A la lecture du synopsis, on s’attend à des scènes déjà vues dans d’habituelles comédies romantiques : deux frères se disputant la même femme. Axelle Ropert a fait des choix mesurés, dans son casting, ses personnages s’incarnent dans trois acteurs charismatiques, chacun à leur façon. Dès les premières minutes, la référence à quelconque comédie, romance, ou type de film connu s’évapore.
On est emmenés dans des plans silencieux, en marche, suivant les personnages évoluer dans un tout petit monde (les quelques rues d’un quartier), un Paris typé dans lequel on se croit presque à l’étranger.
On est emmenés dans des plans silencieux, en marche, suivant les personnages évoluer dans un tout petit monde (les quelques rues d’un quartier), un Paris typé dans lequel on se croit presque à l’étranger. Le film s’installe doucement dans le 13ème, insistant sur la hauteur de ses tours, ses esplanades désertes, et les détails qui font de lui Chinatown, avec une pointe d’exotisme. La temporalité du film elle aussi est atypique, Axelle Ropert saisit Paris nocturne, avec ses personnages qui évoluent dans des rues désertes, et qui “vivent à l’envers” comme le dit bien Judith (Louise Bourgoin). La ville ne dort jamais et c’est un recommencement perpétuel qui nous est montré.
Dans cet univers circonscrit, le film permet de porter son attention sur une vie de quartier précise, qui place le spectateur dans la même relation de proximité qu’entretiennent les personnages. En effet, les deux héros sont médecins et frères, et accueillent les patients ensemble, pour des consultations à deux têtes.
Boris et Dimitri Pizarnik, sont comme les deux facettes d’une entité, et ils cultivent leur relation fusionnelle.
Ils se distinguent par des qualificatifs sans équivoque “celui qui a la grosse voix” dira Judith ou le plus gentil. Ces deux frères, proches, travaillent ensemble, ils vivent dans le même corps d’immeuble, l’un en face de l’autre, séparés simplement par une cour intérieure, et leur quotidien est bien réglé. Chacun s’adonne à ses activités que l’on entrevoit rapidement, jusqu’au jour où leurs vies croisent celle de Judith et de sa fille diabétique qui a besoin d’un suivi très rapproché. Judith est mère célibataire, barmaid de nuit, qui élève toute seule sa fille. Elle finit par les charmer tous les deux, jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent dramatiquement qu’ils sont amoureux de la même femme.
La narration d’Axelle Ropert serpente en finesse dans ce petit monde, au fil de sujets parfois lourds : la maladie, l’alcoolisme, la dispute, la séparation, mais sans jamais s’apesantir. Elle parvient à traiter des choses en les montrant simplement, en silence, comme pour nous laisser témoins des situations. D’ailleurs les situations les plus critiques sont suggérées ou montrées dans avec calme : la crise de la jeune Alice, la dispute ultime entre les deux frères ou l’alcoolisme de Dimitri, rien ne choque ou ne dépasse un certain seuil. Cela étonne. Car le traitement de ces sujets pourrait donner lieu à des effusions interminables, dans lesquelles il serait possible de se complaire.
Cette forme de légèreté est magnifiquement incarnée dans le personnage de Judith, tenue par une Louise Bourgoin toujours aussi séduisante. Légèrement mutine, elle échappe à l’emprise des deux hommes qui tombent sous son charme et se déclarent à elle. Elle fuit aussi ses responsabilités, consciente de laisser sa fille seule, à tort. Enveloppée avec grâce dans son manteau rouge, on la voit tour à tour, séductrice et chic, abordable et amusante, complice avec sa fille, et sans creuser davantage ses traits de caractère, elle échappe aussi à notre jugement. C’est avec surprise aussi que l’on accueille sa réaction finale, sa déclaration plus marquée que les autres, faite avec spontanéité et emportement, dans le couloir d’un hôpital. Mais le duo Cédric Kahn et Laurent Stocker n’est pas en reste. Face à elle, ils parviennent tous les deux à trouver avec justesse la personnalité de ces deux vieux garçons, couple fraternel.
C’est donc avec finesse, justesse et aussi une forme de silence que sont montrées les relations humaines, ces moments où la vie bascule après une rencontre, et on en ressort avec torpeur, en ayant saisit la beauté de ce regard délicat porté sur le monde.
A voir :
Tirez la langue mademoiselle, un film français d’Axel Ropert (1h42)