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Quand la presse indienne défend la Syrie d'Assad

Publié le 31 août 2013 par Dopalruka @DoPalRuka
Les commentateurs indiens craignent qu'une intervention militaire contre le régime de Bachar al-Assad ne déstabilise toute la région et critiquent la partialité et l'hypocrisie de l'Occident.

Quand la presse indienne défend la Syrie d'Assad

Le premier ministre Manmohan Singh et l'ancienne présidente indienne Pratibha Patil
aux côtés de Bachar el-Assad et de sa femme en 2008


Alors que le prix du baril flambe et que la roupie est au plus bas, l'Inde redoute déjà les répliques d'un séisme provoqué par une éventuelle guerre en Syrie. Pour l'éditorialiste du Deccan Chronicle, tout conflit dans cette région du monde riche en sources d’énergie a un impact sur l’économie du monde, et au premier rang, sur celle des pays développés comme l’Inde. De plus, New Delhi aurait à choisir entre ses différents alliés internationaux. 
« L'Inde se méfie du type de régime qui pourrait finalement remplacer la dynastie Assad, assure Uttara Choudhury de Firstpost. Un groupe islamiste assumant le pouvoir pourrait, par exemple, retourner la politique pro-indienne d’Assad ». Le régime syrien l'a en effet soutenu dans ses conflits avec le Cachemire, l'a appuyé dans sa quête d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU et a protégé ses intérêts pétroliers.
Mais au-delà de ces considérations nationales, c'est le comportement et l'empressement belliqueux des Occidentaux qui est vilipendé dans la presse indienne. « Observez avant de bondir », leur recommande l'éditorialiste du Hindustan Times. S'il y a un consensus autour du fait que des armes chimiques ont été utilisées en Syrie, les détails de cette attaque et notamment son origine restent troubles. « La Syrie est moins une nation qu’un champ de bataille embrumé par la brutalité, l’idéologie et peu de clarté. C’est un endroit que les étrangers ne devraient pas avoir peur de fouler, mais seulement s’ils savent pourquoi ils posent leurs bottes sur son sol », assure l'éditorialiste.
Prem Shankar Jha, du journal Tehelka, ne nie pas le crime, ni la nécessité de le « punir » mais accuse l'Occident de condamner le régime syrien sans aucune forme de procès. « Les Etats-Unis accusent le régime d’Assad d'une horrible attaque chimique mais où en est la preuve ? », demande-t-il. Il rappelle les arguments du réquisitoire prononcé par le secrétaire d'Etat américain John Kerry contre Bachar el-Assad : 1) Le régime syrien garde des charmes chimiques. 2) Il a la capacité de lancer une attaque. 3) Il est déterminé à combattre l'opposition dans les zones où les crimes ont été perpétrés. Mais, argue Prem Shankar Jha, en quoi ces faits, même combinés, accusent irréfutablement le régime? « Cela aurait été un procès pour meurtre, cette affaire se résumerait à rien de plus que : « Votre honneur, il possède un revolver. Il s’est disputé avec sa femme. Elle est morte ». On se serait moqué de lui au tribunal ».
Les éditorialistes du Hindustan Times et de Tehelka vont même plus loin en désignant leur coupable. Les alliés de l'Occident. Les rebelles syriens. Le Hindustan Times invoque le rapport d'une précédente équipe de l’ONU, délivré en mai, qui soutient cette thèse.

Quand la presse indienne défend la Syrie d'Assad

Photo : AFP/Raveendrandra Veendran


Pour le journaliste de Tehelka, les Etats-Unis voudraient faire croire à l’opinion internationale que le régime d’Assad a un mobile et les moyens de mener une telle attaque, contrairement aux rebelles. Vraiment? « Le régime d’Assad a peut-être les moyens, mais il n’a rien à gagner et tout à perdre à utiliser des armes chimiques (…) », estime Prem Shankar Jah. Pourquoi aurait-il ordonné une nouvelle attaque chimique le jour précis où l’ONU commençait son enquête ?En revanche, selon sa théorie, les rebelles avaient tout intérêt à répandre ces produits toxiques juste avant que l’ONU n'entame son travail puis à faire condamner le régime pour cette attaque« Les ambitions des rebelles ont dû monter en flèche en décembre quand Obama a tracé sa désormais fameuse ligne rouge contre l’utilisation d’armes chimiques par le régime d’Assad. Tout ce qu’ils avaient à faire était de convaincre l’Occident qu’il l’avait dépassé », écrit Prem Shankar Jha.D’ailleurs, souligne-t-il, les rebelles ont déjà mis cette stratégie en application. Ils auraient utilisé des armes chimiques en mars 2013. « Ils avaient perdu l’initiative et savaient qu’ils ne pourraient gagner que si l’Occident intervenait », justifie-t-il.
De quel droit l’Amérique attaquerait-elle la Syrie ? semble demander Praveen Swami sur le site Firstpost. Pour l’éditorialiste, les limites tracées par Washington ne sont pas claires : « Il est dur de trouver des raisons valables pour justifier que l’Iran ne peut pas se procurer l’arme nucléaire alors que l’Inde, Israël et même le Pakistan le peuvent. Il n’y a pas d’explication au fait que les Etats-Unis peuvent envahir l’Afghanistan pour punir les terroristes, mais l’Inde ne doit pas passer la Ligne de Contrôle [avec le Pakistan]. Il est dur de comprendre précisément quels principes rendent acceptable pour les Etats-Unis et les monarchies du Golfe de fournir une aide létale aux insurgés syriens, qui ont tué avec une brutalité exceptionnelle – mais pas pour le régime de tuer avec une brutalité exceptionnelle. Excepté, bien sûr, le principe qui compte : le pouvoir ».
Beaucoup d’observateurs indiens jugent que si l’Occident veut intervenir en Syrie, c’est d’abord pour défendre des intérêts bien moins humanistes que la protection du peuple syrien. L'éditorialiste du Deccan Chronicle affirme que les Etats arabes, Al-Qaeda, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France veulent imposer un leader hostile à l’Iran, pour changer la balance des pouvoirs dans la région.
Pour Ali Khan Mahmudabad, journaliste de Tehelka, c'est l'or noir qui est le réel nerf de la guerre à venir, quelle que soit la forme qu'elle prendra. Les puissances occidentales voudraient établir un gouvernement flexible à Damas en prévision de l’avenir, lorsque des pipelines de gaz en Syrie permettront à la fois de réduire la grande influence de la Russie sur les marchés européens du pétrole et d’éviter de passer par le golfe persique, sous contrôle de l’Iran. « Alors que l’on parle d’un peuple vulnérable, d’armes odieuses et d’obscénités morales, le dénouement en Syrie a peut-être plus à voir avec le pouvoir et le contrôle géo-stratégique sur les ressources naturelles qu’avec des inquiétudes pour la liberté et la sûreté des populations civiles », juge Ali Khan Mahmudabad.

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