Le passage 21

Par Emia

21. Silver est entré à l’Hôpital un huit avril, et il est mort au matin du dimanche de Pâques, treize avril. Je ne suis pas superstitieuse, et même si je l’étais, la seule date de son décès ne pourrait porter à conséquence. Non, cette date, simplement, en rappelait une autre : celle du cheminement de Dante per una selva oscura (ce fut dans la bouche de Silver que j’entendis ces vers pour la première fois). Bien avant qu’il ne nous eût quitté, Silver lui-même l’avait répété à maintes reprises: Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate : je suis un homme du passé.

De ces dates qui coïncident, je fis un tombeau, et du vers de Dante son épitaphe. En ce lieu improbable, l’ici et l’ailleurs s’enfièvrent aujourd’hui encore l’un au désir de l’autre; passé et présent s’y battent toujours pour qui fera le bourreau et qui la victime. Les blessures infligées restent vives, croissent et exultent dans la mort, ultime bloc basaltique taraudé par d’incessants dialogues de sourds. Constituées d’une somme incalculable d’interactions, ces limbes dialogiques, effleurant le divin autant qu’elles l’annulent, ne sont pourtant pas impénétrables : pour y accéder, il suffit d’une succession de gestes tellement anodins qu’ils en deviennent indicibles. Et c’est dans ce bruissement des temps que, de préférence à toute autre activité, j’aime m’isoler aujourd’hui encore.


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