La Fondation Maeght a donné carte blanche au philosophe et écrivain Bernard-Henri Lévy. Sur le thème "Peinture et philosophie", Bernard-Henri Lévy, commissaire artistique, propose un itinéraire en sept « séquences » pour comprendre le corps à corps millénaire, entre la philosophie et la peinture, parfois rivales, parfois alliées. Une centaine d'œuvres anciennes et contemporaines, issues de collections publiques et privées, françaises et internationales, sont réunies pour cette exposition événement.
Jean Michel Basquiat - Sans titre (Prophète) 1981-1982 acrylique, craie et collage sur toile -collection privée ©
« Très vite, j'ai été conquis par l'idée de constituer une collection, moi qui ne suis pas collectionneur, de saisir cette occasion extraordinaire de faire l'une des plus belles collections du monde, mais éphémère et qui corresponde à mes rêves », extrait du Journal intime BHL qui constitue la préface du catalogue qui est plus un livre, édité par la Fondation Maeght et Grasset, pour l’occasion. Les reproductions de la centaine d’oeuvres choisies sont accompagnées de notices rédigées par Bernard-Henri Lévy, dans lesquelles le narrateur ne fait pas mystère ni de la subjectivité de ses choix, ni de ses éblouissements. Rencontres, réflexions, difficultés, étonnements et satisfactions : de larges extraits du journal tenu par Bernard-Henri Lévy tout au long du travail constituent un chapitre inédit de l’ouvrage. Ces textes aident à la compréhension de sa pensée, du choix et de son cheminement.
« Cette exposition raconte une histoire, l'histoire de la vérité à travers ses deux grandes vestales que sont la philosophie et la peinture », résume le commissaire Lévy.
Son titre, qui est aussi celui du livre, est « Les Aventures de la vérité », sous-titré « récit », car les quelque 140 oeuvres réunies par BHL sont là pour raconter le bras de fer que se sont livré à travers les siècles l'art pictural et la pensée philosophique.
« Si j'ai avec tous ces tableaux et ces dessins une relation intense et personnelle, explique-t-il, aucun de mes choix ne déroge à l'objectif poursuivi. »
Sauf un : un portrait d'André Breton par Nadja, qu'il a découvert chez un collectionneur, et pour lequel il a éprouvé un coup de foudre immédiat. Le seul portrait du pape du surréalisme, écrit-il dans le commentaire « où on ne le sente pas statufié, poseur ».
Une exposition, pour celui qui l'organise, c'est un autoportrai. Le sous-titre de l’exposition résume bien le propos, « récit » Ce n'est pas une expo, c'est un parcours, une déambulation.
Pour moi, novice, la philosophie vue du point de vue de l’art, commentée, juxtaposée, rivale est une aventure. Curieuse de l’art (dilettante), gourmande de nouvelles expressions et de manières d’exposer, je me suis régalée, tout en tentant de saisir l’essentiel du propos.
Venir à la Fondation Maeght est déjà un grand bonheur.
Les connaissances de BHL sont impressionnantes. Il nous montre des œuvres inconnues comme Dibutabe, entre autres, pour illustrer ses propos.
L'exposition propose un itinéraire à travers ces œuvres de l'esprit qui se déploie en sept "séquences" :
Première séquence : La Fatalité des ombres.
Platon et les platoniciens chassent hors de la république les faiseurs d’illusions et montreurs d’ombres. Se référant au mythe de la caverne et à la fable de la Dibutade qui trace au charbon l’ombre de son amoureux avant qu’il ne disparaisse, démonstration de BHL “l’art porte, comme un fardeau imaginaire, le poids de ce platonisme.
La formule fait allusion à l’interdit porté par le platonisme sur les images en général et la peinture en particulier, mais aussi aux iconoclastes.
Il est difficile de choisir entre les oeuvres proposées par BHL pour illustrer ses stations.Je propose Le Saut de Pierre Tal Coat.
Pierre Tal Coat - Le Saut 1955-56 huile sur toile 146 x 146 Collection Adrien Maeght ©
Un homme bleu, sur un fond d’or, courant après un objet perdu que l’on sent qu’il n’atteindra jamais.
Deuxième séquence : Technique du coup d'état.
C’est la réhabilitation de l’image dans le christianisme par les philosophes et les théologiens, qui lève la malédiction platonicienne. BHL nous présente quelques Sainte Véronique, icône acheiropoieta, dont celle de Pierre et Gilles, créée spécialement pour l’exposition. Il en a assemblé une profusion (oeuvres religieuses et profanes)
Troisième séquence : la Voie Royale.
La peinture a pris sa revanche sur la philosophie à laquelle elle passe le relais.
La vérité de l’être est présentée par la peinture, l’art est la vraie philosophie.
Des textes de philosophie voisinent avec les masques de James Ensor et le Communicator n° 4 de Marina Abramovic, ou encore les libraires aveugles de Gérard Garouste, les Cène, les crucifixions, qui avec bonheur sont raisonnablement éloignées l’une de l’autre pour donner à chacune son importance.
Marina Abramovic - The Communicator (n° 4) 2012 tête en cire avec des pierres de cristal de quartz piédestal en verre, Gallery Lia Rumma
Quatrième séquence : Contre-Être.
Une oeuvre d’Anselm Kiefer, « Alkahest », elle aussi spécialement créée pour l’exposition pour illustrer ce propos. Oeuvre géologique autant que philosophique, ou les éléments font allusion aux alchimistes, avec la balance du dosent le sel et le sulfure. BHL fait allusion dans son texte à Faust et devine la silhouette de Nietzsche, dans la partie gauche de la toile. Faust qui transforme le plomb en or, ou l’or en argent, il transmue tous les éléments. C’est une toile sublime, devant laquelle les visiteurs passent dans la regarder. (du moins lors de ma visite)
Portraits et sculptures de quelques philosophes, (De Chirico, les philosophes grecs, André Masson le portrait de Goethe, Genetic Moment de Barnet Newman.
Que fait-on avec le temps , Roman Opalka en a dénombré l’écoulement, jusqu’au dernier nombre 5607249, jour de son dernier soupir.
Anselm Kiefer, Alkahest 2013, huile, émulsion, acrylique, gomme-laque, charbon, sel et métal sur toile, galerie Thaddeus Ropac
Cinquième séquence : Tombeau de la philosophie.
La place laissée vacante par la philosophie, c’est l’art qui l’occupe. La peinture par les artistes met en scène le cadavre de la philosophie.
Magritte “les vacances de Hegel” Une suite de toiles et sculptures avec des cadavres : Efficiency Men de Thomas Schütte, Walking for the Liberation de Paul Delvaux, l’enfer des frères Chapman, puis dans la cour Giacometti, incongrue : Merci Dream, la Pièta de Jan Fabre, impressionnante à Venise, dans la Nuova Scuola Grande di Santa Maria de la Misericordia. Les chaussures d’Abdel Andessemend : les Chemins qui ne mènent nulle part. La Datcha, propriété d’Edouardo Arroyo, où Louis Althusser est présenté sur le seuil, Levy Strauss assis, Lacan debout en noeud papillon, Foucault, caressant son crâne chauve, Roland Barthes (attention Nagui et Sarko) présentant les petits fours à ses invités, que l’on devine en grande discussion et réflexion. BHL nous apprend que le tableau est une charge contre les cinq, de leur pensée coupée du monde, frileuse. Colère contre les penseurs, fureur contre l’intelligence et son emphatique inutilité.
La Datcha collection particulière
Sixième séquence : La revanche de Platon.
La situation s’inverse, la contre-offensive, sinon, de la philosophie, du moins du discours et du concept répondant à l’agression, tentant de reprendre le terrain perdu, en repartant à l’assaut de l’art.
En premier lieu, la contre-attaque de Duchamp avec tous ses suiveurs, puis le monochrome, certaines oeuvres se réduisent à un simple énoncé.
Les directives de Guy Debord.
Septième séquence : Plastèmes et philosophèmes.
Termes inconnus que j’ai tenté de trouver dans un dictionnaire (google)
Aussi je résume ce que j’ai lu et tenté de comprendre.
Les artistes n’ont attendu personne pour se libérer et surtout pas un philosophe, ni inversement, pour les philosophes.
Car il reste, une dernière configuration, ancienne et moderne, archaïque et contemporaine, qui voit art et philosophie, dans leurs positions respectives, se complétant parfois et travailler ensemble.
Les sacs en plastique de Kader Attia, vides, qui furent pleins, fantomatiques et portant l’empreinte de ce dont les a vidé, témoin de la misère du monde.
Kader Attia
En résumé c’est un va et vient entre art ancien, moderne et contemporain ; entre une crucifixion de Bronzino et de Basquiat ; une Sainte Véronique du XV° siècle et sa réinterprétation par Picabia ou Jim Dine ; entre un tableau de Paul Chenavard prétendant illustrer Hegel et une autre de Joseph Kosuth prétendant, lui, dépasser et prolonger l'hégélianisme, tel est le principe d'une exposition qui pourra se lire comme un grand récit de l'âme et dont le narrateur ne fera mystère ni de la subjectivité de ses choix, ni de ses éblouissements., une exposition qui demande à ce que l’on s’y attarde.
Dans une série de courtes vidéos, filmées par Bernard-Henri Lévy, on devrait voir des artistes contemporains (entre autres : Marina Abramovic, Miquel Barceló, Olafur Eliasson, Alexandre Singh, Huang Yong Ping, Jacques Monory, Anselm Kiefer, Gérard Garouste, Kehinde Wiley, Maurizio Cattelan, Zeng Fanzhi ou Enrico Castellani) lire une page de philosophie (Platon, Hegel, Schelling, un fragment du Talmud, etc.). Noir et blanc. Artiste face caméra. Lieu de son choix. Ces films, à la fois pierres de soutènement et mouvement de l’esprit, portent par leur parole une autre forme de souffle aux côtés de celui des oeuvres.
Elles ne fonctionnaient pas lors de mon passage, dommage.
photos de l'auteur courtoisie de la Fondation Maeght