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Déconstruction de l’idée de nature dans les rapports sociaux

Publié le 12 septembre 2013 par Juval @valerieCG

« Si le patriarcat existe, c’est qu’à la base les hommes sont plus forts physiquement que les femmes ; ils les ont donc dominés et cela a commencé cela ».

Je ne compte plus les fois où j’ai entendu cette hypothèse naturaliste. Hypothèse qui tend à transformer des rapports sociaux en des rapports naturels (= dûs à la nature), ce nouveau dieu qui régit les rapports humains et qui, comme le dit Colette Guillaumin, « va jusqu’à organiser des programmes génétiques spéciaux pour ceux qui sont socialement dominés« .

Nous ne savons rien de la force physique des hommes « à la base ». Claudine Cohen a amplement montré La femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale que le dimorphisme sexuel, l’ensemble des différences morphologiques  entre les individus mâle et femelle d’une même espèce, est difficile à établir quand on dispose de très peu de squelettes entiers pour une période donnée. Pascal Picq dans Le sexe, l’Homme et l’évolution montre que le dimorphisme sexuel, lorsqu’il existe, est dû à la sélection intrasexuelle entre mâles et non pas à la sélection intersexuelle.

Par ailleurs rappelons que les détenteurs du pouvoir ont très souvent été des hommes blancs âgés qui ne sont donc pas les plus forts physiquement. C’est au passage  une image d’Epinal que de croire qu’être fort physiquement vous rend dominant ; cela dépend des espèces et de leurs rapports sociaux.

Aristote dans La politique : « la Nature tend assurément à faire les corps d’esclaves différents de ceux des hommes libres, accordant aux uns la vigueur requise pour les gros travaux, et donnant aux autres la station droite et les rendant impropres aux besognes de ce genre »

Darwin dans De l’origine des espèces : « Si nous ne connaissions aucune autre espèce de fourmi douée d’instincts esclavagistes, il serait inutile de spéculer sur l’origine et le perfectionnement d’un instinct aussi merveilleux. »

La nature sert toujours à donner un caractère immanent à une situation d’oppression et à la rendre somme toute logique, permanente et immuable. Après tout si la nature a rendu les femmes plus faibles physiquement (ou avec 2 chromosomes X ou avec du sang  qui coule sans être blessée ou/ou/ou/ou), peut-être est-il est normal que les hommes les dominent ?
Parler de naturalité, permet d’évacuer qu’on parle ici de rapports sociaux, donc construits, qui n’ont strictement rien d’inné et doivent donc être démontés et déconstruits.

Alors les dominés sont souvent réputés pour être davantage des êtres de nature que le dominant qui lui, la domine, la transcende. On se souvient des caricatures de Taubira présentée en singe en colère par exemple. La colère des dominés est toujours due à des émotions, leurs règles, leurs hormones, voire même leur couleur de peau (stéréotype de angry black woman) et jamais à la réflexion. Le dominant, lui, se maîtrise. Là où il réfléchit, la femme est intuitive ; elle sait sans avoir réfléchi, comme cela, quasi par instinct, un peu comme le chien sait retrouver sa maison sans jamais avoir lu un plan.

Il y aurait comme une nature des êtres ; les hommes sont faits pour dominer car ils ont de la force physique et les femmes pour être dominés car elles n’en n’ont pas. Mieux elles auraient été faites  pour être dominées. On passe d’un déterminisme à un déterminisme interne à soi.
Mieux leur sexe se confondrait avec leur genre, on ne deviendrait plus femme par le fait de rapports sociaux mais on le serait, dés la naissance, par la magie d’une assignation naturelle.

Si les dominés sont dominés c’est qu’ils sont différents. Différents du dominant qui lui ne diffère de rien. Ils sont plus faibles, ou plus noirs, ou plus jaunes, ou moins grands, ou avec moins de testostérone. Le dominant est là, lui, dominant la nature et les dominés. Le dominé n’est plus un être social mais un être de nature fait d’un taux de mélanine ou de chromosomes qui lui ont, quel manque de pot tout de même conféré des désavantages certains.

Les actions imposées aux femmes – le ménage, les soins aux enfants – ne sont plus vues comme des rapports sociaux, des rapports de classes mais des choses qui découleraient de leur nature profonde, de leur nature. Si une femme élève un enfant, c’est qu’il est « la chair de sa chair », qu’elle aime naturellement l’odeur de la merde de bébé et qu’elle a ce fameux « instinct maternel ». Si elle élève un enfant, cela n’est absolument pas dû à des rapports de classe l’obligeant à le faire. Après tout la nature fait si bien les choses.

Ramener sans cesse les hommes et les femmes à la nature – et rappeler bêtement et faussement des attributs biologiques – face à des classes qui sont sociales et n’ont rien de biologique, permet, très confortablement, de ne rien changer aux rapports de domination. Parler de force physique des hommes – et que cela soit vrai ou faux je n’en sais rien et m’en contrefous, nous pourrions être égales physiquement aux hommes que cela ne serait certainement pas cela qui justifierait l’égalité – permet d’oublier que ce rapport de domination est construit et peut donc être déconstruit. Parler de nature permettra de rejeter les initiatives politiques des dominés en invoquant qu’ils veulent renverser l’ordre naturel du monde et conduire au chaos (c’est tout le discours tenu lors du mariage pour tous). Si les femmes obtiennent le droit de vote, le monde basculera dans le n’importe quoi. Si elles se mettent à travailler (sous-entendu si elles gardent leur salaire, les femmes ont  toujours travaillé) le monde basculera dans la délinquance. Si elles séduisent les hommes, bientôt elles les sodomiseront avec des gourdins.

Tota mulier in utero.


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