Le 11 mars, les autorités italiennes ont annoncé que les deux soldats ne remettraient pas les pieds en Inde, en dépit de la promesse de leur retour faite par leur ambassadeur Daniel Mancini. Les médias indiens n’ont pas apprécié la plaisanterie. Sur le site Firstpost, R. Jagannathan emploie des mots durs pour qualifier l’attitude de l’Italie : « perfidie », « duplicité », « mensonge », « traîtrise ». Mancini devrait avoir honte, lui qui n'a pas tenu parole et soutient une solution diplomatique, « comme si le meurtre était sujet de négociation politique ».
Les journalistes indiens associent le comportement de Rome au penseur italien dont le nom a inspiré l'adjectif « machiavélique ». « La Cour suprême a perdu de vue qu’elle traitait avec le pays de Machiavel, pas juste un lieu important de la Renaissance européenne », écrit The Asian Age. Pour Vivek Katju, ancien diplomate, dans India Today, ce retournement de situation était prévisible. Depuis que la Cour suprême indienne a annoncé le 18 janvier que les deux Marines seraient jugés à New Delhi, « il était évident que (...) les Italiens ne laisseraient rien au hasard pour faire rapatrier définitivement les deux Marines ». L'Italie considère en effet que ses deux soldats ne peuvent pas être jugés par l'Inde puisque l'incident s'est déroulé dans les eaux internationales.
Reprenant à son compte la thèse de deux chercheurs norvégiens exposée dans le Business Line, R. Jagannathan accuse l'Italie de « racisme sophistiqué ». Les Italiens avaient toutes les raisons de laisser la justice indienne travailler : ils ne contestent pas le meurtre de deux pêcheurs innocents et leurs compatriotes auraient pu purger leur peine sur leur territoire, selon un accord signé entre les deux pays en 2012. « Ce qu’ils ne semblent vraiment pas apprécier, estime t-il, c’est que ces Indiens à la peau brune puissent juger leurs compatriotes ».
Si Katju affirme que Rome traite New Delhi avec mépris, il estime que les cours de justice indiennes ont elles aussi encore une « mentalité coloniale » et traitent ces Italiens comme des détenus de rang supérieur. Pourquoi ont-ils bénéficié de cette autorisation extraordinaire de regagner leur patrie pour voter ? Le journaliste assure que la justice du Kerala les a même autorisés à recevoir des spécialités culinaires de leurs pays. « Est-ce que les cours italiennes auraient accordé un apport régulier de daal pour des Indiens dans les mêmes circonstances ? », ironise t-il.
Pour Vivek Tatju, l’Inde doit se montrer ferme. L’ambassadeur Mancini doit être poursuivi en justice, les relations entre les deux pays gelées et les activités commerciales dans le domaine public suspendues. Rajeev Sharma, sur le site de Firstpost, est aussi de cet avis : « La fierté nationale est bien plus importante que le business et le commerce ». Selon lui, New Delhi doit faire sentir à Rome que l'ordre mondial a changé, que les rôles se sont inversés, et que c’est désormais elle qui mène le jeu. « L’Inde doit montrer au monde, et particulièrement à un pays du G20 comme l’Italie, que nous ne sommes plus un pays de charmeurs de serpents et de toilettes en plein air, martèle t-il. Nous sommes arrivés sur la scène internationale avec éclat alors que l’économie italienne est sur le déclin. »
Comme on pouvait s'y attendre, Sonia Gandhi, la chef du parti du Congrès, encore affublée avec mépris du surnom l’« Italienne » ne peut être totalement épargnée dans une affaire qui concerne sa première patrie. Rajeev Sharma estime que c’est à elle de prendre des mesures pour condamner cette « trahison ». Elle doit, à travers cette affaire, montrer quel est son camp. Après 45 ans de vie et près de 30 ans de politique en Inde, Sonia Gandhi doit encore « prouver ce qu’elle aimerait que les Indiens croient – qu’elle est plus indienne qu’italienne. »