Les Damnés- La lignée des Petrova- Chapitre 13

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

Assise au coin du feu, Maïa peinait malgré tout à se réchauffer. Dehors la neige avait refait son apparition soudaine, recouvrant uniformément en quelques heures la campagne et les chemins. La jeune femme éprouva presque de la peine pour Noah parti depuis plusieurs heures déjà sur la route par un temps pareil. Ce fut un très bref moment de compassion et de faiblesse très vite compensé par une vision des plus réjouissantes du sorcier statufié par la glace au fond d’un ravin. Cette vision lui arracha un sourire sadique. Rien de tel pour retrouver sa bonne humeur et chasser, l’espace d’un moment, ses soucis.
Elle se cala un peu plus confortablement dans son fauteuil et reprit ses travaux de couture posés sur ses genoux. Depuis le départ du sorcier, le silence avait à nouveau envahi la maison. Elle savourait d’autant plus ce calme qu’elle savait pertinemment que ce dernier était plus que précaire et qu’il suffisait d’une parole malheureuse pour que les forts tempéraments qui cohabitaient malgré eux ne s’embrasent à nouveau. Seuls son père et Elijah semblaient échapper à toutes ces inimitiés, aux non dits et aux ressentiments en tout genre.
Du rez de chaussée lui parvenaient la voix grave et sonore de son père et celle plus discrète du vampire. Une réelle amitié s‘était créée entre ces deux hommes dont l’estime réciproque remontait à leur première rencontre. En laissant traîner une oreille indiscrète, Maïa avait même surpris quelques confidences de part et d’autre. Elle avait appris des détails sur le passé de son père qu’elle ignorait mais aussi sur celui d’Elijah. Il y avait fort à parier que Noura ne les connût pas non plus et la jeune femme, en nièce dévouée, s’était promis de lui rapporter ces faits dès que l’occasion se présenterait. Un éclat de rire de son père la fit sursauter et lui arracha un sourire. C’était le genre de chose qu’elle n’avait plus entendu depuis longtemps. La présence de l’originel dans la maison était décidemment aussi bénéfique que celle de Klaus était dévastatrice.
Et d’ailleurs en parlant du loup, Maïa leva la tête pile au moment où ce dernier passait devant sa porte. Sa chambre se trouvant au bout du couloir, Maïa devina aussitôt les intentions du vampire et l’interpela avant qu’il n’ait eu le temps de poser un pied sur la première marche de l’escalier qui menait au grenier.
- Fichez-lui la paix, ordonna-t-elle à la silhouette qui avait disparu de son champ de vision.
Elle vit la tête de Klaus réapparaître dans l’embrasure de sa porte.
- Qu’est-ce qu’elle fiche là haut depuis des heures ? demanda-t-il d’un air soupçonneux.
- Elle vous fuit, probablement, comme tout le monde dans cette maison, lâcha-t-elle avec un sourire malicieux.
Klaus resta un moment, les bras croisés, appuyé au chambranle de la porte pour considérer la jeune femme. Il n’avait pas encore eu l’occasion de s’entretenir seul à seul avec elle et estima que c’était sans doute le moment ou jamais de régler certains comptes avec cette peste qui ne cessait de le ridiculiser depuis son arrivée. Il jeta un dernier coup d’œil dans le couloir pour s’assurer que personne n’allait les déranger avant de se décider à entrer dans la chambre sans y être invité. Lorsqu’il s’installa dans le fauteuil face à elle, il s’attendit à un cri de protestation devant cette intrusion complètement déplacée. Pourtant il n’en fut rien. La jeune femme, faussement concentrée sur son ouvrage, ne lui fit pas ce plaisir et ne lui adressa pas même un regard. Ce fut sa première déconvenue, la seconde n’allait pas tarder à suivre.
- Eh bien allez-y, l’invita-t-elle sans lever le nez de son aiguille.
Le vampire fronça les sourcils et la regarda sans comprendre.
- Vous faites la même tête qu’Ivan quand il a décidé de jouer les sales mômes et qu’il cherche à me provoquer. Alors allez-y j’attends, lâcha-t-elle malicieusement.
Klaus pinça les lèvres et tâcha de dissimuler au mieux sa déception.
- Je ne pensais pas qu’il puisse y avoir plus horripilante et exaspérante que votre tante. J’avais tort.
Maïa ne répondit pas et se contenta de sourire, ce qui énerva d’autant plus le vampire. Faire sortir Noura de ses gonds était d’une facilité déconcertante. Il s’était vite lassé de ce petit jeu. En revanche, le calme et la perspicacité de sa nièce était un véritable défi qu’il se devait de relever. Il garda le silence un long moment, cherchant la faille chez cette jeune femme apparemment imperturbable. Quand son regard se posa sur son ventre rebondi, un sourire narquois illumina son visage.
- Il a un père ou vous avez perpétré la tradition familiale en vous carapatant avant qu’il ne soit au courant ? demanda-t-il finalement.
Même si elle s’attendait à l’attaque, la question surprit Maïa qui releva la tête pour présenter au vampire un visage qui montrait, malgré tout, davantage d’amusement que de consternation.
- J’ai fait pire que ça, commença-t-elle sous le ton de la confidence.
Elle ménagea une pause avant de reprendre :
- Je l’ai même épousé avant.
Le vampire laissa échapper, malgré lui, un sourire. Cette fille l’amusait plus qu’il ne voulait bien l’admettre finalement.
- Mon Dieu… quelle horreur ! s’exclama exagérément Klaus en feignant une profonde indignation. Je parie qu’en plus il est tout à fait normal…
- On ne peut plus normal, répondit malicieusement Maïa en baissant la tête comme si elle s’en excusait réellement.
- Même pas l’ombre d’une petite malédiction ? Rien ? , poursuivit Klaus sur le même ton faussement consterné. Excusez-moi Maïa mais vous êtes vraiment la honte de cette famille. Heureusement qu’Ivan est là pour rattraper le coup et faire oublier vos écarts de conduite.
Le rire cristallin que laissa échapper Maïa saisit Klaus plus sûrement qu’une gifle.
- Vous avez son rire, lâcha-t-il si spontanément qu’il en fut lui-même surpris. Elle doit sûrement vous manquer terriblement en ce moment.
Ce fut dit, pour une fois, sans malveillance aucune. Le ton était, on ne peut plus, sincère pourtant le sourire qui illuminait le visage de la jeune femme disparut aussitôt. Troublée, elle détourna le regard. Ce masque de sérénité et d’impassibilité, dont elle s’était parée jusque là, tomba pour dévoiler la faille que cherchait Klaus. Mais loin de se réjouir de cette victoire involontaire, le vampire s’en voulut de cette maladresse. Il le regretta d’autant plus lorsque la jeune femme se leva péniblement et le dévisagea.
- C’est un coup bas Klaus. Mais c’était le but de la manœuvre, je suppose. Sortez maintenant.
C’était plus une supplique qu’un ordre en réalité. Sa voix s’étrangla sur les derniers mots. Elle se détourna et dirigea vers la fenêtre pour s’éloigner de lui et surtout pour dissimuler les larmes qui embrumaient son regard. Bien sûr que l’absence de cette mère, qu’elle n’avait pourtant quasiment pas connue, lui pesait à l’approche de la future naissance. Elle aurait voulu partager avec elle ses inquiétudes, préparer l’arrivée de son enfant en écoutant ses conseils, qu’elle n’aurait probablement pas suivis mais qui l’auraient malgré tout rassurée. Cette complicité entre une mère et une fille lui manquait affreusement. Certes, Noura était là, toujours prévenante, toujours rassurante mais elle n’avait pas osé lui parler de ses craintes, ne pouvait pas lui poser toutes ces questions qui se bousculaient dans sa tête.
Elle ne l’avait fait qu’une fois, quelques mois plus tôt, lorsqu’elle avait su qu’elle était enceinte et le regrettait encore. Dans l’euphorie qui avait suivi la certitude de sa grossesse, elle avait abreuvé Noura de questions sur sa propre naissance et sur celle d’Ivan. Cette dernière s’était prêtée au jeu. Souriante et enjouée, elle semblait partager l’enthousiasme de sa nièce. Pourtant, lorsqu’elle s’était retirée dans sa chambre pour la nuit, Maïa l’avait entendue fondre en larme et étouffer ses sanglots. Elle s’en voulut d’avoir aussi égoïstement oublié l’espace d’un instant ce qu’impliquait la condition de vampire de sa tante. Elle n’aurait jamais d’enfants à elle, ne pourrait jamais fonder de famille. Un comble pour cette femme qui les avait aimés et élevés comme s’ils étaient siens, et était prête à se mettre en danger pour protéger sa famille. Cette injustice avait toujours bouleversé Maïa et, ce jour-là, sachant qu’elle tournait le dos à l’unique responsable, elle en fut autant plus révoltée.
Klaus, lui, ne s’était pas senti aussi stupide depuis bien longtemps. Bien sûr, c’est ce qu’il avait cherché à obtenir et maintenant qu’il était parvenu à la déstabiliser, il resta là, penaud et indécis. Il hésita un moment avant de se lever et de s’approcher d’elle pour tenter de réparer son impair. Mais alors qu’il s’attendait à voir un visage défait, il fut surpris de voir ses sourcils froncés par une soudaine inquiétude. Sans détacher son regard de l’extérieur, elle lui désigna un point de la cour.
- C’est pas vrai ! s’indigna-t-il en portant son attention sur ce que la jeune femme lui indiquait.
La porte de l’écurie était largement ouverte. Sur le tapis blanc qui recouvrait le sol, on distinguait encore, malgré la neige qui s’était accumulée, des traces de pas plus profondes qui se dirigeaient vers la route. Klaus sortit en trombe de la chambre, suivi péniblement par Maïa. Arrivé devant la chambre d’Ivan, le vampire en ouvrit brutalement la porte. La pièce était vide, le coffre contenant ses affaires était resté ouvert. Il avait dû emporter certaines d’entre elles à la hâte. De colère, Klaus rabattit brutalement le couvercle qui se détacha de ses gonds.
Alertés par le bruit et par le cri de rage que poussa le vampire avant traiter sa progéniture de plusieurs qualificatifs peu flatteurs, les autres habitants accoururent de part et d’autre du couloir.
- Cet imbécile est parti ! fulmina Klaus pour expliquer ce que tous avaient déjà compris.
Chacun réagit alors à sa manière : Noura entreprit de terminer la déjà très longue liste de qualificatifs entamée par Klaus alors qu’Elijah, dubitatif devant la réaction de son cadet, tentait de déterminer si son emportement était seulement dû à la contrariété devant ce nouveau contre temps ou à une réelle inquiétude. Maïa, quant à elle, se refugia dans les bras paternels, bouleversée à l’idée de ce qu’il pourrait arriver à son frère. Milan étreignit sa fille comme s’il craignait de la voir disparaître tout d’un coup. Il tenta difficilement de garder son sang froid pour ne pas l’affoler davantage malgré l’angoisse qui lui serrait la gorge. Il aurait dû s’en douter, anticiper la réaction d’Ivan. Mais il avait espéré que la menace qui rôdait au dehors associée à celles proférées par Klaus auraient eu un quelconque impact sur cet entêté. A l’évidence, il avait eu tort, une fois de plus. Une sourde colère contre son inconscient de fils l’envahit et crispa suffisamment ses membres pour que Maïa ne s’écarte pour le considérer avec inquiétude.
- Je vais le chercher, décréta-t-il en faisait déjà volte face pour sortir.
Mais Klaus lui barra soudain le passage.
- Bien sûr…riche idée. N’oubliez pas de saluer Viktor de ma part quand il vous tombera dessus. Restez avec votre fille. JE vais le chercher.
Milan le dévisagea froidement
- Otez-vous de mon chemin. Je ne vous laisserai pas l’approcher pour réitérer votre manège d’hier, s’emporta-t-il.
La discussion s’envenima rapidement. Lorsqu’Elijah s’interposa entre les deux hommes en prenant le parti de son frère, Noura monta immanquablement au créneau pour défendre Milan. Ce fut alors le début d’une véritable cacophonie faite de reproches, d’arguments plus ou moins valables où personne ne voulait en démordre et où chacun campait obstinément sur ses positions. Accaparés par leur joute verbale, aucun d’eux ne remarqua Maïa assise au pied du lit, le visage blême et les mains crispées sur ventre. La plainte à peine audible qu’elle lâcha lorsqu’une violente contraction la plia en deux parvint malgré tout jusqu’à Noura. Celle-ci se précipita immédiatement vers elle, vite suivie par Milan. Agenouillée devant la jeune femme, Noura tenta de capter son regard paniqué et saisit ses mains tremblantes dans un geste d’apaisement et de réconfort.
- C’est trop tôt, sanglota la jeune femme.
Noura acquiesça de la tête. Elle n’avait jamais menti à sa nièce et ne comptait sûrement pas commencer maintenant.
- Il est hors de question que ce bébé sorte de là sans mon autorisation. Mais dans le cas où il aurait hérité du caractère peu coopératif des Pétrova, il serait bon que tu te détendes et que tu t’allonges pendant que je cherche dans les livres de Waleda quelque chose qui pourrait t’apaiser, plaisanta Noura pour détendre sa nièce et surtout pour dissimuler sa propre angoisse.
Elijah contemplait, étonné, cette impétueuse jeune femme, qui lui avait tenu tête quelques minutes plus tôt, allonger sa nièce avec des gestes maternels et posés, la réconfortant d’une voix calme et apaisante qu’il ne lui avait jamais entendue. Décidément, elle arrivait encore à le prendre au dépourvu. Sans doute parce qu’il n’avait jamais eu l’occasion d’apprendre à la connaître vraiment. Ce n’était peut-être pas une si mauvaise chose finalement : il n’aurait probablement pas eu le courage de partir 15 ans plus tôt. Du moins, c’était ce dont il tenta alors de se persuader.
Quand son regard croisa celui de Noura, il se crispa comme si elle l’avait pris en faute et avait lu dans ses pensées.
- Je vais avoir besoin de toi Elijah, je veux que tu ailles me chercher certaines herbes au village. Quant à toi Klaus, va chercher Ivan. Et tu as intérêt à le ramener vite et entier.
Le temps n’était plus aux discussions sans fin et tous en avaient conscience. Elle avait ordonné et aucun n’avait même songé à la contredire.