots par-dessus les théâtres, les fées clochette, les diables, les allégories en fresque dans les écoles et dans les gares où l’on voit les déesses de l’industrie et de l’agriculture, les splendeurs des colonies et les prodiges de la science. »

Illustration : Gustave Courbet, photographie par Etienne Carjat, circa 1870.