Iran, les 100 jours de Rohani

Publié le 06 septembre 2013 par Egea
  • Iran
  • SYrie

Le Proche- et Moyen-Orient n'est pas éclaté, mais en ce moment assez chaotique. Une Turquie énervée, un Irak qui retombe dans le cycle infernal des attentats, une Égypte frôlant toujours plus près les limites de la guerre civile, et bien sur la Syrie, avec ses débordements au Liban et en Jordanie. Du coup, on oublie l'Iran. Vous savez, l'autre croquemitaine, le grand méchant de la région. Curieusement, il y a de réelles évolutions. Tout d'abord une transition démocratique qui s'est convenablement déroulée. Et l'arrivée au pouvoir d'un "pragmatique conservateur", M. Rohani. Nous reviendrons sur lui, car son cas est intéressant.

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Disons que maintenant que le régime s'est débarrassé de M. Ahmadinedjad, il peut à nouveau parler d'une voix à peu près unique, puisqu'il y a une vraie proximité (n'en doutez pas) entre le guide Khameney et M. Rohani (n'allez pas faire de M. Rohani un "réformateur", les choses sont plus subtiles que ça). Aussi voit-on des signes d'évolution de plus en plus clairs. Certains étaient déjà perceptibles depuis un an, mais il semble que les choses s'accélèrent.

Ainsi, la diplomatie souple du nouveau président iranien commence à trouver ses premières manifestations :

  • il rencontre le sultan d'Oman pendant une longue visite officielle (voir ici )
  • Le NYT publie un éditorial assez indulgent (voir ici ).

On pourra lire aussi ces deux articles :

  • Un du Rusi sur la lune de miel des cent premiers jours de Rohani
  • ou un autre de la Carnegie, juste après l'élection expliquant qu'alors que les révolutions arabes mettent des islamistes au pouvior, l'Iran désigne quand à lui un libéral...

Mais aussi:

Bien évidemment, le plus intéressant réside dans l'attitude envers la Syrie. On lira ainsi ce très bon article qui fait bien le point des déclarations officielles à la fin août. Le guide a été très prudent, M. Rohani déclare le 24 août "Nous condamnons, de manière ferme, l'utilisation des armes chimiques (en Syrie). La République islamique, qui a été, elle aussi, victime des armes chimiques, demande à la communauté internationale d'employer toute sa force pour empêcher l'utilisation de ces armes, où que ce soit, notamment en Syrie".

Plus surprenant encore, le ministre iranien des affaires étrangères déclare que "l'ONU restait la seule instance à pouvoir faire revenir le calme et la stabilité dans la région, à l'aide d'autres pays clés". Fichtre : n'est-ce pas du respect de la légalité internationale, ça ? Mais on nous disait que c'étaient des voyous ?

Cela va à l'encontre de la grille de lecture simpliste des journalistes européens, et notamment français, faucons idéalistes qui ressassent encore que "l'Iran est le grand méchant" et d'ailleurs "il soutient sans réserve le régime syrien" qui est, je vous le rappelle "abominable". ce qui conduit à des interprétations erronées des dernières déclarations de M. Rasfandjani (voir cette analyse) qui va même jusqu'à évoquer la responsabilité du régime syrien. Contrairement à ce qu'on vous raconte, il ne s'agit pas forcément de "dissensions" à l'intérieur du système de pouvoir de Téhéran, mais d'une ouverture très claire faite aux Américains.

En effet, il s'agit de revenir dans le jeu. Depuis deux ans, les Occidentaux jouaient la fermeté en étant persuadés que B. Assad allait tomber le mois prochain. Pas de chance, il est toujours là. Or, depuis deux ans, ces rodomontades où l'on bombait le torse et portait la morale haut sur le front, comme une couronne de vainqueur, ont fermé la porte à toute solution négociée. Ah! oui, il faut rappeler aux diplomates qu'en général, on négocie avec des gens avec qui on est en désaccord et même, parfois, avec ses ennemis ou des gens qu'on n'aime vraiment pas. C'est bête, mais tout le monde n'a pas son couvert de petit déjeuner au Fouquets et de goûter au Flore. Le monde est mal fait, vraiment !

Or, voici que le même "Occident" (oui, toujours des guillemets à ce mot qui ne signifie vraiment, mais vraiment plus grand chose) est aujourd'hui dans un embarras certain. Et ne cesse de dire : "il faut une solution politique". Ce qui au passage est idiot, puisque la guerre est une solution politique, mais on ne va pas non plus reprendre le cours de stratégie à la leçon 1. Donc, "une solution diplomatique". Mais elle n'a de chance infime de parvenir à quelque chose qu'à la seule condition qu'on accepte de discuter avec "toutes les parties prenantes". Donc les Russes. Donc les Iraniens. Donc le régime. Donc les opposants fréquentables. Et donc les opposants infréquentables. Tout le monde, je vous dis.

C'est très exactement ce que l'Iran nous dit, très fort. Du genre "on est prêt à discuter". Et si on discute là-dessus, on va trouver un bon accord qui sera le prémisse à d'autres bons accords. En Syrie. Mais aussi en Iran.

Comme quoi, décentrer un peu le regard, ne pas regarder seulement Damas ou Saint-Pétersbourg (lieu de la réunion du G20 de ces deux derniers jours où il ne s'est rien passé) pour jeter des yeux ailleurs, ça aide peut-être à trouver des solutions. Surtout s'il y a des gens qui sont prêts à la diplomatie. La vraie, à l'ancienne, genre Metternich ou Talleyrand. D'accord, ils n'avaient pas fait l'ENA, ça aide à avoir du talent.

PS : dernier signe, en relisant mon billet juste avant publication, je trouve ceci : Rohani souhaite un bon nouvel an aux juifs iraniens.... Ce site de la chambre de commerce franco-israélienne en est encore tout ébahi !

O. Kempf