Massif, brutal, violent, il se vanta de n’avoir jamais mis les pieds dans un musée, il refusa tout cours de dessin ou de peinture. Militant anarchiste, il n’appréciait guère les mondanités montmartroises, ni les escapades méditerranéennes. Venu aux pinceaux après le cyclisme, la boxe et le violon, il fit de sa peinture une révolte, pendant un temps; Vlaminck est sans doute le peintre le moins reconnu (académiquement, par les conservateurs de musée) de cette période; il est d’ailleurs révélateur que ce soit une institution un peu en marge du monde feutré des grands musées qui l’expose aujourd’hui, première grande exposition depuis 50 ans (jusqu’au 20 Juillet).
C’est la découverte de van Gogh qui fait exploser la peinture de Vlaminck. Complice de Derain, ses audaces sont autres, il s’affranchit davantage du dessin, basant tout sur la couleur. Le fauvisme est un mode de vie pour lui, une rébellion contre l’ordre établi, un dynamitage de l’école des beaux-arts et des musées, sa manière à lui de jeter des bombes sans finir sur l’échafaud. Le premier vrai découvreur de l’art nègre, c’est lui, qui
pourtant s’en inspira moins que d’autres; plusieurs masques de sa collection sont présentés ici. Mais c’est que, si van Gogh le libéra, Cézanne semble l’avoir plutôt étouffé, contraint : il suivit quelque temps la voie cézanienne (et plusieurs exemples, rarement convaincants -et surtout pas les Baigneuses- sont montrés ici), puis, incapable de franchir le pas du cubisme, il s’en détourna. Esthétiquement parlant, il faut bien dire que la fin de sa vie ne fut pas glorieuse (ni politiquement, d’ailleurs, il fut un des participants du fameux voyage en Allemagne de 1941). Mais pendant les dix à quinze ans que couvre cette exposition, quel feu d’artifice !La première toile de l’exposition est ce Portrait du père Bouju, de 1900 (au Musée de Chartres) : Vlaminck n’est guère connu comme portraitiste, et pourtant quelle explosion dans cette toile : les touches y sont épaisses, grasses, les traits du visage sont comme sculptés par la peinture, on voit le combat du peintre avec sa toile, on sent l’énergie des coups de pinceau ou de spatule. Et ce tableau est accroché ici sur un mur jaune criard, à faire hurler les commentateurs de bon goût !
Quant à la jeune prostituée connue comme La Fille du Rat Mort, encore un titre à choquer le bourgeois, la version couchée de 1905 (collection particulière) montre son corps émergeant du drap bleu ondoyant marqué ici et là de touches blanches, telle Vénus sortant des vagues couronnées d’écume. Là aussi, on sent physiquement la touche du peintre, son empreinte sur la toile. Les mamelons rouges et les joues fardées font écho aux points rouges de la tapisserie. Le corps est cerné d’un trait noir; la version assise rajoute des jarretelles rouges du plus bel effet. Ce tableau expressif est habité d’un tumulte, d’un brouhaha, que peu de Français alors savent atteindre, et c’est plutôt vers Dresde et Munich, vers les expressionnistes allemands, qu’il faudrait se tourner pour trouver alors une telle énergie. Enfin, un paysage, non point une des vues de village inspirées par Cézanne, toutes un peu compassées, mais un bord de Seine, comme Vlaminck en a tant peint, Les Péniches de Chatou, de 1905 (Musée de Houston). Non seulement la couleur y est violente, brutale, irréelle, dérangeante, mais elle est posée en petites touches, non point de manière gentiment pointilliste, mais comme un flux, une coulée, une avalanche emportant tout sur son passage. Ce tableau est foudroyant et vaut bien les Londres de Derain l’année suivante.Mais c’est un chant du cygne. Après 1910, on commence à s’ennuyer ici (et l’expo s’arrête en 1915). Ensuite, plus grand chose (à moins qu’on ne redécouvre un jour sa période tardive ?). Mais Vlaminck a eu dix années explosives, révolutionnaires. Après, l’anarchiste devient rentier, et le fauve décoratif.
Vlaminck étant représenté par l’ADAGP, les photos seront retirées du blog à la fin de l’exposition.