4000 communes françaises, accueillant environ un quart des élèves d’écoles maternelles et élémentaires, ont choisi de mettre en œuvre la réforme des rythmes scolaires dès cette rentrée 2013. Les autres communes devront l’appliquer lors de la prochaine rentrée en 2014. Cette réforme instaure une demi-journée d’école supplémentaire le mercredi matin ou le samedi matin et trois heures d’activités périscolaires hebdomadaires, en contrepartie de journées de classe moins longues.
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Un récent sondage Harris Interactive pour le SNUIpp-FSU met en lumière le regard divisé que les Français portent sur cette réforme : si 49% estiment que sa mise en place est une bonne chose, 47% jugent au contraire qu’il s’agit d’une mauvaise chose, et même 19% une très mauvaise chose. Parmi les parents d’enfants scolarisés en primaire, la proportion de personnes portant aujourd’hui un regard positif sur la réforme descend à 37%. Si l’on compare ces chiffres à ceux recueillis lors d’une enquête menée en février dernier, on note une chute de 18 points de soutien parmi l’ensemble de la population et de 20 points parmi les parents concernés. Comment expliquer ce décrochage dans l’opinion, transformant une mesure plutôt consensuelle en une épine dans le pied de l’actuel gouvernement ?
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Des principes acceptés dans l’intérêt des enfants
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Dans la vague d’enquête menée par Harris Interactive pour le SNUIpp-FSU à la rentrée 2012, 67% des Français et 57% des parents d’enfants scolarisés en primaire indiquaient que la mise en place de la réforme des rythmes scolaires à la rentrée 2013 leur apparaissait comme une bonne chose. 72% (57% parmi les parents concernés) indiquaient ainsi être favorables au retour à la semaine de quatre jours et demi, même si des inquiétudes pointaient déjà dès lors que l’on s‘intéressait à la mise en œuvre concrète de la réforme (seuls 34% acquiesçant par exemple à la tenue de la classe le samedi matin). Les défenseurs de la réforme indiquaient qu’elle allait permettre de mieux respecter les rythmes des enfants, et donc favoriser une plus grande concentration et un meilleur apprentissage, tout en diminuant la fatigue ressentie suite à de longues journées d’école. Certains soulignaient même le « courage » d’une réforme qui faisait passer le bien-être des enfants avant des considérations économiques : « Pour le rythme de l’enfant, c’est trop lourd et mal réparti… Depuis le temps que l’on en parle, c’est bien qu’on le fasse. J’ai des amis enseignants et je vois bien que c’est galère, on fait plus attention à l’économie qu’à l’éducation des enfants ». D’autres enfin mettaient en avant la découverte d’activités périscolaires pouvant contribuer à l’épanouissement des enfants. Certes, les parents qui allaient être rapidement confrontés à la mise en œuvre de la réforme se projetaient parfois dans des difficultés ayant trait à l’organisation familiale et aux modes de garde, mais le regard porté sur la réforme était alors majoritairement positif.
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A peu près à la même époque, 85% des enseignants ayant répondu à une consultation du SNUIpp-FSU déclaraient être favorables à la mise en place d’une alternance entre 7 semaines de cours et 2 semaines de vacances, 61% à une réduction de la journée de classe avec une fin de cours à 15h30 et 50% au principe de l’ajout d’une demi-journée d’école par semaine, même si les modalités pratiques et l’accompagnement de la réforme restaient là encore à définir. 77% de ces enseignants défendaient l’idée que l’intérêt des enfants devait primer dans le cadre de cette réforme, avant l’intérêt des enseignants et des parents, mais 61% craignaient qu’elle se base avant tout sur des considérations économiques et politiques et 56% qu’elle se fasse sans concertation avec les enseignants. On le voit, les enseignants n’adoptent pas systématiquement la posture caricaturale dans laquelle on peut être amené à les enfermer : fervents du statut quo absolu et défense corporatiste de leurs seuls intérêts.
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Quant aux maires et présidents de communauté, ils se décrivaient par la voix de l’AMF (l’Association des Maires de France) comme fortement impliqués en matière éducative et faisaient part de leur volonté de contribuer à une « réforme durable et stable, dans l’intérêt des enfants, soutenable financièrement et réellement applicable par la totalité des communes et communautés ».
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Ainsi, perçue comme une mesure menée dans l’intérêt des enfants, visant à mieux respecter ses rythmes d’apprentissage et de repos, la réforme des rythmes scolaires suscitait il y a un an déjà des interrogations mais recueillait néanmoins l’adhésion d’une majorité des parties-prenantes.
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Mais une application largement décriée, notamment pour ses conséquences sur les finances des communes et des ménages
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Or, en cette rentrée 2013, les voix des promoteurs de la réforme, défendant ses avantages éducatifs, apparaissent bien faibles face à celles de ses détracteurs. Que s’est-il passé pour qu’une réforme majoritairement acceptée devienne l’objet de toutes les critiques ? Le soutien est en effet désormais minoritaire dans l’opinion, et particulièrement chez les parents d’enfants scolarisés au primaire (37%, moins 20 points) mais également les jeunes enseignants qui sont seulement 31% à penser que cette réforme va dans le bon sens.
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- Un caractère rapide et non-concerté pour une mesure pourtant jugée non prioritairea
Tout d’abord, cette réforme n’apparait pas aux yeux des parents comme des enseignants comme prioritaire. En effet, seuls 26% des Français – et 39% des parents d’élèves scolarisés en primaire – considèrent qu’il s’agit d’un sujet prioritaire pour l’école élémentaire, loin derrière l’autorité et la discipline (63%), l’aide aux élèves en grande difficulté (47%), la formation des enseignants (45%) ou encore les programmes d’enseignement (42%). De même, seuls 35% des enseignants estiment qu’il est prioritaire de réformer les rythmes scolaires, quand 81% jugent primordial de baisser le nombre d’élèves par classe, 75% de refonder la formation des enseignants, 73% de développer le travail en petits groupes d’élèves ou encore 70% de donner plus de moyens aux établissements qui concentrent les difficultés. Au regard de ces hiérarchisations, la mise en œuvre, au bout d’un an de mandature, de la réforme des rythmes scolaires apparaît (trop) rapide. Preuve en est selon certains le faible nombre d’établissements ayant franchi le pas dès cette rentrée 2013. Et nombreux sont ceux qui critiquent une précipitation qui n’aurait pas permis de réfléchir cette réforme en cohérence avec les programmes, les modes de vie des familles ou encore les services proposés par les communes (transports, restauration scolaire, garderie…). Ainsi, dans une enquête commanditée par la MAIF et menée par Opinion Way, les jeunes enseignants du public indiquent regretter le rythme des réformes (33%) et le manque de consultation sur l’évolution de l’école (28%). Dans la consultation Harris Interactive, 87% des enseignants déplorent de ne pas avoir suffisamment d’informations au sujet de cette réforme. De même, les élus se plaignent d’une mise en œuvre empressée, l’AMF exposant : « Plus de deux tiers des communes concernées ont opté pour le report à la rentrée 2014/2015, souvent à défaut d’avoir eu les moyens d’organiser cette réforme en temps voulu, certaines y renonçant même en juin ».
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- Des moyens insuffisants dans les communes
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De fait, la mise en œuvre de cette réforme apparait malaisée dans une période où le pouvoir d’achat des ménages est durement entamé et où l’équilibre des finances des collectivités locales est menacé. 34% des personnes interrogées estiment aujourd’hui que leur commune ne dispose pas des équipements suffisants pour bien accueillir et occuper les enfants après 15h30 dans des activités périscolaires quand 47% déplorent que leur commune ne dispose pas suffisamment de personnels qualifiés pour organiser ces activités périscolaires. Les habitants des communes rurales se montrent particulièrement sceptiques sur la capacité de leur commune à bien mettre en œuvre cette réforme, tant en termes d’infrastructures que de personnel encadrant. Bien souvent, les maires relaient avec force ces inquiétudes. Toutefois, ces craintes apparaissent en baisse de respectivement 11 et 10 points par rapport à février dernier. Elles ne suffisent donc pas à elles seules à expliquer la baisse du soutien à la réforme.
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- Un porte-monnaie fragilisé et le principe de l’égalité républicaine écorné
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Il semblerait que ce soit avant tout du côté du financement qu’il faille chercher les motifs d’un tel renversement de l’opinion. En effet, que les parents participent directement ou non au financement des activités de leur(s) enfant(s) après 15h30, que les impôts locaux augmentent pour l’ensemble des habitants ou que les communes soient amenées à réaliser de nouveaux arbitrages budgétaires (certains élus ayant déjà annoncé des restrictions budgétaires sur la voirie ou d’autres postes de dépenses communales), la question du coût de la mesure a surgi avec force dans le débat. Ce coût a été estimé par l’AMF entre 600 et 800 millions d’euros par an pour les collectivités. Dans ce contexte, 62% des Français rejettent la perspective de payer davantage d’impôts locaux dans leur commune pour que les activités périscolaires proposées aux élèves d’école primaire de leur commune soient gratuites (68% à Droite de l‘échiquier politique mais aussi 48% à Gauche).
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Les Français estiment en outre que cette mesure pourrait aggraver les inégalités entre les élèves des différentes communes. En effet, 49% d’entre eux (+7 points par rapport à février) et même 58% des habitants du Nord-Ouest de la France pensent que la réforme va avoir pour effet d’augmenter les inégalités entre les élèves scolarisés dans des communes disposant de moyens financiers élevés et ceux scolarisés dans des communes moins favorisées. Les parents d’enfants scolarisés en primaire craignent particulièrement que la réforme favorise un accroissement des inégalités (60%). Les reportages des journaux télévisés en cette rentrée 2013 se sont d’ailleurs largement focalisés sur les activités périscolaires proposées dans les communes, pour souligner les différences entre les communes les plus aisées susceptibles de proposer de l’équitation ou des cours de violon et celles plus modestes proposant seulement une activité goûter ou une garderie étendue. Le gouvernement a beau avoir annoncé le déblocage d’un « fond d’amorçage » de 250 millions d’euros pour aider les communes à mettre en place ce dispositif et l’aide des caisses d’allocations familiales pour les accueils agréés, les inquiétudes sur ce point demeurent. Rappelons que dans une enquête de Médiaprism menée en avril dernier, les parents estimaient que pour appliquer la réforme, les maires devaient avant tout accorder de l’importance à l’organisation des familles (83%), l’équilibre global de l’enfant (81%) mais aussi presque autant aux conséquences sur les budgets des ménages (79%).
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Ainsi, les Français qui considèrent aujourd’hui la réforme comme une mauvaise chose estiment que cette nouvelle organisation, trop rapidement mise en place, va surtout compliquer la vie des parents et le fonctionnement des communes, tout en engendrant des coûts supplémentaires et en accentuant des inégalités.
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Le retour aux quatre jours et demi d’école figurait parmi les 60 engagements de campagne de François Hollande et semblait, à l’heure de la concertation estivale de 2012 sur la refondation de l’école, faire consensus autour de l’intérêt de l’enfant. Cependant, alors que la mesure commence à être mise en œuvre pour moins d’un quart des élèves, les questions pratiques, notamment celles ayant trait au financement, ont largement pris le dessus et plombent le dispositif. Le Gouvernement devra rassurer sur de nombreux points et se réapproprier le discours sur les atouts pédagogiques de la nouvelle organisation pour que sa généralisation à l’ensemble des établissements à la rentrée 2014 ne suscite pas une levée de boucliers plus musclée contre la majorité. Et devra convaincre d’ici mars prochain de la bonne application de la réforme dans les écoles dans lesquelles elle est déjà mise en œuvre pour éviter que les maires sortants de la majorité ne soient pénalisés. En effet, 83% des Français résidant dans des communes de 3500 habitants et plus font de l’école et des services périscolaires une priorité pour les équipes municipales. Ce dossier pourrait donc peser lors des prochaines échéances électorales.