Mais le week-end dernier, François Fillon semble avoir un peu comblé son écart sur ce thème. Interrogé sur les consignes de vote qu'il donnerait en cas de duels Parti Socialiste-Front National au second tour d'élections municipales, il a répondu qu'il appellerait à voter pour "le moins sectaire". Aux yeux de François Fillon, il est potentiellement des situations où un candidat PS peut être considéré comme plus "sectaire" qu'un candidat FN. "Plus sectaire", ça c'est une trouvaille. Ca laisse la porte ouverte aux interprétations de toute sorte: par exemple on pourra considérer comme "sectaire" un candidat PS qui fustige son adversaire UMP faisant des appels du pied aux électeurs du Front National au premier tour. Cracher à la gueule de, mettons, 20% des électeurs, c'est "sectaire" d'un certain point de vue, non? CQFD. Message envoyé à tous ces élus et militants "de base" qui enragent de ne pouvoir ouvertement faire ami-ami, avec le FN: "Moi aussi, je vous ai compris".
Donc ça c'est fait: François n'a plus à rougir, lui aussi a la niaque, pas plus "complexé" qu'un autre.
Pas de quoi en déféquer un Panzer, me direz-vous, tout ça c'est la routine des "petites phrases", des comme ça on en entend tous les jours, et puis qui peut bien s'intéresser aux hypothétiques consignes de vote d'un François Fillon au deuxième tour des municipales de 2014, hein, franchement? Certes.
Quoique. Il y a tout de même quelque chose dans cette histoire qui mérite qu'on s'y arrête: non l'astuce rhétorique de Fillon, mais le tollé Pavlovien qu'elle a suscité du côté du Parti Socialiste. Dès dimanche soir, Harlem Désir se fendait d'un communiqué déclarant qu'il était "inédit" et "inacceptable" d'encourager un "désistement anti-républicain en faveur de l'extrême-droite par pur cynisme électoral", dénonçant "des propos qui établissent une équivalence entre le PS et le FN" et "ouvre(nt) un peu plus les portes de la République au FN". Fermez le ban.
Soyons clairs: j'ai moi-même, avec ce blog, fait partie de la meute qui a régulièrement souligné les glissements récurrents du discours de la droite parlementaire vers les thématiques du Front National depuis 2007 et déploré la "banalisation" du Lepénisme qui en est la conséquence logique. On a beaucoup ri, mais arrive un moment où il faut un peu réfléchir et se dire qu'il n'y a que les cons (et le pape) qui ne changent pas d'avis: j'ai aujourd'hui l'intime conviction que ce petit jeu ne mène strictement à rien.
Le "ni-ni" officiel de l'UMP ("Ni alliance avec le Front National, ni Front Républicain-avec-un-PS-allié-à-l'extrême-gauche") n'est rien d'autre qu'une pirouette. Outre le fait que le slogan rappelle furieusement le "Ni fascisme, ni anti-fascisme" d'un Charles Maurras dans les années vingt (une coïncidence, n'en doutons pas), on ne peut s'empêcher de penser que la fidélité des leaders et des troupes UMP à ce principe durera le temps qu'elle durera, c'est-à-dire très peu. Les élus ayant déjà ouvertement flirté avec le FN n'ont été ni exclus, ni même morigénés.
Et alors? L'UMP penche du côté du FN? Poussons-la un bon coup, et qu'on en finisse avec ces conneries de "digues républicaines"! Marre de ces gloussements de chaisières offusquées - "Comment, mon cher, vous, un représentant de la République, vous acoquiner avec ces marauds?". D'abord, il faut se demander ce qu'il y a de "républicain" à vouloir à tout prix éviter qu'un électeur sur cinq, grosso-modo, soit représenté dans les instances de la République, justement. Ensuite constater que l'alignement d'une partie de l'UMP sur les thématiques du Front National n'est pas une menace qu'il conviendrait de conjurer, mais une réalité.
Par ailleurs, il convient de penser calmement, et se dire que grand bien leur fasse, à ces braves gens de l'UMP. Car si une alliance - fût-elle "à la base" - avec le FN leur permettra de reconquérir de l'espace politique à court-terme, ils en prennent pour au minimum dix ans d'emmerdements - comme le Parti Socialiste avec le PCF. Car bien sûr, il ne se passera guère de temps avant que leurs nouveaux et désormais indispensables amis ne leur cassent les burettes avec l'immigration, l'insécurité , le manque d'autorité, etc. Car pour le FN, le mieux disposé des élus UMP n'en fera jamais assez de ce point de vue. Sans oublier, bien sûr, les questions économiques et sociales, de l'Europe, du libre-échange, thèmes sur lesquels, contrairement à ceux tournant autour de l'immigration et de l'"identité", on imagine mal des élus de droite - et surtout pas leurs dirigeants - changer de braquet: c'est bien gentil, de flatter le populo, mais faut pas pousser, vous croyez qu'on les a trouvés où, les 11 millions d'Euros, à La Courneuve?
Enfin, et c'est sans doute le plus important, il est grand temps que les beaux-parleurs du FN mettent un peu les mains dans le cambouis. Il est grand temps que les "y a qu'à, faut qu'on" se frottent à la réalité de l'exercice du pouvoir. Il est grand temps que leurs électeurs les voient à la manoeuvre ("ceux-là, on ne les a pas encore essayés"). Il est grand temps que le parti de la classe ouvrière - le vrai - s'embourgeoise. Il est grand temps que le FN se banalise pour de bon, c'est le moyen le plus sûr de démonétiser son discours.
Alors ya basta les "Fronts Républicains" hypocrites et obligatoires faute d'excommunication. Que les "portes de la République" s'ouvrent autant que le permet et l'exige une démocratie digne de ce nom. Détends toi, Harlem, ceux qui leur auront ouvert lesdites portes vont s'y coincer les doigts, et ça va leur faire mal.
A bientôt