Je fais souvent cette expérience dans le métro, où la rame est dense de cette population d'anonymes qui s'ignorent les uns les autres. Je fais partie de la masse invisible et silencieuse. Parfois, je provoque un regard et c'est comme un cri : J'existe ! Je sors de l'eau un quart de secondes, je ricoche, puis replonge au banc des inconnus.
Un homme vient de monter. Je ne l'ai pas vu, je ne connais pas son visage, mais sa voix s'élève, perçant la masse ronflante. Il a besoin de nous, d'un peu de monnaie ou d'un ticket restaurant... Immanquablement, je vais plonger la main dans mon sac pour lui donner quelque chose : une pièce au mieux, un sourire au moins. Nouvelle collision / Nouveau cri.
Dans mon regard il existe, dans son regard j'existe. Ce moment est toujours aussi fugitif, à peine conscient, à peine réél et pourtant, à cet instant précis, je ressens exactement la même chose que lui. Il m'aspire dans son miroir. J'entends ce cri étouffé au fond de ma poitrine qui vient frapper à la porte, vibrant comme une lueur qui surgit du noir... J'ai besoin de vous ! Moi aussi j'ai besoin de vous ! Moi moi moi !!!! J'ai besoin de vous !!!!
Puis la lumière s'éteint et je n'ai plus besoin de rien. Je peux à nouveau dormir ma vie, jusqu'au prochain réveil, au prochain cri. Je n'existe que dans l'autre. L'histoire de l'homme seul sur une île, c'est l'histoire de l'homme qui n'existe pas.