Paul regardait l’autre jour un enfant faire des bulles dans un jardin public. On dit que Newton doit sa trouvaille à un pommier. Il fallait plus léger -le spectacle d'un petit souffleur de savon- pour frapper notre rêveur d’une évidence aussi peu scientifique que peu catholique. Osons pourtant la rapporter.
L’enfant, c’était Dieu.
Les bulles innombrables qui s’envolaient légères, éphémères, gracieuses et dérisoires, ivres de leur course capricieuse, mirant dans leur si délicate enveloppe le visage de l’enfant, les couleurs et les formes du jardin, c’était nous, les humains, corps, âme et destin. Naître, c’était emprisonner une parcelle du Souffle. Mourir ? retourner à l’air indistinct, rentrer dans la Respiration.
« La Création ainsi conçue, songeait Paul, où sont le mérite personnel, l’ambition, la sottise et l’intelligence, l’amour et la haine, le bien, le mal, la récompense, la punition ? »
Il y avait des bulles plus belles que d’autres, plus grosses, plus brillantes, plus agiles à déjouer l’angle du mur ou la feuille du rosier. Il s’en formait parfois d’extraordinaires, merveilleusement irisées, suspendues frémissantes, comme attentives. L’enfant s'arrêtait un instant de souffler pour les suivre du regard.
Paul s’est approché pour une de ces questions niaises où les adultes excellent (c’est que l’enfance les intimide) : « Pourquoi tu aimes faire des bulles ? » Le gamin haussa les épaules. Puis, sans cesser de porter du tube à ses lèvres le petit bâton savonneux : « Ca m’amuse, je trouve ça joli. Mais maintenant ça suffit. D’ailleurs je crois bien qu’il est vide. Salut. »
Et Paul, ému, vit s’éloigner dans le jardin son petit poulbot métaphysique, sifflotant mains dans les poches et projetant du pied le tube devant lui.
[première parution en septembre 2005]