Le projet Taubira préfère se référer à la "contrainte pénale" au détriment de la "probation".
Par Roseline Letteron.
Christiane Taubira présente les grandes lignes du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines, d'abord aux associations de victimes d'infractions le 4 septembre 2013, puis dans les médias, avec notamment sa participation à l'émission Des Paroles et des Actes le 6 septembre. Pour le moment, le débat est centré sur la "contrainte pénale". Pour ses partisans, il s'agit d'un "changement radical de paradigme" (sic), dès lors qu'il y a "rupture avec la référence explicite à l'emprisonnement" (J.C. Bouvier, AJpénal 2013, p. 132). Pour ses adversaires, c'est une peine de substitution destinée à "vider les prisons" (Franz Olivier Giesbert) voire un "message de laxisme pour les délinquants" qui s'accompagnera nécessairement d'une "recrudescence de liberté des voyous (...)" (J.C. Delage, secrétaire général du syndicat de police Alliance).
Cette opposition entre les "sécuritaires" et les "laxistes" n'a rien de bien nouveau, et rappelle les beaux jours du quinquennat Sarkozy. Son risque est de réduire le futur débat parlementaire à cette problématique. Pour essayer de lutter contre une telle simplification, le meilleur remède est encore de savoir de quoi on parle.
Définition de la contrainte pénale
La contrainte pénale est définie dans le projet de loi qui propose l'insertion, dans le code pénal, d'un nouvel article 131-8-2 ainsi rédigé : "La contrainte pénale consiste dans l'obligation pour la personne condamnée d'être soumise, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures d'assistance, de contrôle et de suivi adaptées à sa personnalité et destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société, tout en respectant certaines obligations ou interdictions justifiées par sa personnalité ou les circonstances de l'infraction".
Cette définition est longue, peut être trop, mais présente l'avantage de mettre en évidence un certain nombre d'éléments qui pourront, ensuite, susciter le débat parlementaire.
Et pourquoi pas la probation ?
Le plus visible dans le projet de loi réside paradoxalement dans une absence, celle de toute référence à la notion de probation. Or, celle-ci figurait dans le travail de la conférence de consensus qui est directement à l'origine de la réforme, le rapport remis au Premier ministre préconisant la mise en œuvre d'une "peine de probation". Cette terminologie est également celle adoptée par le Conseil de l'Europe, dans sa recommandation du 20 janvier 2010 "relative à la probation".
Le projet Taubira préfère pourtant se référer à la contrainte pénale, terme également privilégié par le rapport Raimbourg présenté à l'Assemblée nationale en janvier 2013. Il présente un premier avantage d'ordre terminologique, qui est d'éviter toute confusion avec le champ d'intervention des agents de probation, ceux là même qui sont chargés de l'accompagnement et de la prise en charge des personnes condamnées en milieu libre.
Ce choix est d'abord un hommage à l'"inventeur" de cette notion, Pierre-Victor Tournier, dont les travaux en criminologie sont bien connus des spécialistes Celui-ci propose en effet, une peine de "contrainte pénale appliquée dans la communauté". La référence à la "communauté" est, en fait, une forme d'anglicisme inspiré des travaux du Conseil de l'Europe. Dans un pays comme la France qui récuse tout communautarisme, l'idée est tout simplement celle d'une peine effectuée en milieu ouvert, par opposition au milieu carcéral. Pour supprimer toute ambiguïté terminologique, les auteurs du projet ont donc préféré retirer toute référence à cette "communauté", bien étrangère au droit français.
Cet hommage au travail de Pierre-Victor Tournier cache cependant une seconde cause de cette préférence de la "contrainte pénale" au détriment de la "probation : le champ d'application de la première est bien plus étroit que celui de la seconde. La probation est généralement présentée comme englobant l'ensemble des peines exécutées en dehors des murs d'une prison, dans le but de réinsérer l'auteur de l'infraction dans la société et de contribuer ainsi à la sécurité. L'idée générale est de créer un "désistement" (atrocement aussi appelé "désistance"), c'est à dire un processus par lequel l'auteur d'infraction est conduit, par de multiples leviers, à mettre un terme à ses activités de délinquance. La "contrainte pénale", de son côté, a des ambitions plus modestes même si elles demeurent importantes. Il s'agit de lutter contre la récidive, en sortant la personne du milieu carcéral pour l'exécution de sa peine. La contrainte pénale englobe donc une série d'obligations de comportement mises à la charge de la personne condamnée.
La contrainte pénale "déconnectée" de l'emprisonnement ?
La contrainte pénale se veut donc "déconnectée" de la peine de prison. Elle est prononcée par la juridiction de jugement, en l'occurrence le tribunal correctionnel, puisqu'elle s'applique aux personnes déclarées coupables d'un délit punissable d'une peine inférieure ou égale à cinq années d'emprisonnement. Entendons nous bien, le tribunal correctionnel se borne à condamner à la contrainte pénale, sans plus de précision. Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) devront ensuite, dans un délai de trois mois, faire ce que les anglo-saxons appellent un "diagnostic à visée criminologique", c'est à dire une enquête prenant en considération l'ensemble du contexte socio-culturel dans lequel évolue le condamné : vie familiale, aptitudes professionnelles, capacités de réinsertion, etc. Ils proposeront ensuite les mesures qui leur paraîtront adaptées au cas particulier et c'est le juge d'application des peines qui décidera du contenu effectif de la contrainte pénale. La plupart des mesures possibles existent déjà dans notre système juridique : obligation de soins, travaux d'intérêt général, obligation de suivre une formation, interdiction de s'approcher de telle ou telle personne ou de tel ou tel lieu etc. (art. 9 du projet de loi).
La formule a de quoi séduire, car elle suppose à la fois une véritable individualisation de la peine et un suivi aussi bien pénal que social du condamné. Bien des incertitudes demeurent cependant.
La première est que cette déconnexion avec l'emprisonnement semble assez largement cosmétique. Si l'intéressé ne respecte pas ses obligations, la contrainte pénale pourra être révoquée par le JAP, ce qui signifie en clair que l'intéressé ira tout de même en prison, même s'il est prévu que l'emprisonnement ne pourra excéder la moitié de la durée de la contrainte pénale. D'une manière générale, le JAP pourra choisir d'emprisonner l'intéressé pour une courte période, et de le laisser ensuite sortir, en renforçant les mesures de contrainte. La prison demeure donc une menace réelle, ce qui n'est d'ailleurs pas nécessairement une mauvaise chose, mais ce qui rapproche la contrainte pénale de l'actuel sursis avec mise à l'épreuve. Sur ce plan, les condamnés risquent de ne pas réellement voir la différence entre les deux types de peine.
La seconde incertitude réside, il faut bien le reconnaître, dans la mise en œuvre concrète de cette peine nouvelle. Elle repose sur une diagnostic individualisé qui est la condition de son succès, mais qui est aussi l'apanage d'une justice riche, ou au moins dotée de moyens relativement substantiels. Les spécialistes font ainsi observer qu'il y a autant d'agents de probation dans la seule ville de Londres que dans la France entière. Sur ce plan, la réforme ne se limite pas au vote de dispositions introduisant une nouvelle peine dans l'ordre juridique, elle suppose aussi un bouleversement considérable des conditions fonctionnement de l'administration de la justice. Le Parlement ne devra certainement pas oublier cet aspect de la réforme au moment où les débats commenceront.
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