Le don du poème ne cite rien, il n’a aucun titre, il
n’histrionne plus, il survient sans que tu t’y attendes, coupant le souffle,
coupant avec la poésie discursive, et surtout littéraire. Dans les cendres
mêmes de cette généalogie. Pas le phénix, pas l’aigle, le hérisson, très bas,
tout bas, près de la terre. Ni sublime, ni incorporel, angélique peut-être, et
pour un temps.
Tu appelleras désormais poème une certaine passion de la marque singulière, la
signature qui répète sa dispersion, chaque fois au-delà du logos,
anhumaine, domestique à peine, ni réappropriable dans la famille du sujet: un
animal converti, roulé en boule, tourné vers l’autre et vers soi, une chose en
somme, et modeste, discrète, près de la terre, l’humilité que tu surnommes,
te portant ainsi dans le nom au-delà du nom, un hérisson catachrétique, toutes
flèches dehors, quand cet aveugle sans âge entend mais ne voit pas venir la
mort.
Jacques Derrida, Che cos’è la
poesia?, publié d’abord dans Poesia, I, 11, novembre 1988, puis dans Po&sie, 50, automne 1989. On
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