09 septembre 2013 | Par christian salmon sur Médiapart, l'article complet ;
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Laissons de côté la Syrie et revenons sur la scène politique intérieure. Après avoir été, à la tête du parti socialiste, l’homme de la synthèse, François Hollande est-il en train de devenir le président des contradictions paralysantes ? La chronique des couacs et autres querelles interministérielles ne saurait être imputée seulement à l’apprentissage du pouvoir. Analyse.
Après avoir été, à la tête du parti socialiste, l’homme de la synthèse, François Hollande est-il en train de devenir le président des contradictions paralysantes ? Depuis son élection en mai 2012, la chronique des couacs, casus belli, et autres querelles interministérielles qui émaillent la vie quotidienne du gouvernement ne saurait être imputée seulement à l’apprentissage du pouvoir, à des erreurs de communication ou à un défaut de synchronisation de l’agenda du gouvernement. Du renvoi de Nicole Bricq du ministère de l’écologie un mois après sa nomination, au limogeage brutal de Delphine Batho avant l’été, de la démission refusée d’Arnaud Montebourg, désavoué publiquement par Matignon à propos de Florange, à la démission forcée de Jérôme Cahuzac coupable d’avoir menti aux plus hautes autorités de l’État … De l’adoption honteuse, parce que sans contrepartie, du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) aux accrochages incessants entre le ministre du redressement productif et les ministres de l’écologie à propos du nucléaire ou de l’exploitation du gaz de schiste ; de la « triangulation » politique de M. Valls qui assoit sa popularité en empruntant à la droite voire à l’extrême droite ses thèmes de prédilection sur les Roms, l’insécurité, l’immigration, la laïcité, aux bisbilles dignes de Clochemerle entre le « Bercy d’en haut » et le « Bercy d’en bas », on n’en finit pas d’énumérer les accrochages, coups de gueule et autres escarmouches entre ministres du gouvernement, clos immanquablement par le rappel ubuesque venu de Matignon qu’il n’y a qu’une ligne au gouvernement.
Ces conflits ne sont pas réductibles à des querelles de territoires ou à des conflits d’égos ou encore à des divergences quant au rythme des réformes, comme nous en persuade le décryptage compulsif des médias… Ce n’est pas non plus un signe de vitalité démocratique témoignant de l’intensité et de la richesse des débats au sein du gouvernement.
Un classique présidentiel: le déplacement dans une école pour la rentrée des classes. Ici, à Denain.© (Elysée)Bien sûr il y a des différences d’appréciations qui font l’objet d’arbitrages à Matignon ou à l’Élysée. C’est la vie quotidienne des démocraties et la notion d’arbitrage, quand elle n’est pas soumission aux lobbys ou à des organes transnationaux, est inhérente à l’idée même de démocratie. Un arbitrage, c’est la forme politique d’un choix qui s’exerce au nom de l’intérêt général à travers la délibération démocratique…
Les « arbitrages » de notre président-Janus sont des non-choix. Le dernier en date, sur la réforme pénale, en fournit un exemple éclairant. C’est un non-choix entre le « tout carcéral » et le pari de la probation, une sorte d’amalgame de réponses pénales et d’affichage sécuritaire, une compression à la César, de procédures judiciaires, de clichés sécuritaires, de slogans médiatiques sur la récidive… Voilà le césarisme de François Hollande, un césarisme paradoxal, à base d’indécision, dont la « compression » est la forme politique.
L'Observatoire international des prisons (OIP) a ainsi déploré à propos de la réforme pénale que se poursuive une « politique de l'affichage » au lieu « d’opter pour la pédagogie en faveur d'une justice pénale plus efficace à prévenir la récidive, à favoriser la réparation et la réinsertion, tout autant qu'à sortir le système pénitentiaire d'une surpopulation chronique et d'une atteinte constante aux droits fondamentaux. »
Au chapitre des non-choix du hollandisme, la liste ne fait que s’allonger depuis un an et inclut bon nombre de promesses du candidat normal, ajournées voire carrément reniées quand il s’agit de renégocier le traité européen de Lisbonne, d’abandonner la taxe à 75 % des revenus supérieurs à 1 million d'euros par an, ou de l’incapacité de mener à bien la réforme fiscale, ou encore du refus d’accorder le droit de vote des étrangers aux élections locales et d’exiger des policiers un récépissé lors des contrôles d'identité…
Loin de s’apaiser au cours de l’été, l’ambivalence du hollandisme est apparue au grand jour. Alors qu’il avait réussi une séquence estivale assez bien calibrée au cours de laquelle on l’a vu faire le tour de la France avec un message social, une prophétie auto-réalisatrice sur la reprise de la croissance, son message s’est vu perturbé par deux de ses ministres « ex-strauss-khaniens », Pierre Moscovici et Manuel Valls.
L’un, Moscovici, a réussi en une petite phrase à doucher les espoirs de reprise que François Hollande s’acharnait à accréditer au cours de ses voyages en province. L’autre, Manuel Valls, est allé jusqu’à prononcer la veille de l’interview présidentielle du 14 juillet un discours de politique générale. Du coup, c’est l’autorité de François Hollande qui s’est trouvée délégitimée, et l’image de son mandat réduite à une sorte de régence aiguisant l’appétit des prétendants.