Cette fois, ça sent vraiment la fin…
Les sections parallèles de la 70ème Mostra de Venise ont remis leurs différents prix aujourd’hui, tandis que la compétition officielle s’est achevée avec la projection du film de Merzak Allouache, Les Terrasses.
Le cinéaste algérien signe un film-choral entrelaçant cinq histoires, sur cinq terrasses dans cinq quartiers d’Alger (Notre-Dame d’Afrique, Bab el Oued, la Casbah, Alger Centre, Belcourt) le temps d’une journée complète, rythmée par les cinq appels à la prière de la religion musulmane. Les cinq récits dressent un portrait peu flatteur de la société algérienne d’aujourd’hui marquée par un fort contraste social et une certaine violence, héritage d’un passé douloureux. On y voit des miséreux en passe d’être expulsés de leur domicile, des enfants désoeuvrés et dépressifs et des petits-enfants qui ont sombré dans la drogue, des gangsters, des malades mentaux traités comme des chiens, des femmes battues… Même la religion, qui pourtant est censée être au coeur du film, n’apaise plus les âmes. Au contraire, elle participe à cette violence, à l’image de ce Cheikh qui s’offusque de voir des images pornographique, mais trouve tout à fait naturel de tabasser une femme, soit disant pour l’exorciser…
Le message du cinéaste passe dès les premières minutes du film, à travers les vociférations d’un personnage qui voue ses concitoyens à l’enfer éternel…
Pour autant, Merzak Allouache veut laisser une petite place à l’espoir, à travers ce groupe de jeunes musiciens qui veut faire bouger les choses et ouvrir le pays sur le monde extérieur. Ou cette fillette malicieuse qui décide d’ouvrir la cage dans laquelle est enfermé son oncle, prétendument fou, symbolique d’un passé honteux, que tout le monde veut oublier…
Bien que péchant un peu par son manque de moyens techniques, Les Terrasses n’en demeure pas moins une oeuvre intelligente et très habilement construite. On y retrouve condensées la plupart des thématiques abordées lors de ce festival de Venise : le portrait d’une ville dans toute sa diversité (comme Palerme chez Emma Dante, comme Rome chez Gianfranco Rosi ou Taipei chez Tsai Ming-Liang), et le portrait d’une société à bout de souffle, où les inégalités sont de plus en plus manifestes entre riches et pauvres, où la violence ronge les familles de l’intérieur, où le fossé entre les générations s’accentue…
C’est donc une belle façon de boucler la boucle, et de terminer cette compétition sur une note positive.
(Notre note : ●●●●●○)
Hors compétition, les spectateurs ont pu voir Unforgiven, une sorte de remake nippon du film éponyme de Clint Eastwood.
L’intrigue a été déplacée dans le Japon du 19ème siècle, au début de l’ère Meiji. Les Shoguns ont tous été exterminés, ou presque, et le pays est désormais sous contrôle de l’Empire.
Dans un petit village, deux types violent et défigurent une jeune prostituée. Les autorités locales, représentées par Masaharu Kitaooji (Jun Kunimura) laissent partir les deux agresseurs en échange d’une simple amende. Les prostituées, en colère, décident de se faire justice elles-mêmes. Elles offrent une prime à quiconque leur apportera la tête des deux hommes.
Mais la mission n’est pas si simple . En ville, Masaharu et les siens font régner l’ordre à leur façon, invitant les chasseurs de primes potentiels à rebrousser chemin et prêts à tuer quiconque ne respecterait pas leurs consignes.
Un homme tente pourtant le coup, attiré par la forte récompense promise. Il demande l’aide de Jubei (Ken Watanabe), un de ses anciens camarades de combat. Cet ancien shogun a échappé à la purge liée au changement de régime et vit depuis une vie de fermier tranquille, loin de tout et, surtout, loin de toute violence. Cependant, il accepte d’escorter son ancien partenaire.
Mais dès qu’il arrive au village, Masaharu, qui l’a traqué jadis, le reconnaît. Il essaie de le provoquer et passe ses nerfs sur lui, au point de le laisser pour mort.
Pour Jubei, il n’y a dès lors plus d’autre échappatoire que l’affrontement… Jusqu’à la mort.
Utilisant les mêmes ressorts dramatiques que le film d’Eastwood, et en mélangeant habilement ambiance western et codes du film de samouraï, Lee Sang-il signe un remake tout à fait honorable, tant sur le plan de l’esthétique que du jeu des acteurs. Bon, ça reste un remake. Pour l’originalité, on repassera, mais un peu d’action dans un film asiatique, cela change un peu des plans fixes de Tsaï Ming-Liang…
(Notre note : ●●●●○○)
Toujours hors-compétition, les festivaliers ont également pu assister à l’hommage rendu par le festival à Ettore Scola, pour un film où Scola rend lui-même hommage à Federico Fellini : Che strano chiamarsi Federico (Scola racconta Fellini).
Les deux hommes étaient amis. Et ils ont eu des parcours à peu près similaires, à leurs débuts.
Fellini est venu s’installer à Rome en 1939 et a trouvé un poste de dessinateur et rédacteur pour le journal humoristique “Marc’Aurelio”. Scola a quitté sa Campanie natale pour la capitale neuf ans après, et a aussi été embauché par “Marc’Aurélio”, pour les mêmes raisons que Fellini. Il n’a pas croisé ce dernier dans les bureaux de l’hebdomadaire, puisque, à cette date, Fellini s’était déjà mis au cinéma.
Mais ils sont quand même rentrés en contact par le biais de leur ami commun, Furio Scarpelli. Tous deux ont fait leurs premières armes au cinéma grâce à lui : ils lui servaient de “nègres” lorsqu’il écrivait les scénarios des films de Toto.
Devenus tous deux des réalisateurs importants du cinéma italien, ils se sont aussi partagés le même acteur-fétiche, Marcello Mastroianni. Mais la mère de Mastroianni préférait nettement Fellini, car dans ses films, son Marcello était toujours beau et élégant, alors que Scola ne lui donnait à jouer que des rôles de types odieux et crasseux…
Fellini a également connu un plus grand succès international, en remportant de nombreux Oscars. La démesure, toujours la démesure, chez Maestro Federico. Et des mises en scènes plus discrètes pour Scola.
Pour raconter la vie de son ami, il a cependant choisi de voir un peu plus grand. Le film est un mélange de reconstitutions de souvenirs d’Ettore Scola, joués par des comédiens, d’images d’archives réelles et d’extraits de films de Fellini. Le tout relié par les interventions d’un narrateur. Et pour pimenter un peu la chose, Scola s’amuse à imiter le style fellinien. Ou plutôt les styles felliniens, en respectant l’évolution artistique du bonhomme. Le début est donc en noir & blanc, mené sur un tempo assez enlevé, proches des premiers films de Fellini (il Bidone, Le Cheikh blanc). Puis peu à peu, le rythme s’apaise. L’évocation du Maestro prend une tournure un peu plus onirique, dans l’esprit de Huit et demi. Et la balade cinématographique se poursuit dans une ville de Rome reconstituée en studio, à Cinecittà et on s’approche de plus en plus des oeuvres-monstres du cinéaste, comme Roma ou Satyricon. Mais c’est là où cet hommage s’essouffle, parce que Scola n’est pas Fellini, et peine à donner à son récit cette ampleur, ce côté visionnaire et un peu fou. Dommage qu’il n’arrive pas à aller au bout de la démarche, car l’idée de départ était bonne.
Heureusement, Scola se rattrape sur la fin, en basculant dans le registre crépusculaire, façon La Voce della Luna. Il émeut avec les images d’archives des obsèques de Fellini, puis amuse avec une scène finale très drôle, qui aurait sans doute beaucoup plu à son confrère et ami. Et le spectateur peut se laisser emporter, au sens strict, par un tourbillon d’extraits de films de légende et par les entêtantes musiques de Nino Rota.
(Notre note : ●●●●○○)
Pendant qu’Ettore Scola s’attache à faire du Fellini, par pur plaisir, d’autres auteurs expérimentent, cherchent leur propre voie.
C’est le cas du cinéaste iranien Shahram Mokri, qui signe, avec Fish & Cat, un film des plus audacieux et des plus surprenants, tant par son sujet – la reconstitution d’un fait divers sordide, autour d’un restaurant qui servait de la chair humaine à ses clients – que par sa forme – un plan-séquence unique de 2h15.
Cela commence comme un thriller horrifique, un ersatz de Massacre à la tronçonneuse à la sauce persane : Deux hommes, qui tiennent une espèce de ferme-auberge isolée s’apprêtent à se débarrasser de déchets sanguinolents quand un jeune homme débarque pour demander son chemin. La tension monte peu à peu, à mesure que le patron du restaurant se fait menaçant envers l’étudiant. On se demande quand il va se faire zigouiller par les deux hommes, mais finalement, rien ne se passe, car leur proie potentielle est accompagnée de trois autres jeunes et il serait risqué de les attaquer.
Les deux types laissent partir les adolescents et s’en vont dans les bois se débarrasser des restes de leur précédente victime. Ils y croisent deux autres personnages, un père venu accompagner son fils jusqu’au lac voisin, où se déroule un concours de cerfs-volants. Là encore, la tension monte et…
… rien. Il ne se passe rien. Ou alors hors champ, car la caméra, elle, délaisse les tribulations de nos deux cannibales pour suivre les jeunes gens qui se sont installés au bord du lac. Elle passe de l’un à l’autre, saisissant des petites tranches de vie, des bribes de discussions, des monologues intérieurs…
Même si la menace des aubergiste cannibales pèse toujours sur la communauté, le film n’a plus rien d’un film d’horreur. On est dans le film art & essai pur et dur, qui s’intéresse aux aspirations de la jeunesse iranienne, aux relations entre les générations, entre les jeunes eux-mêmes…
Ceux qui s’attendaient à voir un film d’horreur iranien en seront pour leurs frais. Fish & cat est tout autre chose et c’est bien plus intéressant.
Ce qui fait la vraie particularité de l’oeuvre, ce n’est ni son histoire de cannibales, ni son plan-séquence de deux heures, mais l’utilisation de boucles temporelles à l’intérieur du film.
La caméra filme une scène à un endroit A, se met à suivre un personnage qui va à un endroit B, puis un autre qui retourne à l’endroit A, où la caméra enregistre alors la même scène, sous un angle différent. Et ainsi de suite. Au début, on est un peu désarçonné par ce dispositif, mais on se laisse rapidement envoûter par l’ambiance étrange qu’il installe, comme dans un cauchemar.
Evidemment, un tel objet filmique ne plaira pas à tout le monde. Il est trop long, trop lent, trop expérimental. Mais c’est un parfait “film de festival”, qui prouve, si besoin était, que le Septième Art est encore vivace et innovant. Et cela fait du bien…
(Notre note : ●●●●●○)
A domani pour la suite de nos chroniques vénitiennes.
Ciao a tutti.