Dimanche 8 septembre 2013 7 08 /09 /Sep /2013 07:09
Retraites: Faux problèmes et gros mensonges
Cette réforme, personne n'en veut. Ne soyons pas hypocrites, personne n'a envie d'être obligé de travailler au lieu de pouvoir librement se livrer à tout un tas d'activités intéressantes. Il existe bien quelques savants, artistes ou grands patrons gênés par la limite d'âge, mais démographiquement, ils ne représentent rien. Si certains sont prêts à l'accepter, ou simplement à l'envisager, c'est parce qu'ils croient que nous ne pouvons pas faire autrement. Parce qu'on les en a persuadés. Encore un coup de TINA1. De ce fait, le seul apport au débat qui vaille la peine d'être ajouté, c'est de démolir cette série de gros mensonges sur laquelle s'appuie TINA. Alors allons-y.
Des fainéants incompétents
Le premier est peut-être le plus fort, car il n'est même pas formulé. Ou alors très rarement. On l'insinue dans nos consciences à coups de comparaisons avec nos voisins Allemands, Britanniques, voire nos concurrents Japonais, Sud-Coréens qui eux ont « accepté le sacrifice », « prennent leurs responsabilités », etc... On parvient ainsi à nous faire croire que les travailleurs de France sont des fainéants, probablement incompétents.
Ah bon ? Ils doivent donc produire moins de richesses que les autres dans ce cas.
Surprise ! Seul l'Étazunien fait mieux ! D'un autre côté, les « travailleurs » de la finance sont
Assez de bêtises, c'est
Et ce n'est pas François Lenglet qui nous contredira, lui qui aime tant les jolis graphiques ; cadeau, celui-ci s'harmonisera avec sa cravate rouge.
Espérance de vie
Mensonge numéro deux : On vit plus longtemps, il faut bien travailler plus longtemps. Celui-ci est plus complexe que le premier, et chaque proposition doit être contredite à part.
On vit plus longtemps, certes, mais diminué, handicapé, voire dépendant. L'espérance de vie en bonne santé, elle, ne progresse guère. D'ailleurs l'espérance de vie tout court marque aussi le pas. Il est évident que les conditions de vie ont une influence prépondérante sur la longévité. Et d'autant plus lorsqu'on atteint la vieillesse, la dureté de l'existence, si elle ne fait pas mourir, y aide bien.
Mais surtout, QUI vit plus longtemps ? La caissière, le cariste, la Prix Nobel, le P-DG ? L'INSEE nous renseigne utilement à ce propos.
Ce tableau se lit en ajoutant la phrase : « De nos jours, une personne de 35 ans peut espérer
Tout d'abord, l'expression « espérance de vie en bonne santé » mérite une précision : En statistique, on est en bonne santé tant que l'on dispose de sa mobilité élémentaire et de l'usage de ses sens. Tant que l'on peut à peu près bouger, que l'on voit et entend raisonnablement bien, etc... Au-delà, j'estime que l'on peut se dire « diminué ». Il existe encore deux autres stades, que je résumerai par les mots « handicapé », quand vous aurez besoin d'aide pour votre ménage, puis « dépendant » lorsque ce sera pour votre toilette. Rappelons en passant que c'est pour mériter cela que nous devrions travailler jusqu'à point d'âge. Double peine ? Qui a dit cela ? Qu'il se dénonce ou je punis toute la classe.
Mais revenons aux chiffres. On n'insistera pas sur la meilleure résistance de ces dames, le phénomène est constant depuis la nuit des temps. Dans la partie masculine, on voit que l'ouvrier vise les 76 ans. Pas extraordinaire, mais bon... Il en reste un peu après le boulot. Pour l'instant. Par contre, en bonne santé au-delà de 59 ans, il doit se dire qu' il a de la chance.
Si l'on compare, donc ces 59 ans avec l'âge auquel on peut prétendre à une retraite complète aujourd'hui... Et que l'on se rappelle qu'ils ne les auront qu'en 2037 ! Ne rêvez même pas d'arriver au bout de votre carrière. En 2013 déjà, la moitié des personnes qui partent à la retraite sont malades, invalides ou au chômage. On voit que ce projet annonce des lendemains qui chantent pour le travailleur manuel.
On peut aussi mettre ces 59 ans en face des 69 qui sont promis à la CSP « cadres supérieurs et professions intellectuelles ». Dix ans de plus ! Donc la réforme juste, promise par le gouvernement, consiste à les faire partir au même âge, à plafonner les cotisations, et à exonérer les stock-options et autres participations financières. Aux survivants les poches pleines, maintenant c'est la double récompense.
Seconde partie du mensonge : il faut bien travailler plus longtemps. Dans ce « il faut bien », on voit TINA pointer son vilain nez. La chose paraît si simple ! Trop simple pour être honnête. Nous allons donc en revenir au PIB, pour observer comment évolue la production de richesses : une fois que tout est dit, nos rémunérations sont une part de celle-ci, cotisations comprises.
Comme on le voit, la production française a franchi en 2011 la barre des 2000 milliards d'euro. Mais c'est surtout son évolution qui est intéressante.
Comparé à celui de 1981, le PIB avait doublé en 1990, triplé en 2001, et quadruplé en 2011. Nous disposons donc de quatre fois plus d'argent pour l'état social qu'en 1981.
Nous pouvons assumer dans les mêmes conditions quatre fois plus de retraités, mais aussi d'élèves, d'étudiants, de malades, de chômeurs, etc...
Amusant, non ? Comment disait-on, déjà ?
Il faut bien travailler plus longtemps...
Cette seule observation du PIB attaque déjà sérieusement le mensonge suivant.
La démographie
Trop de retraités, plus assez d'actifs ! En 1976 l'entretien d'un retraité était partagé entre 3 actifs, aujourd'hui les mêmes 3 doivent en assumer 2 ! Et ce n'est pas fini !
Effrayant, non ? Et pourtant... En réalité, le nombre d'actifs, de cotisants n'a aucune importance. Non, ce n'est pas une provocation : ce qui compte c'est le montant des cotisations. Rappelons que celles-ci sont un élément de la rémunération. Alors que l'on ait cent personnes payées 1000 €, dix personnes payées 10 000 €, ou une seule payée 100 000 €, la cotisation rentre de même, sur 100 000 €. Du moins si l'on n'a pas établi un plafond pour cette cotisation, bien entendu.
Alors ? La production de richesses a quadruplé, mais la part réservée à la rémunération, en proportion, a beaucoup baissé. Les cotisations patronales, entre autres, sont bloquées depuis des années. La charge pour chaque actif a certes doublé, mais entre-temps, l'argent qu'il rapporte à son patron, sa productivité, a doublé aussi, et un peu plus. Où est le problème ?
« Où est passé l'argent ? » me semble une question plus pertinente. Bien sûr, le grand nombre de personnes ne cotisant plus rend les choses plus difficiles.
Par exemple celles, innombrables, dont les petits salaires sont exonérés, dans le but de favoriser l'embauche. On n'a jamais pu en mesurer un résultat positif. Le trou dans les caisses de retraite, lui, est bien là.
Second exemple, les millions de chômeurs provoqués par la circulation anarchique de n'importe quoi venu de n'importe où, pourvu que ce soit moins cher. Ou ceux que nous devons à l'attitude des banques après la crise financière, qui n'ont plus financé correctement les entreprises.
Il est sur que si tout ce monde cotisait encore, on ne serait pas en train de nous vendre une réforme des retraites. Sauf, bien entendu, si cela faisait partie d'une négociation entre la France et Bruxelles.
La contrepartie
Ce sera le troisième mensonge, et le dernier pour cette fois. Vous avez déjà de quoi discuter avec les spectateurs du JT. Celui-ci est de l'espèce « mensonge par omission ».
On nous cite un tas de raisons pour vouloir réformer les retraites, et jamais la plus urgente, la seule impérative : c'est la Commission Européenne qui l'a dit. Et là, on ne discute pas. Nous avons obtenu la permission de retarder l'objectif des 3 % de déficit. On nous impose donc des pénalités, une punition. La réforme des retraites en fait partie. Ce n'est pas tant qu'elle soit nécessaire, elle est obligatoire. Comme j'ai eu récemment l'occasion de l'écrire, cette contrepartie comprend aussi l'ANI et une future avancée dans la privatisation d'EDF et de la SNCF. Il est bon de savoir à qui l'on doit toutes ces avancées sociales.
Conclusion
Conclusion ? D'abord, quel que soit le contenu de cette réforme, quel que soit le niveau de régression, nous sommes fondés à la refuser. Elle n'est ni juste, ni négociée, ni nécessaire.
Ensuite, notre mode de vie est de plus en plus décidé à Bruxelles, par des gens non-élus, qui s'entêtent dans une politique fondamentaliste libérale, désavouée jusque par le FMI ! Cela non plus, nous n'avons pas à l'accepter. Cette situation a été mise en place sans notre avis, voire contre notre avis en 2005. Si nous voulons vivre en démocratie, il serait temps de se remuer, pour l'instant notre régime n'en a guère plus que le nom.
1There Is No Alternative (Il N'y A Pas d'Alternative), principal «argument » de feue Margaret Thatcher pour faire exploser l'état social britannique dans les années 1980.