« Les deux raisons contraires. Il faut commencer par là ; sans cela on n’entend rien, et tout est hérétique. Et même à la fin de chaque vérité il faut ajouter qu’on se souvient de la vérité opposée. »
Pascal, Pensées, fragment 493 édition Le Guern
Voir aussi le très bref Dramaturgie fondamentale abrégée
Cela ne suffit pas d’être lucide.
Il est nécessaire aussi d’avoir le sens du défi, et de battre en brèche sa propre lucidité, cette saloperie, ce poison.
Parce qu’elle est un handicap, la lucidité, un frein puissant. Et que je fais fi d’elle. Ou le tente.
Un handicap ? Parce qu’elle éclaire la réalité ?
Aussi parce qu’elle fait souffrir et écarte tout ce qui n’est pas elle.
La lucidité est un endurcissement. Et il est certainement nécessaire, peut-être avec le temps inévitable, de s’endurcir.
Un endurcissement et une armure.
Elle protège certes mais elle ne protège qu’en isolant, en isolant de plus en plus, jusqu’au suicide, symbolique ou réel.
Et donc il faut la compenser.
Ne pas lui laisser tout le champ. Ne pas la laisser envahir tout, ruiner tout.
Oh, elle se défendra, de toute façon.
Rien ne dit qu’elle perdra la partie, la bataille, qu’elle ne ravagera pas tout ; elle l’a déjà tant fait.
Avec une personne, une, j’ai posé l’armure et préféré non pas être vulnérable mais ne pas cacher quand je l’étais.
La lucidité y voit une tentative de suicide.
Et ce n’est pas ce suicide-là qu’elle me propose, c’en est un autre, le sien.
Et celui-là l’irrite et la contrarie.
Et moi, je ris.
Il se peut même parfois que ça tonitrue.
Car de quoi protège-t-elle, la lucidité ? De l’espoir ? De possibles déceptions ?
Il y a de ça, sans doute. Ça peut même être utile, je ne dis pas. Et souvent même ça l’est. Elle protège des coups. En les anticipant, parfois même en les voyant venir avant même que leur intention en autrui ait commencé d’exister.
D’un point de vue social, elle se tient en équilibre à mi-chemin entre l’hypocrisie et la paranoïa.
En équilibre, oui.
Elle est un médicament puissant. A trop hautes doses il devient poison. Et ce qui devait garantir votre santé, au moins provisoirement, vous tue de plus en plus vite. Vous vous accoutumez, savez bien que cela vous tue et augmentez les doses.
Elle est devenue facilité.
Elle est devenue bêtise.
Quand vous pensiez, peut-être, qu’elle vous en préservait. Ou le devrait. Ou le pourrait.
Et elle le pouvait, au départ. Et elle le faisait, vous préserver. Il y a longtemps.
Mais maintenant vous êtes tellement préservé, que c’est de la vie tout entière que vous l’êtes.
Vous avez cédé au confort. Vous avez refusé d’avoir peur. Et de passer outre à la peur.
Et tu as cette lucidité-là, toi ? son anticipation, même des coups, lui fait ressembler à une intelligence et une observation.
Oui, intelligence, observation, et expérience aussi.
A la fin, je n’étais pour ainsi dire plus exposé à rien. J’étais mort.
Vous faites une expérience. Pas bonne. Ça se finit mal. Vous voulez éviter de la refaire, bien sûr, pas deux fois la même erreur, tout ça… Et tu essaies de procéder autrement ; tu procèdes autrement, même. Et tu refais la même erreur, tu aboutis à la même catastrophe. La même fin. La même catastrophe, oui. Le résultat au moins t’apparait identique. Allons… encore une, ou pas ? Tu n’es pas si idiot… Oui, allez, cette fois on en m’aura pas, on ne m’y prendra plus. Et on fait autrement, on procède autrement encore ! Et schplarf ! la même gamelle ! Là, normalement, tu stoppes tout, aucune intelligence n’empêche la répétition de la catastrophe, varierait-elle par ailleurs : elle permet seulement l’illusion qu’on l’évitera.
C’est là qu’intervient le défi.
C’est-à-dire le courage.
Le courage de quoi ? D’être vulnérable ? De s’exposer encore aux coups ? D’accepter qu’à la fin il y ait catastrophe ?
Comme si on ne savait pas, au fond, que la catastrophe et la fin sont une seule et même chose ; que notre durée, quoique inconnue, est bornée ; que nous allons mourir, de toute façon.
La lucidité à haute dose rend lâche et impuissant.
Juste fort de son effondrement sur soi. De son propre pourrissement bien isolé à l’intérieur de l’armure la meilleure. De sa propre formolisation vif.
Tu ne veux pas voir qu’il y a de toute façon catastrophe, pauvre être humain débile, et que cette fois c’est ta lucidité qui l’est devenue !
Bon, mais le courage de quoi, donc ?
De n’avoir peur de rien. Pas même d’être faible. Ou ridicule.
Ou idiot.
De n’avoir pas peur de la catastrophe. Qui arrivera. Sans doute. De toute façon.
De n’avoir pas peur de sa peur, cette peur qu’on a faite lucidité – ou cette lucidité qui a tourné peur, qui a cessé d’éclairer le dangereux chemin où aller parce qu’elle a préféré supprimer tout chemin.
Et qui a fait qu’on reste là, à marner stupide dans sa pitre trouille lucide.
Et resurrexit.
« Les deux raisons contraires. Il faut commencer par là ; sans cela on n’entend rien, et tout est hérétique. Et même à la fin de chaque vérité il faut ajouter qu’on se souvient de la vérité opposée. »
Pascal, Pensées, fragment 493 édition Le Guern
Voir aussi le très bref Dramaturgie fondamentale abrégée
Cela ne suffit pas d’être lucide.
Il est nécessaire aussi d’avoir le sens du défi, et de battre en brèche sa propre lucidité, cette saloperie, ce poison.
Parce qu’elle est un handicap, la lucidité, un frein puissant. Et que je fais fi d’elle. Ou le tente.
Un handicap ? Parce qu’elle éclaire la réalité ?
Aussi parce qu’elle fait souffrir et écarte tout ce qui n’est pas elle.
La lucidité est un endurcissement. Et il est certainement nécessaire, peut-être avec le temps inévitable, de s’endurcir.
Un endurcissement et une armure.
Elle protège certes mais elle ne protège qu’en isolant, en isolant de plus en plus, jusqu’au suicide, symbolique ou réel.
Et donc il faut la compenser.
Ne pas lui laisser tout le champ. Ne pas la laisser envahir tout, ruiner tout.
Oh, elle se défendra, de toute façon.
Rien ne dit qu’elle perdra la partie, la bataille, qu’elle ne ravagera pas tout ; elle l’a déjà tant fait.
Avec une personne, une, j’ai posé l’armure et préféré non pas être vulnérable mais ne pas cacher quand je l’étais.
La lucidité y voit une tentative de suicide.
Et ce n’est pas ce suicide-là qu’elle me propose, c’en est un autre, le sien.
Et celui-là l’irrite et la contrarie.
Et moi, je ris.
Il se peut même parfois que ça tonitrue.
Car de quoi protège-t-elle, la lucidité ? De l’espoir ? De possibles déceptions ?
Il y a de ça, sans doute. Ça peut même être utile, je ne dis pas. Et souvent même ça l’est. Elle protège des coups. En les anticipant, parfois même en les voyant venir avant même que leur intention en autrui ait commencé d’exister.
D’un point de vue social, elle se tient en équilibre à mi-chemin entre l’hypocrisie et la paranoïa.
En équilibre, oui.
Elle est un médicament puissant. A trop hautes doses il devient poison. Et ce qui devait garantir votre santé, au moins provisoirement, vous tue de plus en plus vite. Vous vous accoutumez, savez bien que cela vous tue et augmentez les doses.
Elle est devenue facilité.
Elle est devenue bêtise.
Quand vous pensiez, peut-être, qu’elle vous en préservait. Ou le devrait. Ou le pourrait.
Et elle le pouvait, au départ. Et elle le faisait, vous préserver. Il y a longtemps.
Mais maintenant vous êtes tellement préservé, que c’est de la vie tout entière que vous l’êtes.
Vous avez cédé au confort. Vous avez refusé d’avoir peur. Et de passer outre à la peur.
Et tu as cette lucidité-là, toi ? son anticipation, même des coups, lui fait ressembler à une intelligence et une observation.
Oui, intelligence, observation, et expérience aussi.
A la fin, je n’étais pour ainsi dire plus exposé à rien. J’étais mort.
Vous faites une expérience. Pas bonne. Ça se finit mal. Vous voulez éviter de la refaire, bien sûr, pas deux fois la même erreur, tout ça… Et tu essaies de procéder autrement ; tu procèdes autrement, même. Et tu refais la même erreur, tu aboutis à la même catastrophe. La même fin. La même catastrophe, oui. Le résultat au moins t’apparait identique. Allons… encore une, ou pas ? Tu n’es pas si idiot… Oui, allez, cette fois on en m’aura pas, on ne m’y prendra plus. Et on fait autrement, on procède autrement encore ! Et schplarf ! la même gamelle ! Là, normalement, tu stoppes tout, aucune intelligence n’empêche la répétition de la catastrophe, varierait-elle par ailleurs : elle permet seulement l’illusion qu’on l’évitera.
C’est là qu’intervient le défi.
C’est-à-dire le courage.
Le courage de quoi ? D’être vulnérable ? De s’exposer encore aux coups ? D’accepter qu’à la fin il y ait catastrophe ?
Comme si on ne savait pas, au fond, que la catastrophe et la fin sont une seule et même chose ; que notre durée, quoique inconnue, est bornée ; que nous allons mourir, de toute façon.
La lucidité à haute dose rend lâche et impuissant.
Juste fort de son effondrement sur soi. De son propre pourrissement bien isolé à l’intérieur de l’armure la meilleure. De sa propre formolisation vif.
Tu ne veux pas voir qu’il y a de toute façon catastrophe, pauvre être humain débile, et que cette fois c’est ta lucidité qui l’est devenue !
Bon, mais le courage de quoi, donc ?
De n’avoir peur de rien. Pas même d’être faible. Ou ridicule.
Ou idiot.
De n’avoir pas peur de la catastrophe. Qui arrivera. Sans doute. De toute façon.
De n’avoir pas peur de sa peur, cette peur qu’on a faite lucidité – ou cette lucidité qui a tourné peur, qui a cessé d’éclairer le dangereux chemin où aller parce qu’elle a préféré supprimer tout chemin.
Et qui a fait qu’on reste là, à marner stupide dans sa pitre trouille lucide.
Et resurrexit.