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Les Damnés- La lignée des Petrova- Chapitre 12

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

Maïa contemplait la scène qui se jouait sous ses yeux avec une exaspération grandissante. Elle venait s’ajouter à la longue liste des situations inconfortables et saugrenues qui s’étaient succédé depuis le début de la journée. Ils étaient tous réunis pour mettre en place un quelconque plan contre Viktor et au lieu de cela, chacun était renfrogné dans son coin et attendait qu’un autre prenne l’initiative pour mieux contredire celui qui avait  eu l’audace d’intervenir en premier. La jeune femme balaya du regard les différentes personnes présentes et, si la situation n’était pas aussi préoccupante, aurait presque pu s’amuser du tableau qu’ils offraient.

Noura, lovée dans un large fauteuil, espérait que ce dernier l’avale et la fasse disparaître pour ne plus avoir à se trouver au milieu d’Elijah et Noah qui se jaugeaient avec des airs faussement détachés, chacun à un bout de la salle, depuis près d’une demi-heure. Klaus, revenu depuis peu de son escapade, était appuyé sur le chambranle de la porte, les bras croisés, le nez baissé sur la pointe de ses bottes. Il  fuyait manifestement le regard assassin d’Ivan qui, lui-même, fuyait celui interrogateur de Milan qui se demandait ce qui avait bien pu encore se passer au cours de sa brève absence pour que son fils ait à nouveau l’air furieux contre Klaus.

A bout de patience, Maïa se leva péniblement de son siège et brisa le silence qui avait dépassé le stade de la simple oppression.

- Ce n’est pas que je m’ennuie mais à ce rythme j’aurai accouché avant que l’un de vous ne se décide, s’impatienta-t-elle. Que fait-on concrètement ?

Noah se racla la gorge et se lança le premier. Sans doute parce qu’il avait surpris un mouvement d’Elijah et qu’il ne voulait pas lui  donner la satisfaction de mener les débats.

- Je n’ai pas réussi à les localiser, mentit-il. Ils ont dû s’adjoindre la protection d’un sorcier…

- C’est finement observé, le coupa Elijah. Sinon ils n’auraient jamais pu sortir Viktor de l’endroit où nous avions mis son corps. La vraie question est de savoir comment on peut remédier à cela.

- Tous de grands donneurs de leçons ces sorciers mais au final : pas un pour racheter l’autre, enrichit Klaus.

Noah, piqué au vif par les  interventions des frères, se raidit et chercha du regard le soutien de Noura. En vain. Cette dernière continuait sa tentative de camouflage et ignora à son grand damne sa supplique silencieuse.

- Même si je parvenais à les localiser, que comptez-vous faire après ? Vous n’avez aucun moyen de les arrêter, répliqua Noah sur un ton provocateur qui horripila aussi bien Elijah que Klaus.

Les deux frères s’échangèrent  un même regard agacé :

- Il faudrait remettre la main sur la dague et les cendres, reprit Klaus.

- Et si vos frères l’accompagnent ? Comment ferez-vous ? insista Noah.

Klaus émit un bref grognement de contrariété et porta son attention vers Noura:

- Je suppose que la dague est un exemplaire unique ?

- A ma connaissance, oui, marmonna Noura en évitant le regard du vampire.

- Et quand bien même, il y en aurait plusieurs. Quelqu’un a bien été dénicher Viktor au milieu des montagnes pour le réveiller. Comment pourrez-vous éviter que cela ne se reproduise ? intervint à nouveau Noah.

Un silence, pendant lequel chacun rumina dans son coin, s’abattit à nouveau sur l’assemblée réunie. Klaus avait la détestable impression d’être dans une impasse. Il envisagea d’autres plans possibles dont un, plus farfelu que les autres, consistait à enlever Maïa, la seule à lui être vraiment utile. Mais en jetant un discret coup d’œil dans sa direction, il y renonça vite. Et cela pour deux raisons. La première était l’état de la jeune femme qui commençait sérieusement à alourdir chacun de ses mouvements et comme il ne se voyait absolument pas jouer les sages-femmes au milieu de nulle part, il lui sembla évident que son idée était plus qu’hasardeuse.  La seconde, moins visible mais tout aussi rédhibitoire,  était simplement le fait qu’il n’arriverait surement pas  à supporter encore longtemps ses sarcasmes et ses remarques et, qu’avant même qu’ils n’aient franchi les limites du village, il aurait probablement planté ses crocs dans sa gorge.

- Il y a peut-être un autre moyen.

Cette phrase énigmatique prononcée par Noura, le tira de ses réflexions. Tous lui lancèrent le même regard  interrogateur. Tous sauf Noah, qui baissa la tête pour dissimuler sa satisfaction. Elle se décidait enfin à parler du livre. Lorsqu’elle émit l’hypothèse que le grimoire pût dissimuler un sort capable d’anéantir la famille originelle, différentes expressions se succédèrent sur les visages : la stupéfaction, tout d’abord, puis le doute, vite remplacé par l’inquiétude.

-  Dis-moi que j’ai mal entendu : tu ne comptes par utiliser à nouveau le grimoire ? paniqua Maïa.

- Je vais m’assurer que le sort existe grâce aux notes de Goran. Et s’il s’avère que c’est le cas, j’irai le chercher et je l’utiliserai sans hésitation.

Si la tournure des événements déplaisait au plus haut point à Klaus, qui craignait que cette maudite sorcière ne se retourne contre lui, elle déplaisait encore à davantage à Elijah.

- Qui t’as fichu une idée aussi grotesque dans la tête ? demanda-t-il en tentant vainement de garder son calme et de ne pas se précipiter sur Noah, qu’il soupçonnait être derrière tout cela, pour lui arracher la langue.

Noura le dévisagea froidement. Elle n’aimait pas ce ton condescend et moralisateur.

- En quoi est-ce grotesque ? Quand on voit ce qu’il a été capable de créer, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas capable de le détruire. A moins que ce qui te gêne, c’est que je l’utilise contre ta chère famille. Quoi qu’elle fasse, aura toujours gain de cause à tes yeux, n’est-ce pas ? le provoqua-t-elle en se plantant devant lui.

- Ils subissent l’influence de Viktor. Je suis certain qu’ils ouvriront tôt ou tard les yeux comme Stanislas. Laisse-moi essayer de les raisonner, proposa le vampire qui, devant ce regard obstiné qu’il ne connaissait que trop bien, savait pertinemment que sa tentative allait se solder par un échec.

- Tu n’arrives même pas à raisonner celui-là ! s’énerva Noura en désignant d’un geste rageur Klaus qui plissa les yeux et se raidit sous l’attaque, mais qui décida malgré tout de laisser son aîné régler ce litige.

- Dois-je te rappeler qu’à chaque fois que ce livre est utilisé, il provoque une catastrophe ? insista l’originel dont le ton était subitement monté d’un cran.

- Dois-je te rappeler ce que ton père et tes frères ont déjà fait ? s’emporta à son tour Noura.

A bout de patience et exaspéré par le sourire narquois que lui lançait Noah et par l’attitude butée de la jeune femme , Elijah prononça une phrase dont il regretta chaque mot au moment même où ils franchirent ses lèvres.

- Je t’interdis d’utiliser ce livre, tu m’entends !

Il voyait déjà s’abattre sur lui les foudres de la jeune femme. Et s’il avait encore des doutes à ce sujet, la tête dépitée de Maïa, l’air qu’Ivan fit crisser entre ses dents en grimaçant et même, comble de l’humiliation, la remarque que lâcha alors son frère, le conforta dans l’idée qu’il était définitivement cuit :

- Même moi, je n’aurais pas été assez stupide pour faire une bourde pareille, railla Klaus en s’affalant dans un fauteuil pour assister au massacre.

- Tu m’interdis ? répéta doucement Noura en détachant bien chaque syllabe. Et au nom de quoi, je prie ?

Ce fut alors le début d’une intense réflexion pour Elijah pour tenter de se sortir de ce bourbier qui était en train de compromettre tout le chemin parcouru le matin pour amadouer cette tête de mule.

« Réfléchis, Elijah … réfléchis vite mais bien. Ignore cet espèce de cafard et son sourire de vainqueur et concentre-toi….Dis lui  que toutes celles qui ont jeté un tel sort dans sa famille en sont toutes mortes …Bravo Elijah…Très subtil…Non… Trouve autre chose… Dis-lui que …que tu tiens à elle plus que tout et que tu ne supporterais pas qu’il lui arrive quoi que ce soit… Riche idée de lui dire une chose pareille devant tout le monde…autant être foudroyé sur place ou me planter moi-même une dague en plein cœur»,  furent à peu près les pensées qui traversèrent l’esprit de l’originel.

- Qui les protègera s’il t’arrive quelque chose ? finit- il par demander posément en désignant Maïa et Ivan.

La question fit mouche. Noura se troubla et renonça à toutes les répliques acerbes qui lui démangeaient la langue, ce qui agaça profondément Noah. L’adversaire s’avérait être plus coriace et intelligent que prévu.  En voyant le visage hésitant de la jeune femme, le sorcier jugea bon de ne pas insister davantage au sujet du grimoire. Du moins pour le moment.

- Je connais quelqu’un qui pourrait sans doute nous aider. Il a travaillé pour le conseil pendant des années : il saura nous dire si ou non d’autres dagues ont été créées pour se débarrasser de la famille au grand complet. Je pourrais me rendre à son village. Qu’est-ce que tu en penses ? demanda-t-il à Noura uniquement.

La jeune femme acquiesça simplement de la tête en guise de réponse.

- Si je pars maintenant, je serai de retour demain dans la soirée. Ivan pourrait peut-être m’accompagner, hasarda-t-il en jetant un regard complice au jeune homme qui s’était immédiatement redressé, ravi à la perspective de quitter cette maison.

Mais Klaus anéantit rapidement ses espoirs :

- Il en est hors de question. Tu n’iras nulle part.

- Je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous, répliqua vivement Ivan en se relevant brusquement.

- De lui non, mais de moi oui. Tu ne bougeras pas d’ici, approuva fermement Milan.

Ivan fusilla du regard les deux hommes avant de quitter précipitamment la pièce. Noah jubilait : c’était précisément ce qu’il cherchait à obtenir. Connaissant l’esprit de contradiction d’Ivan, il ne manquerait pas de fausser compagnie à ces deux pères envahissants pour venir le rejoindre. Viktor n’aurait plus qu’à intervenir au moment opportun.

- Je devrais y aller si je veux être arrivé avant la nuit, annonça-t-il avant de déposer un baiser sur le front d’une Noura complètement mortifiée et sous les yeux d’un Elijah crispé au possible.

Le départ du sorcier brisa la composition de ce tableau épico-comico-tragique. Tous les  protagonistes sortirent de scène les uns après les autres. Milan et Noura aidèrent Maïa à rejoindre sa chambre. Ses traits tirés et les cernes de plus en plus creuses qui assombrissaient son regard clair, trahissaient la fatigue et l’angoisse qui étreignaient la future mère malgré un air impassible de pure façade. Klaus, quant à lui, disparut sans même qu’Elijah ne s’en rende compte.

Resté seul, debout au milieu dans la grande salle, l’originel était perdu dans ses pensées. Quelque chose le gênait. Il tacha de se remémorer tout ce qui c’était dit au cours de leurs échanges. Le front plissé, le regard perdu sur la porte qu’avait empruntée le sorcier, il tentait de comprendre la cause de cette désagréable impression qui, il en était persuadé, n’avait rien à voir avec ce qu’il n’osait appeler de la jalousie. Soudain, l’une des phrases prononcées par le sorcier lui revient brusquement en mémoire.  Voilà, c’était précisément cela qui l’avait gêné. Le vampire se hâta de sortir de la maison. Quelques secondes plus tard, il se trouva au milieu du chemin et barra la route au cheval de Noah. Ce dernier, surpris par cette apparition soudaine qui n’annonçait rien de bon, se crispa et tira un peu trop violemment sur les rênes. Le cheval se rabroua et ne fut pas mécontent de sentir son cavalier descendre de selle et de le délester de son poids.

- Le moment est vraiment mal choisi pour un duel à mort : le soleil est déjà levé depuis longtemps et vous n’êtes même pas armé, ironisa le sorcier en mettant pied à terre.

Elijah éluda la raillerie :

- Comment saviez-vous que nous avions caché Viktor dans les montagnes ?

Le sorcier tacha de dissimuler son trouble derrière une expression de surprise tout en maudissant sa bêtise. Oui décidément, l’adversaire était de taille.

- Noura me l’a probablement dit, finit-il par dire au bout d’un instant.

C’était une piètre explication mais il était pris de court.

- Je ne lui ai rien dit à ce sujet, répliqua Elijah en s’approchant.

Noah soutint le regard inquisiteur du vampire qui lui faisait maintenant face :

- J’en ai surement eu l’intuition, puisque c’est bien là que vous habitiez non ? Dans les montagnes ?

Le sorcier marqua un bref temps d’arrêt avant de reprendre.

- Tout comme j’ai l’intuition que vous essayez de vous accaparer quelque chose qui ne vous appartient plus, continua-t-il pour faire diversion.

Un discret sourire apparut aux coins des lèvres de l’originel :

- J’aimerai bien voir sa tête si elle vous entendait l’appeler «  ma chose ».

- En revanche, je verrai sa tête quand elle vous regardera partir à nouveau en compagnie de Klaus quand tout sera fini. Mais rassurez-vous, je serai là pour veiller sur elle.

Elijah se crispa et fit un effort considérable pour ne pas mettre à exécution les menaces proférées un peu plus tôt à l’encontre  de ce misérable fourbe. Il avança encore davantage vers le sorcier et planta son regard dans le sien.

- Si un des membres de cette famille se retrouve en danger à cause de  vos idées saugrenues, votre tête, à vous, finira au bout d’un pic. Est-ce que c’est assez clair ? menaça Elijah entre dents.

Les deux hommes s’affrontèrent un moment du regard en silence :

- Je dois me remettre en route si je veux arriver avant la nuit, éluda le sorcier par pure provocation avant de se détourner effrontément  et de remonter à cheval.

Il passa à la hauteur du vampire sans lui adresser un regard et lança son cheval au galop.

Malgré tout, son attitude désinvolte n’était qu’apparence. Intérieurement, il enrageait littéralement. Ce vampire ne perdait rien pour attendre….


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