Première publication : le 25 août 2005.(Commentaires de l'époque préservés)
Et si Arion tout en constatant une réalité, n'avait pas prévu un avenir plus radieux pour les cornes ? Nous avons la preuve, qu'en Morvan, la corne revient !
Cela va du gastéropode au cocu, en passant par le diable et par la vache à lait.
La congélation et les désherbants, l'ergonomie et l'émancipation en trente ans auront eu raison des excroissances frontales qui firent la gloire séculaire de nos fossés, de nos étables, de nos églises et de nos alcôves.
De l'escargot nous admirions les antennes sensibles, à l'avant de la coquille.
On nous disait : 'Le petit point noir, tout au bout , c'est son oeil !', et nous trouvions le lent mollusque fort ingénieux d'avoir, pour ses périples chlorophyliens aux baveux sillages, mis au point avant l'homme la lorgnette rétractile.
Les cornes, pour les vaches, étaient le contrepoids du pis. Ces braves bêtes pouvaient sans trop de niaiserie s'encombrer à l'arrière d'une outre bénigne, pourvu qu'elles eussent à l'avant leurs deux dards, dont elles effarouchaient l'enfant tapageur et le roquet.
Bonnes filles oui, mais pas indignes : qu'on les laisse ruminer tranquilles ! Et quelle fantaisie dans la ligne !
Il y avait la corne classique, éprise de symétrie comme un double escalier Mansard ; la baroque -une pointe en paratonnerre, l'autre en plantoir- qui donnait à la ruminante un petit air de louchon mal peigné ; la scorpionne, retournée narcissiquement jusqu'à l'oeil ; la fine, l'épaisse, ou la cassée d'avoir heurté le chambranle un soir de glissade.
Certes, dès les années soixante, comme les ailes des anges et l'auréole des saints, les cornes du Malin n'étaient plus prises au pied de la lettre.
Les parents tiraient moins le diable par la queue, et les enfants, après le catéchisme, commençaient de faire les bravaches.
N'empêche que l'attribut démoniaque vous avait dans le collimateur. Le reliquat de la damnation passait par ces sortes de lance-flammes : gare à l'impie qu'ils visaient !
Quant au cocu (le cornu, le cornard), qu'il fît un peu rire ou pitié, tout le monde prenait son parti.
Son épouse ? une petite garce à laquelle il n'avait eu que le tort de lâcher la bride sur le cou. De ses cornes morales le pauvre bougre poussait à toute heure la porte à grelots du café-tabac, et, sous leur poids de honte bue, piquait du nez vers le verre toujours rempli. Et la cabaretière, en versant le canon, songeait au malandrin qui pendant ce temps tambourinait la belle.
Cet heureux temps n'est plus, tout a changé de face... Mais où sont les cornes d'antan ?
Il n'y a plus de cocus parce qu'il n'y a plus de mariages arrangés, et bientôt plus de mariage du tout. Qui, dès lors, voulez-vous tromper, que l'ennui ? Si les mariés se muent en partenaires, les épouses infidèles en femmes libérées, les maris jaloux en amants provisoires et le devoir conjugal en jeu de société, quelle avenir, dites-moi, pour les caleçonnades de Feydeau et les bistros de campagne ?
Moins on trouve de cagouilles par les chemins, plus on en a dans les assiettes. On a tant fait baver le bourgogne, tant défolié sa ronce , qu'il se hâte à présent de Hongrie, avec ou sans coquille, tout conditionné, prêt à cuire. L'enfant moderne croit que l'escargot pousse dans le beurre et l'ail.
Les vaches sont enrégimentées, étroitement entubulées, sous les ordres devant la mangeoire comme des chevaux de course au départ du Grand Prix : imaginez, avec des cornes, l'imbroglio dans cette ferraille ! Il importe qu'elles mangent et produisent : tant pis si elles sont ridicules. Et Dieu sait qu'elles le sont, les pauvrettes, avec leur trognon de crâne ébranché, leurs têtes bosselées de reines mères sans couronne ! Patience : la génétique, dès qu'il en sera fini des mouches, vous produira des bovidés sans queue, ce fouet également obsolète.
Diable, y es-tu ? -Plus du tout. (C'est du moins ma ruse de le laisser croire. Foin des attributs trop reconnaissables ! Je recrute en civil et ça marche. La chaudière tourne à plein régime. Je gère mon dancing comme un plateau de télé. Les drôles trouvent l'ambiance d'enfer et me font des standing ovations.)
Lecteur, corne cette page, et relis-la en 2020. D'ici là le rhinocéros, dont j'allais priver mon bestiaire, ne se verra plus que empaillé. Son rostre nasal en poudre passe pour aphrodisiaque, aux effets saisissants sur le seul redressement qui fascine aujourd'hui, avec celui des courbes de la croissance et de l'emploi.