Vertical : la montagne, le plus beau cimetière du monde…

Publié le 10 septembre 2013 par Paoru

Le problème avec la rentrée c’est qu’avec toutes ces sorties, on risque toujours de rater un bon titre. Justement, parmi les nombreuses séries qui débute en ce moment vous avez peut-être manqué Vertical de Shinichi Ishizuka, publié par les éditions Glénat. C’eut été dommage, d’autant que le titre est bon et traite d’un sujet pas si fréquent : l’alpinisme.

Sous la plume d’un mangaka également alpiniste à ses heures, ce seinen décrit le quotidien d’une équipe de secouriste de haute montagne. Il a été publié sous le nom de Gaku – Minna no Yama de 2003 à 2012 dans le Big Comic Original de la Shôgakukan, le fameux magazine où sont passés plusieurs succès de Naoki Urasawa, Monster et Pluto entre autres. Vertical s’est achevé en juin dernier au Japon, après 18 tomes et environ 5 millions d’exemplaires vendus. Il a également remporté le tout premier prix Manga Taishô (cf photo ci-dessous) en 2008, dont les élus sont très convoités par les éditeurs français et qui a récompensé Chihayafuru, Thermae Romae et Silver Spoon pour ne citer qu’eux.

Regardons maintenant de plus près ce titre, pour voir s’il mérite son pedigree !

Sanpo Shimazaki, un alpiniste qui vous veut du bien…

Lorsque Kumi Shiina, jeune policière de Nagano, est mutée en haute montagne, elle se demande bien ce qu’il l’attend. Il faut bien avouer que le secours en montagne, ça ne s’improvise pas vraiment : il se passe souvent plusieurs jours avant d’être informé d’un drame ou d’une disparition et les conditions d’accès pour le sauvetage sont parmi les plus difficiles qui existent !

Heureusement, Shiina et sa nouvelle équipe peuvent toujours compter sur Sanpo Shimazaki, un secouriste bénévole qui a parcouru tous les plus monts du globe en solitaire et qui est revenu sur sa terre natale, les Alpes japonaises, pour vivre en solitaire, en haute altitude. Il a conquis les plus hauts sommets du monde et connait parfaitement les techniques d’alpinisme lui permettant de partir à la rescousse des accidentés les plus inaccessibles.

Si Sanpo admire la beauté de ces montagnes blanches, il n’en occulte pas un seul instant les tragédies qu’elles renferment et multiplient aussi bien les gestes de préventions que les expéditions de recherche et de sauvetage. Que l’histoire se termine bien ou qu’elle s’achève face à des corps sans vie, notre homme ne renonce jamais, dans le respect des victimes, de la montagne, et de leur passion commune pour l’alpinisme !

Le plus beau cimetière du monde…

Comme je le disais plus haut, l’alpinisme et la haute montagne ne sont pas des sujets si répandus dans le manga, en tout cas chez ceux qui sont publiés dans l’hexagone. Depuis quelques années on peut même dire que l’excellent Ascension de Shin’Ichi Sakamoto truste un peu seul cette catégorie, pourtant si propice à des histoires fortes, au dépassement de soi et à des rebondissements tragiques. De part sa nature d’archipel volcanique et fortement montagneux, les montagnes japonaises (qui occupent 63% du territoire tout de même) bercent sa population d’histoires et d’aventures. De nombreux enfants ont passé leur enfance à contempler d’inaccessible cônes blancs, tout comme notre héros Sanpo Shimazaki, qui gravit des sommets depuis l’âge de ses 10 ans.

Après avoir parcouru le monde et les pics les plus dangereux de la planète, l’homme est de retour dans les Alpes japonaises, le plus important massif nippon (92 des 100 plus hautes montagnes du pays). Original, il a décidé de faire de cette sierra sa maison, et il vit dorénavant au beau milieu des rochers, de la neige et du vide. Shinichi Ishizuka nous présente un homme dans la trentaine souriant et sympathique, mais jamais désinvolte : c’est un observateur éclairé de la montagne, d’une vigilance constante. Après de nombreuses années à parcourir les places les plus élevées de la planète, il a compris qu’on gagne toujours à se montrer humble devant la nature, à rester à son écoute.

Devenu sauveteur, il cherche aussi bien à secourir les malchanceux qu’à mettre en garde les imprudents, sans pour autant les blâmer lorsqu’il n’en font qu’à leur tête… car il sait combien les monts majestueux peuvent exalter ceux qui désirent les défier. La pureté de ces lieux fait parfois oublier qu’ils ne sont pas sans danger, bien au contraire. Avalanches, crevasses, tempêtes de neige, falaises abruptes et corniches instables sont sans pitié et ce récit nous le rappelle sans cesse : Vertical n’a rien d’un manga joyeux qui vous parle de vacances à la montagne… Vraiment pas. Beaucoup d’accidentés s’en sortent mais les missions de Sanpo ont quelques conclusions funestes : un accidenté gravement blessé peut facilement mourir lors de son sauvetage, et il faut savoir abandonner un disparu à une mort certaine pour être sur d’en ramener deux autres à bon port.

Au milieu de tous les dangers Sanpo a la lourde responsabilité des blessés qu’ils transportent et, même lorsqu’il est trop tard, il tente toujours de respecter la volonté du défunt. De la même façon, il doit aussi gérer les émotions extrêmes qu’il rencontre, comme la colère d’un proche de la victime, fou de douleur, ou encore l’entêtement d’un alpiniste à ne pas suivre ses consignes, à vouloir rester sur les lieux d’une avalanche pour rechercher un compagnon. Avec calme, fermeté et ce qu’il faut de sourire pour redonner espoir, il ramène les égarés chez eux.

La montagne, l’altruiste et la morale de l’histoire…

Le talent de Shinichi Ishizuka est de placer un personnage fondamentalement altruiste au centre de son récit sans tomber dans l’excès de bons sentiments ou la redondance d’une morale sur les « vilains-alpinistes-qui-ne-savent-pas-respecter-la-montagne« . Quelque soit la situation Sanpo est là pour sauver sans poser de question, sans n’émettre aucun jugement…

Par contre le lecteur aura droit, lui, au background des accidents, à quelques flashbacks sur la vie des blessés. Coincés dans des endroits toujours plus escarpés, les victimes ont tout le temps de réfléchir face au vide et aux jours qui s’écoulent sans que personne ne vienne à leur secours. Remords ou regrets les envahissent alors et on partage avec eux cette expérience entre le désespoir et l’attente d’un secours… ou de la mort.

Ces tranches de vie se révèlent assez prenantes et l’éternelle bonne humeur de Sanpo n’est finalement pas de trop. D’autant qu’il n’est pas l’unique personnage de cette histoire : on y rencontre Shiina, la débutante qui est un bon prétexte pour apprendre au lecteur les dangers de la montagne, les phénomènes climatiques, physiques et dynamiques qui lui sont propres. Shiina découvre aussi, avec nous, le métier de sauveteur de haute montagne, sa difficulté et son manque de reconaissance du grand public.

En dehors des collègues sauveteurs de Sanpo, on rencontre aussi les amis qu’il a pu se faire à travers le monde en gravissant les sommets. Ces alpinistes chevronnés l’accompagnent aussi bien pour le plaisir que pour le sauvetage, et possèdent eux-aussi une personnalité bien taillée. Et même au sein de ce bloc d’amis et d’experts, Sanpo doit, au fil des années, dire adieu à certains d’entre-eux, définitivement englouti par les rocheuses et la neige…

Tout ceci fait donc de Vertical un manga original, qui parvient à alterner les sauvetages à suspens et des réflexions sur la façon dont nous décidons de mener nos vies et de gravir, par métaphore ou non, nos propres sommets. Un titre beaucoup plus prenant qu’il en a l’air, on vous le conseille !

Fiche descriptive

Titre : Vertical
Auteur : Shinichi ISHIZUKA
Date de parution du dernier tome : 28 août 2013
Éditeurs fr/jp : Glénat / SHOGAKUKAN
Nombre de pages : 224 n&b
Prix de vente : 7.60 €
Nombre de volumes : 1/18 (terminé)

Gaku © 2005 Shinichi ISHIZUKA / SHOGAKUKAN

Le manga a aussi connu une adaptation en film en 2011 sous le nom de Gaku, et voici le trailer :