« Brillant. Et c'est probablement un euphémisme ». C'est ainsi que le panégyrique de Narendra Modi, signé Akshaya Mishra, débute sur le site de Firspost. « Pour la première fois depuis très très longtemps, j’ai trouvé qu’un leader indien parlait avec substance et avec une vision (…), renchérit Shubham Ghosh, de OneIndia. C’était fantastique. Nous avons besoin de leaders qui nous fassent croire en nous-mêmes ».
Devant les étudiants, Narendra Modi parle de la jeunesse et de l’avenir du pays. Il prône une meilleure gouvernance, à l’image de son exemple dans le Gujarat. Rappelant sans cesse les merveilles qu’il aurait accomplies dans cet Etat de l'Ouest du pays, il martèle deux maîtres mots : croissance et développement. Akshaya Mishra salue un « discours qui inspire » par Modi « le visionnaire » : « Il n’y a eu aucun discours récemment qui parlait de développement, d’éducation, de jeunesse, de progrès, de stratégie, de profit, de fierté et de technologie, tout cela en même temps ».
Pour beaucoup d'éditorialistes, si l'on compare les discours, Rahul Gandhi, l'autre premier ministre potentiel, ne fait pas le poids. « Modi regarde devant, Rahul regarde derrière, c’est la différence », titre Shubham Ghosh. Lors du discours de son accession au rang de vice-président du Congrès, le 19 janvier 2013, le fils Gandhi avait rappelé avec émotion à son auditoire les tragédies auxquelles sa puissante famille avait dû faire face.
Passant du statut de politicien à celui de « gourou du management », Narendra Modi a suscité l’espoir chez ses jeunes, affirme Sanjay Singh sur le site de Firstpost. Celle d’une « nouvelle Inde qui pourrait rivaliser avec la Chine ». Le nationaliste apparaît dans les colonnes des journaux comme celui qui pourrait panser tous les maux du pays. « Il ne faisait pas de déclarations vides. S’il a bien compris les problèmes du pays, il a aussi des solutions. », affirme Akshaya Mishra.
Au milieu de ce concert d'éloges, seul The Hindu a semble t-il fait de la résistance. Alors que le discours du grand manitou du Gujarat a fait la une du Hindustan Times et du Times of India et qu'il a été retransmis sur toutes les grandes chaînes de télévision, le grand quotidien de centre-gauche n’a pas fait son rapport. Sur Twitter, beaucoup d’internautes l’ont fait remarquer avec indignation ou ironie, comme le montre ce tweet :
Who says The Hindu did not cover Modi's speech? Here it is. :) #outrage m.thehindu.com/news/national/…
— Rohit Pradhan (@Retributions) February 7, 2013
« Qui a dit que The Hindu n’avait pas couvert le discours de Modi? Le voilà :) #outrage », se moque Rohit Pradhan en renvoyant vers le seul article du quotidien évoquant l’événement, sur les étudiants qui protestaient aux grilles de l’université.
Pour ces opposants, le chef du Gujarat ne méritait pas d’être ainsi reçu dans une université de la capitale. Il n’a toujours pas répondu de ses actes et de son rôle dans les émeutes communautaires entre hindous et musulmans dans son Etat en 2002. Il est soupçonné d'avoir laissé faire, sinon encouragé, ce déchaînement de violence. Dans le Gujarat, « les musulmans sont complètement ghettoïsés (…), les responsables des massacres sont toujours libres », rappelle le journaliste Aakar Patel sur la chaîne NDTV.
Sans nier le passé trouble de Narendra Modi, Subham Ghosh choisit la banalisation : « Aujourd’hui, diaboliser Modi est ridicule, alors que des discours de haines sont diffusés tous les jours par différents groupes communautaires. » Akshaya Mishra est prête à fermer les yeux : « S’il n’avait pas un passé et des amis avec de sales antécédents, vous adhéreriez probablement à ses idées sans poser de questions et le choisiriez en tant que leader ».
Avec les élections de 2014 en ligne de mire, Narendra Modi laisse cet épisode dans l'ombre et se tourne vers l’avenir. L'objectif est de se donner une dimension nationale, celle d'un premier ministre. A l'écouter, le Gujarat connaîtrait une véritable success story, qu'il pourrait étendre à l'Inde toute entière. « Son assurance était censée faire passer un message : ce qu'il a pu apporter au Gujarat, il peut l'apporter à l’Inde (…) Le message sous-jacent (…) était que s’il accède au sommet, la situation pourrait changer », assure Sanjay Singh.
Mais Aakar Patel, sur NDTV, ne croit pas au conte de fées. Créditer Modi de tous les succès gujaratis est un « non sens », martèle t-il. Patel fait également remarquer qu'« on n’a pas de quoi être fiers des indices de développement humains de l’Etat ». Selon le Indian Human Development Report de 2011, le Gujarat a certes connu une forte croissance mais a peu fait pour combattre la malnutrition. Des Etats plus pauvres comme le Bihar et l'Uttar Pradesh démontrent une plus grande volonté d'aider les plus démunis.