Du nil à alexandrie. histoires d'eaux - 14. hommages a hâpy : le retour de la lointaine, le jour de l'an ...

Publié le 10 septembre 2013 par Rl1948

     La cérémonie consiste donc à la fois à remercier la Pachamama (*)  pour les bienfaits de l'année écoulée, mais aussi à s'allier ses bonnes grâces pour la nouvelle année qui commence (le mois d'août marque en effet de ce côté du globe la fin de l'hiver) ; en espérant en premier lieu suffisamment de pluie, ainsi que de bonnes récoltes futures.       

(*)  La Pachamama est la déesse-terre, déité majeure et incontournable de la cosmogonie andine.

Pat l'expat

Le rituel des offrandes à la Pachamama

3 septembre 2013

     Au moment où, la semaine dernière, je peaufinais la présente intervention, j'ai reçu avis de parution d'un nouvel article de Pat, blogueur français expatrié pour l'instant à Buenos Aires et à qui, quand il avait vécu en Égypte, j'avais, dans cet ancien article d'il y a pratiquement 4 ans, déjà donné audience pour vous montrer l'endroit exact où avait été découverte la Pierre de Rosette.

     Hasard, coïncidence, le rituel amérindien auquel Pat avait été convié en août et qu'il décrivait en ce début du mois de septembre, nombreuses photos à l'appui, présentait quelques similitudes avec mes recherches du moment ...   

     Rappelez-vous : avant de vous inviter la semaine dernière à nous retrouver ce matin pour quelques moments festifs, j'avais terminé notre entretien par ces mots :

     Le Retour de La Lointaine ...

    Le retour du flot bienfaiteur, héraut d'une nouvelle prospérité ...

     Vous aviez évidemment compris par là que cette rentrée de La Lointaine en terre égyptienne n'était jamais que la métaphore du retour tant souhaité de l'inondation qui, chaque année, à la saison Akhet,de la mi-juillet à la mi-novembre, devait permettre aux terres asséchées par Rê de se gorger tout à la fois d'eau et de ce limon fertilisant constitué des déchets et des débris rocheux que le Nil arrache et charrie au long de son cours,de manière qu'elles puissent être préparées pour la culture quand il reviendrait dans son lit, au début de la saison Peret qui commençait à la mi-novembre et se terminait avec la première quinzaine de mars

     De sorte qu'à partir de la mi-mars, à la saison Chemou, débutait le temps des récoltes, auquel succédait à nouveau la sécheresse, avant les tant attendus débordements, coïncidant avec le lever héliaque de l'étoile Sirius, la Sothis des Grecs, aux environs du 19 juillet.

    Pour que retour il y eût, pour qu'abondantes les crues fussent, pour que le passage d'un cycle cosmique à l'autre dans les meilleures conditions possibles s'effectuât, fallait-il encore s'assurer les faveurs de Sekhmet, l'irascible déesse léonine, en conjurant la volonté destructrice de l'"Oeil de Rê" qu'elle personnifiait si elle n'avait pas été apaisée et que manifestaient ses flèches et ses émissaires, symboles des différents fléaux annuels

     Conjuration, nous l'avons vu précédemment, opérée entre autres grâce aux statues que lui avait vouées le pharaon Amenhotep III et aux litanies qui s'égrenaient de chaque côté du siège sur lequel la Puissante trônait.

     Grâce également aux prières prophylactiques gravées à certains endroits des temples d'Edfou, d'Esna ou de Kom Ombo que se devaient de psalmodier les prêtres-lecteurs y officiant.

     Grâce aussi au sacrifice de plusieurs oryx, ces si belles antilopes accusées d'avoir tant irrité l'ombrageuse lionne pour avoir attenté à l'Oeil divin et ainsi s'opposer à l'apparition de l'étoile Sothis, partant, à la venue de la crue. 

     Grâce enfin à certains gestes populaires : je pense par exemple à ces petites figurines du Hâpy ventripotent que vous connaissez, façonnées en différentes pierres ou métaux que l'on jetait dans le Nil en période d'étiage, censées, vous vous en doutez, appeler et assurer d'imposants débordements futurs. 

     Inquiets, les Égyptiens surveillaient alors dans les nilomètres le niveau du fleuve qui commençait à grossir grâce aux pluies qu'il avait connues en amont de son parcours. Et quand les premiers signes de crue se manifestaient dans la Vallée, - nous étions le premier jour du premier mois de l'Inondation, approximativement le 19 juillet : La Lointaine était donc revenue -, les festivités du Nouvel An pouvaient commencer.

     Elles présentaient toutefois un aspect quelque peu ambigu dans la mesure où l'allégresse devant l'arrivée du flot nourricier le disputait à la crainte qu'il ne fût suffisamment dense et riche d'alluvions : réjouissances et beuveries populaires lors des grandes fêtes d'Hathor, déesse de l'Ivresse, ainsi que rituels apaisant Sekhmet ou implorant Hâpy, nous l'avons vu, se succédaient en fait jusqu'à ce que l'augmentation maximale atteigne idéalement un niveau d'eau de 16 coudées. 

      A l'occasion de ce Nouvel An tant espéré, il était coutume, dans toutes les strates de la société, d'offrir de menus présents, et notamment des petites gourdes relativement aplaties, en forme de lentille.

     Ce sont cinq d'entre elles que nous propose la vitrine devant laquelle nous sommes à présent arrêtés, à l'exposition Du Nil à Alexandrie. Histoires d'eaux, au Musée royal de Mariemont, qu'ensemble nous visitons depuis avril dernier.     

      

           Vous remarquerez au premier coup d'oeil que, parfois, les faces lenticulaires peuvent être décorées de motifs floraux ou géométriques, alors que d'autres - comme celle du fond à droite (Louvre N 961) - présentent une sorte de collier-ousekh, semblable à celui qui ornait l'égide que nous avons admirée mardi dernier. 

     Beaucoup aussi portaient des inscriptions hiéroglyphiques gravées sur le plat de leurs bords circulaires : soit elles évoquaient un souverain - celle de l'arrière-plan, à gauche (Leyde AT 97) nomme par exemple Khnemibrê, fils de Rê, Amasis - ou le souhait qu'oralement devaient s'adresser ceux qui s'échangeaient semblables cadeaux.

     Ce voeu, Que s'ouvre (pour vous) une belle année, les plus fidèles d'entre vous le connaissent : je vous l'avais en effet présenté en débuts d'années 2009 et 2010.

      C'est l'adaptation de cette formule de Nouvel An que vous pouvez lire sur la tranche de la gourde (N 960) ci-après qui, à la différence de sa consoeur N 961 que nous venons de voir, est restée au Louvre : Qu'Amon ouvre une bonne année à son maître.

      Du côté opposé, c'est sous la protection d'autres divinités - Ptah et Sekhmet, entre autres - que le texte se place.

     Ces différentes variétés de décoration m'invitent à attirer votre attention, parmi les cinq récipients ici choisis par l'égyptologue Arnaud Quertinmont, sur celui de gauche à l'avant-plan.

     

      Dans le 7ème arrondissement de Paris, au 121 rue de Lille, se niche au fond d'une arrière-cour un ravissant petit hôtel particulier datant du XVIIIème siècle : l'hôtel Turgot.

     Ne vous y trompez pas, amis visiteurs : comme vous pourrez le constater en lisant cette notice, il ne s'agit nullement d'un musée dans lequel vous déambuleriez au gré de votre bon vouloir lors d'un séjour dans la capitale française, mais duCentre culturel des Pays-Bas où furent déposées en 1947 les oeuvres ayant appartenu à l'historien d'art néerlandais, Frits Lugt (1884-1970).

     J'ai la nette impression - mais certains d'entre vous infirmeront-ils peut-être mon présupposé - que cette collection est fort peu connue des Français, voire des Parisiens, car elle n'est en réalité visible que sur rendez-vous ou lors de la seule visite guidée organisée chaque mois.   

     De ce "trésor" estimé à quelque 90000 pièces provient la gourde du Nouvel An (Inv. n° 8226) ci-dessus, fort heureusement prêtée à Mariemont. En faïence, d'une hauteur de 13,7 centimètres pour 11,8 de large et 7,7 de profondeur, elle date de Basse Epoque et présente une scène particulièrement intéressante et porteuse de nombreux symboles connotant la renaissance de la nature grâce à la crue du Nil, partant, celle de tout défunt.

     La couleur verte de la pièce, déjà, symbolise la régénérescence de la végétation palustre typique du Delta avec ses fourrés de papyrus.

     Vous remarquerez toutefois que le décor végétal gravé en léger relief sous les rangs de perles à motifs floraux et géométriques semblables à ceux que nous avons rencontrés ce matin sur d'autres petits vases de la vitrine, est grandement stylisé : vous imaginez aisément qu'aussi figées, aussi statiques,tellement droites, tellement bien rangées côte à côte, les tiges végétales, jamais ne se présentaient dans la nature. Agitées par le vent, se balançant, se frottant immanquablement les unes contre les autres, elles développaient un certain bruissement qui suggérait les sons émis par les sistres, - dont un est par ailleurs incisé sur l'autre face de l'objet -, ces "instruments bruiteurs", je l'ai déjà souligné, que notamment pour  instiguer chez le démiurge un désir masturbatoire aux fins de créer le monde, jouait la déesse Hathor. 

     Elle était alors assimilée à Nebet-Hetepet, - déesse dont le nom, je le souligne incidemment, signifieMaîtresse du pubis -, et appelée "Main du dieu"

Admettez que l'on ne peut être plus explicite ! 

     Cette Hathor, sous forme de vache que vous voyez ici se déplacer sur un frêle esquif de papyrus, l'ombelle de la plante ornant tout à la fois et la proue et la poupe, traverse une nature luxuriante : dans les croyances égyptiennes, les fourrés du Delta matérialisaient son royaume.  Symbole de charme, de grâce et de séduction féminins, Hathor personnifiait également l'Amour, cet amour physique absolument nécessaire à tout défunt pour accomplir son obligatoire régénération d'après trépas.

     Sur cette représentation, la connotation sexuelle est donc évidente, tant pour les dieux que pour les hommes ! Tout comme elle l'était, souvenez-vous, au sein des scènes de chasse et de pêche dans les marais qu'à votre intention j'avais décodées lors de nos rendez-vous des  30 mars  et  20 avril 2010.

     Si j'avais eu la chance de disposer d'un cliché idoine, vous auriez pu déchiffrer sur les bandeaux latéraux du récipient une suite de hiéroglyphes plus foncés que les autres motifs gravés de manière à vraisemblablement attirer sur eux une attention bienvenue puisqu'ils expriment le "classique" souhait de Nouvel An avec, d'un côté : Puissent Ptah et Sekhmet ouvrir une bonne année pour son propriétaire ; et de l'autre : Puissent Nebet-Hetepet et Bastet - (autres manifestations de La Lointaine) - ouvrir une bonne année pour son propriétaire.  

     Mais que donc contenaient ces gourdes si couramment offertes au passage d'une année à l'autre ?

     Si je m'en réfère à Arnaud Quertimont, Docteur en égyptologie et éditeur scientifique du guide de l'exposition : l'eau de la crue, affirme-t-il sans hésiter. (Notice 12, p. 26)

     Apparemment plus circonspect, Luc Delvaux, Conservateur des Antiquités d'Égypte dynastique et gréco-romaine aux Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles écrit qu'elles étaient probablement - c'est moi qui souligne - destinées à recueillir de l'eau au premier jour de l'inondation annuelle du Nil. (Notice 13, p. 26)

     Quant à Madame Geneviève Pierrat-Bonnefois, Conservateur en chef au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, responsable de la documentation, elle avance, avec autant d'assurance qu'en avait Arnaud Quertinmont : C'est l'association si étroite du Nouvel An avec l'Inondation du Nil qui a amené les contemporains à imaginer que ces gourdes étaient employées à contenir l'eau bénéfique du Nil à ce moment-clé. Nous n'en avons aucune preuve(Notices 14 et 15, p. 28)

     Pour ma part, preuve ou non, j'aurais tendance à entériner les propos d'Arnaud, non par amitié, mais parce que je trouve beau et éminemment symbolique le geste d'offrir à ses amis quelques gouttes de la nouvelle eau pour l'année nouvelle.

     Plus beau et plus symbolique que de présenter un contenant sans contenu ... Non ?

     Que penseriez-vous de moi amis visiteurs si, en janvier prochain, je vous proposais une bouteille désespérément vide d'un Grand Cru de Bourgogne ? Uniquement pour la beauté de l'étiquette ... 

     Ou un blog dénué d'articles ? Uniquement pour la beauté du bandeau ...    

(Derchain : 1962, 47-9 ; ID. 1991, 85-91Desroches Noblecourt : 2000, 171-90 ; Germond : 1979, 23-9 ; Goyon ² : 1970, 267-81 ; Quertinmont : 2013, 26 et 30 ; Yoyotte : 1980 ², 44)

(Grand merci à  Patrick de m'avoir permis d'importer ici en guise d'exergue un extrait de son texte.)