A l’occasion d’un déplacement professionnel en Suède, j’ai assisté à un séminaire organisé par la chambre de commerce franco-suédoise, séminaire intitulé: « Do Business With France« . Comme le dit Staffan Heimerson, la France est le second marché en Europe, et la Suède est un pays exportateur, comment se fait-il que l’activité commerciale entre ces deux pays ne soit pas plus importante? Quels sont les freins? Et sur quelles qualités de ces deux pays doit-on s’appuyer pour accroître les échanges commerciaux?
Voici une retranscription plus ou moins fidèle des débats.
Introduction par Pierre Schoeffler
Economiste, installé en Suède depuis longtemps, et qui connaît bien les deux pays.
Frank Belfrage (secrétaire d’état aux affaiers étrangères)
Les relations économiques entre la France et la Suède sont « incontournable ». La France est un des états, sinon le pays, à l’origine de la communauté européenne. Les valeurs sont communes, malgré certains différends. La France mixe économie de marché et protection sociale.
Pour les entreprises suédoises, la France est un partenaire incontournable. Les grandes entreprises sont toutes bien établies : Volvo, Atlas Copco, Ericsson, IKEA, etc. La région lyonnaise est importante, due à l’implantation de Volvo.
Du côté français, le développement à l’étranger est plus récente, comme par exemple l’acquisition de V&S par Pernod Ricard en 2008.
La collaboration va croissante. La barrière de la langue va en diminuant, bien que l’anglais soit indispensable.
La coopération va également croissante dans le domaine de la recherche.
Enfin, la sécurité est également un domaine de prédilection pour la coopération entre les deux pays, lors d’opérations conjointes, notamment au Congo, au Mali.
Jean-Pierre Lacroix (ambassadeur de France en Suède)
Le moment est venu de renforcer les relations économiques entre les deux pays. Les échanges économiques sont plus importants avec la Suède, qu’avec le Brésil, le Canada ou même l’Algérie. Plusieurs domaines méritent qu’on s’y intéresse, notamment dans le domaine de la banque et de la finance. Il y a de nombreux secteurs qui proposent des opportunités importantes, comme l’énergie, les transports, l’environnement, le tourisme, la gastronomie, etc.
Staffan Heimerson (Editorialiste Aftonbladet)
La vérité sur la France … enfin !
Les préjugés et les stéréotypes ne seraient-ils pas suffisants ? Les français sont arrogants, ils pensent que leur langue est importante, ils conduisent comme des fous, ce sont des alcooliques nés, etc. Il y a une part de vrai dans ces préjugés, mais il faut aller au-delà.
Si ces préjugés se sont développés, blâmez les médias. Certains reporters étaient à ce point emplis de préjugés, que l’un d’entre eux alla même jusqu’à prétendre que la nourriture était meilleure à Londres qu’à Paris…
Ayant pas mal roulé sa bosse aux US, en Australie, à Hong-Kong, etc., il considère que la France offre des avantages indéniables pour un Suédois : la centralité, la gastronomie, la météo, entre autres.
L’arrogance des français ? C’est une forme de politesse. Ils parlent anglais avec un merveilleux anglais à la Maurice Chevalier, voire comme l’inspecteur Clouzot. Leur conduite dangereuse sur les routes ? Leur taux d’accidents de la route est en baisse constante depuis qu’il s’est installé. Des alcooliques ? Les français préfèrent, de loin, le coca cola, et si vous cherchez des alcooliques, allez donc voir du côté des anglais adeptes du « binge drinking ».
Les similarités entre la France et la Suède sont nombreuses. L’éducation par exemple ? Les performances des deux systèmes sont assez proches : 4 universités suédoises au classement de Shanghai, 3 françaises. Il n’y a que sur la corruption ou la lutte pour la transparence où la Suède se distingue largement de la France.
Quelles sont les raisons pour lesquelles une entreprise envisage de se développer dans un autre pays ? Le pays cible ne doit pas être corrompu, ou pas trop. La majorité des habitants doivent avoir un pouvoir d’achat raisonnable. Les lois et les taxes ne doivent pas être trop compliquées.
Laurence Romani, chercheur en sociologie des entreprises
Quelles sont les différences entre la France et la Suède ? Essentiellement au niveau du leadership. Pour trois raisons.
- Certaines personnes ne savent pas qu’il y a des différences
- Certaines personnes ne veulent pas tenir compte des différences
- Certaines personnes n’arrivent pas à tenir compte des différences
Laurence Romani va s’appuyer sur trois exemples : la notion de leadership, le travail d’équipe, et la communication avec une filiale.
Leadership
En Suède, le leadership est différent: primus inter pares. Quelqu’un doit être le leader, mais cela ne vous rend pas meilleur que les autres. N’importe qui peut donner son opinion, en Suède, et cela relève du leadership : avant de prendre une décision, le leader suédois consulte son équipe, afin d’arriver au consensus.
Cette manière d’assumer le leadership peut surprendre des collaborateurs français : pourquoi nous demande-t-on notre avis ? ne peut-il pas prendre ses décisions seul ? pourquoi ne nous dit-il pas ce que nous devons faire ? En France, un leader suédois peut passer pour un chef faible, et perdre sa crédibilité.
Certains managers suédois finissent par refuser cette attitude du « chef qui décide tout ».
Travail d’équipe
La notion de travail d’équipe diffère également. En Suède, une fois que le consensus est établi, l’équipe n’a plus besoin du boss pour avancer : les membres sont autonomes, le manager n’a pas forcément besoin de vérifier ce qu’ils font et peut passer à autre chose. En France, on attend du manager des instructions, un suivi précis. Ainsi, le manager suédois qui encadre une équipe française fini par être accusé d’être trop vague, trop flou, de passer son temps en discussion interminables pour obtenir un consensus, et une fois que tout le monde est d’accord, il disparaît. La crédibilité du manager suédois est alors fortement menacée.
Communication
Troisième volet, sur la communication entre une entreprise suédoise, et sa filiale en France. En Suède, la notion d’égalité est importante, il y a peu de niveaux hiérarchiques, et la responsabilisation est forte. En France, ou en Inde, on se base beaucoup plus sur la hiérarchie, et la responsabilisation est plus faible. Cela ne veut pas dire que le travail ne sera pas fait, mais simplement que l’entreprise suédoise attend de sa filiale une certaine capacité à s’auto-corriger.
Les français pensent parfois que les suédois veulent éviter les conflits. C’est faux : ils attendent de leurs partenaires qu’ils résolvent leurs conflits et se corrigent par eux-mêmes, en adultes.
Table Ronde avec Thomas Berglund (Capio), Jérôme Arnaud (Doro), Frédéric Guillaume (BabyBjörn), Pierre Schoeffler (S&Partners), Laurence Romani
Animée et modérée par Staffan Heimerson
TB : la force principale qui permet de travailler ensemble, c’est la réduction des coûts.
JA : les différences de culture sont importantes. Les rythmes de travail sont aussi différents, mais c’est la même chose quand on considère la collaboration avec des entreprises allemandes.
FG : chez BabyBjörn, la responsabilisation est importante.
PS : les entreprises françaises sont très respectueuses du contexte économique en Suède, elle n’essaient pas de brusquer les choses. L’UE a montré que réunir plus de 20 cultures différentes était difficile.
Comment définir la France en un mot ? Passion, opportunité, plaisir, raison ? Et comment définir la Suède ? Un pays de rêve, l’égalité, präktit, qualité de vie, confiance.
La France est la seconde économie en Europe, la Suède est un pays d’exportation, pourquoi les exportations de la Suède vers la France ne sont elles pas plus importantes ?
JA : les entreprises suédoises ont une mauvaise perception du marché français, qui requiert une adaptation, une communication dédiée.
FG : pour les consommateurs français, « suédois » est synonyme de qualité et de confiance dans le produit. C’est un concept qui a énormément de valeur, et il faut en profiter.
LR : le « modèle suédois » a du succès, notamment en termes d’éducation, de gouvernance, et bien sûr en termes de qualité
Si la qualité est le mot qui caractérise la Suède, quel serait le mot qui caractérise la France ?
FG : la passion, sans conteste. Les français sont passionnés, que ce soit d’art, de produits, de sport. En Suède, les gens sont plus réservés.
PS : dans le domaine de la banque et de la finance, les français sont très créatifs, et ont une grande capacité d’innovation.
Etes-vous optimistes dans le contexte de crise en Europe?
PS: l’Europe monétaire en soi n’est pas un mal, ce qui pose problème, c’est de laisser une poignée de fonctionnaires qui ne sont même pas élus décider de l’avenir économique de la zone euro.
TB: un système de santé repose sur deux choses: des gens qui travaillent, et qui sont bien formés. Ces deux notions sont, malheureusement, menacées un peu partout, et on doit accorder plus d’attention à cela
Les disparités des systèmes de taxes sont-elles un frein?
PS: il n’y aura jamais d’unification des systèmes de taxes, il ne faut pas rêver.
Le climat actuel est-il hostile à l’innovation?
TB: comparé aux US, nous sommes moins riches et moins libres en termes d’innovation, les contraintes règlementaires sont trop fortes.
L’image de la France en Suède est-elle le principal frein au business entre les deux pays (question de la salle)?
TB: l’Allemagne a été, traditionnellement, un partenaire beaucoup plus important que la France. Puis ce fut le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. Capio est une exception, avec des revenus à peu près similaires pour la France ou la Suède. Il y a, en effet, des préjugés (misconceptions) sur la France
LR: il y a en effet des préjugés, mais ceux qui ont essayé de travailler avec la France ne le regrettent pas
SH: la tradition, en général, n’est pas utile
PS: la combinaison de l’ENA et de la CGT a en effet de quoi faire peur! Mais la peur ne provient pas du cadre des lois, mais de l’instabilité de ce cadre (Note: cf. la conférence du MEDEF sur l’enfer fiscal, il y a quelques semaines allait également dans le même sens). Les politiciens français croient, quel que soit leur pedigree, que ce sont eux qui font fonctionner l’économie du pays, via le cadre de la réglementation: c’est contre cela qu’il faut lutter.
Quels sont les trois points forts des entreprises suédoises pour exporter en France?
JA: qualité des produits, confiance dans les équipes, expertise dans les produits industriels
FG: le design et l’ergonomie, la fiabilité, l’honnêteté intellectuelle
TB: nous partageons une culture commune, un système éducatif de qualité, il faut juste changer d’attitude
LR: l’image de la Suède est très positive en France, la fiabilité et la prédictibilité, et la tradition d’ingénierie très forte en Suède (cf. Volvo, ABB, etc.)
PS: les Suédois sont un mix de vikings et de paysans: ils aiment le risque et l’abhorrent à la fois. La France devrait séduire cette approche: il y a une part de risque à venir en France, comme pour toute exportation, mais le risque est limité, au moins pour les plus grosses entreprises. L’appétence au risque est forte, encore faut-il le contrôler, et c’est là où les chambres de commerce peuvent contribuer
Conclusion de Gîta Paterson (présidente de la chambre de commerce suédoise en France)
La France arrive en 7e position des exportations suédoises: il y a des échanges commerciaux, ce n’est pas la question. Mais cette part peut largement progresser. Comment? D’abord travailler au niveau des médias, il y a peu de journalistes suédois en France, et de nombreux préjugés existent et se maintiennent. Il est également vrai que le système réglementaire en France est assez instable, et de nombreuses entreprises évitent la France à cause de cela. Mais le contexte évolue aussi en France, et dans la bonne direction: de cela, les entreprises suédoises devraient être informées.
Quant au protectionnisme supposé du marché français, soyons sérieux: la France n’est pas un pays si protectionniste, si on le compare aux Etats-Unis.
Sur les différences de culture du management, il faut chercher la raison du côté du cadre légal. Qui est responsable en cas de faute? En France, ce refus de la délégation est sans doute dû au fait qu’in fine, ce sera le manager qui sera tenu responsable. D’où ce besoin d’instructions, parfois en double exemplaire, qui peut être perçu comme un frein par des entreprises suédoises.