Loin d’avoir besoin de plus d’intervention, le football a besoin d’une véritable libéralisation, plaçant le supporter au cœur de son économie.
Un billet d'humeur d'Aurélien Biteau.
Le football, pour la plupart des Français, c’est un sport où des millionnaires débiles courent après un ballon et qu’on regarde à la télé. Bien qu’il y soit l’objet de nombreuses passions et polémiques, et que la politique aime aussi beaucoup s’y mêler, ce n’est pas faire injure que de reconnaître que la France n’est vraiment pas une terre de football, contrairement à ses voisins britanniques, allemands ou encore espagnols. Le football, on en parle, on le voit de loin, mais on n’oublie surtout pas de se pincer un peu le nez et de prendre ses distances avec tous ces beaufs.
Toutefois, pour un certain nombre de véritables fans, le football se vit encore au stade, en tribune, où l’on soutient son équipe, son club, sa ville. Or pour ces gens-là, le monde du football, du moins français, a pris une très désagréable tournure qui ne devrait pas laisser totalement indifférents les libéraux, malgré le mépris général dans lequel est traîné ce si peu connu univers dans ce pays.
Je me sens obligé de faire d’abord part de mon expérience personnelle, tant j’ai eu d’occasions de me rendre compte que si le foot est extrêmement populaire, les tribunes sont la grande inconnue de ce sport. Ceci permettra de donner un peu de concret à cet article qui, au fond, est avant tout un billet d’humeur.
Né à Troyes et ayant grandi bien loin de ma ville natale tout en y gardant des attaches familiales, j’ai été emmené dans mon enfance pour la première fois au Stade de l’Aube par mon grand-père voir jouer l’ATAC, devenue depuis l’Espérance Sportive Troyes Aube Champagne (ESTAC). Mais c’est à Strasbourg que j’ai chopé le virus, après avoir rencontré des Ultras Boys 90 que je compte parmi mes amis : j’ai découvert véritablement le football et les tribunes à ce moment-là, et l’ESTAC, que je suivais de loin, et alors qu’elle remontait en première division, est devenue pour moi une véritable passion.
Je suis donc un supporter de l’ESTAC, club de ma ville de Troyes. Que ce club soit en coupe d’Europe, comme au début des années 2000, ou dans l’anonymat de la troisième division, comme en cette triste saison 2009-2010, et bien que je ne sois pas le plus fervent des supporters, il m’est impossible de ne pas penser et parler ESTAC, de ne pas suivre les résultats, de ne pas me rendre au stade de temps en temps, malgré la distance, ni de ne pas faire quelques déplacements et porter fièrement les couleurs de Troyes dans le reste de la France, et encore moins de ne pas assister aux derbies contre les voisins rémois et sedanais.
Pour la plupart des Français, ce sentiment est aussi irrationnel qu’inconnu. Mais malgré des stades à moitié déserts, il est encore partagé par de nombreuses personnes d’horizons divers qui osent se rendre au stade, en Ligue 1, en Ligue 2, en National et même plus bas encore dans le football amateur.
Or les tribunes sont devenues, sans qu’on n'en parle plus que ça, et dans un grand mépris et une heureuse ignorance, un objet essentiel des transformations du football. On le sait, le football d’aujourd’hui ne ressemble pas tellement au football des années 50 ou 60. Les clubs sont devenus des véritables entreprises tandis que les joueurs, moins captifs, se sont mutés en classiques salariés, et peuvent changer de clubs selon les tendances du marché des transferts. Le football est devenu une économie qui draine des millions d’euros, nécessite de la part des clubs une véritable maîtrise du management sportif (communication, marketing, relation client, sponsoring, etc.), et attire de très riches mécènes. Ces mutations ne sont guère surprenantes, mais elles sont la raison d’être de vives critiques contre ce qui est appelé le « football moderne ».
Dans les tribunes, ces critiques sont portées pour l’essentiel par le mouvement Ultra. Ce mouvement, si caricaturé par les médias et sur lequel courent de nombreux préjugés chez celui qui n’a jamais mis les pieds au stade, défend une vision passéiste et un peu mythologisée du football appelée football populaire. Évidemment, la critique faite au football actuel via cette vision n’est pas dépourvue de ce côté gauchisant qui voit le mal dans le capitalisme appliqué au foot, et fantasme des clubs dépourvus de leur dimension économique et plus « authentiques », avec des joueurs absolument fidèles, interdits de changer de club, et des supporters venant voir leur match en masse, casquette sur la tête, après la sortie de l’usine. J’exagère, mais à peine.
Toutefois, malgré leur inaptitude à adopter une attitude réaliste vis-à-vis du sport qu’ils aiment, et leur incapacité à considérer le reste des tribunes et d’autres façons de soutenir leur équipe, les Ultras n’ont pas tort sur tout, loin de là. Vous avez sans doute déjà pu voir, en regardant un match de Ligue 1 à la télévision, lorsque la caméra passe sur ces groupes de supporters, des messages « Liberté pour les Ultras ».
Il se trouve en effet que les tribunes font de plus en plus l’objet d’un étrange étouffement sécuritaire. Je ne pourrais vous citer toutes les lois, les plans et amendements qui sont passés sur les dernières années afin de combattre la violence au sein des stades, mais ils sont nombreux et d’une surprenante démesure, démesure à laquelle les clubs s’adonnent eux aussi avec plaisir.
La tendance va vers une immédiateté des sanctions, un plus grand arbitraire, et un contrôle de plus en plus fort du public des stades. Les Interdictions administratives de stade, par exemple, créées en 2006, sont prises contre des individus par le préfet, donc en dehors de toute institution juridique, sur la considération d’une menace envers l’ordre public. Et de préférence avec un goût pour le flou artistique.
Pareillement, on a pu voir des personnes interdites de déplacement sur la seule base de leur origine : ainsi il fut pendant un temps impossible pour les supporters parisiens, qu’ils appartiennent ou non à des groupes ultras, de se rendre dans les parcages (zone réservée aux supporters adverses) des stades des clubs contre lesquels jouait le PSG. Il faut voir, par exemple, cette vidéo humoristique d’Action Discrète essayant de se rendre à Quevilly-PSG en 2010 et lire cet article du Parisien sur cette rencontre. La République, qui se targue de combattre toutes les discriminations, n’a aucune pitié pour le monde des tribunes au nom de son combat hypocrite contre des violences qui furent certes impressionnantes, mais très localisées et peu nombreuses.
D’autres procédures pourraient être décrites, mais je ne souhaite pas traîner en longueur.
Il ne faut pas croire que ceci ne frappe que les grands clubs. Vous pourrez trouver des interdits de stade dans la plupart des groupes ultras de France, pour des motifs dérisoires, et avec une sévérité démesurée. Et les Ultras ne sont pas les seuls concernés, c’est bien là le problème : tous les supporters sont touchés par ce mouvement extensif de contrôle des tribunes.
Je vais prendre un exemple personnel et récent : le vendredi 30 août, l’ESTAC se rend à Lens pour un match déjà important de la Ligue 2. Affilié à aucun groupe de supporter, je fais le déplacement au stade Bollaert avec ma voiture. Un bus troyen est attendu, plus quelques supporters indépendants comme moi : bref, pas grand monde. De plus, les supporters troyens ne sont pas réputés pour être des vandales faisant les gros titres, ils ne sont donc pas difficiles à gérer. Aucun risque de débordement. On peut donc raisonnablement s’attendre à être accueilli correctement, comme des êtres humains venant assister au match de leur équipe préférée, un spectacle sportif en somme. Que nenni. Pour accéder au parcage, il faut d’abord passer par un corridor sécurisé dans une ambiance camp de concentration, après avoir reçu l’accueil chaleureux des CRS et une fouille des véhicules. Évidemment, l’entrée se fait au compte-goutte avec des stadiers qui n’ont ni amabilité, ni respect à vous montrer, et se font un plaisir de vous fouiller, parfois jusqu’au contenu de vos chaussures comme j’ai eu la chance d’y goûter dans un autre stade, tout en vous privant de votre appareil photo, dangereux projectile – mais pas votre téléphone portable, bizarrement. Pour de la Ligue 2, en réception de Troyes. Du délire.
À domicile, le délire sécuritaire n’est pas aussi grand : les clubs montrent plus de respect pour leurs supporters, ils n’ont pas envie de les perdre. Toutefois, là encore, on trouve des stadiers peu respectueux des supporters, des stadiers très nerveux qui hurlent sur ceux qui oseraient se lever… Les stadiers sont devenus, pour les clubs, les polices de leur stade. Ils filtrent toutes les banderoles, contrôlent tout le public, organisent et restreignent ses déplacements, l’observent, ne le lâchent pas des yeux, ne lui permettent pas la moindre marge de manœuvre.
Tout cela, pour les supporters, devient de plus en plus pesant. Entre groupes de supporters, ultras ou non, et présidents de club, les relations sont tendues et difficiles. On pourra trouver que j’exagère si j’affirme que le supporter ne semble plus être un être humain comme les autres une fois dans le stade. Le soupçon pèse toujours sur lui, il a perdu sa qualité d’honnête homme. Mais il faut le vivre pour s’en rendre compte. Or tout cela pour du football semble bien démesuré.
Les instances du football, enfermées dans leurs tours d’ivoire, leur loges luxueuses, ne semblent plus pouvoir supporter cette populace qui leur sert de public, et applaudissent des deux mains ces tendances. Une économie aussi peu respectueuse de sa clientèle, ayant autant de mépris à l’égard des attentes de ceux qui sont pourtant sa raison d’être, est une économie malade.
Le football, loin de devenir véritablement capitaliste comme le craignent les Ultras, devient de plus en plus une espèce d’administration sportive. Elle traite son public comme les autres administrations traitent leurs administrés : mal et avec une méfiance absolue et un grand besoin de contrôler. Ceci mériterait un article tout entier dévoué à ce sujet. Il faut dire que l’État n’est pas loin, entre financement des stades, subventions des clubs, politique sportive et polémiques politiques aussi régulières que bouffonnes. Certains supporters gauchisants, dans leur touchante naïveté à l’égard de l’État, veulent bien sûr y voir un allié potentiel, comme sur le blog Une Balle dans le pied, lié au Monde. Mais nous pouvons sentir que, loin d’avoir besoin de plus d’intervention, de régulations du sport, de « fair-play financier » et autre délires administratifs, voire gouvernementaux, le football aurait besoin d’une véritable libéralisation, plaçant au cœur de son économie le supporter, avec ses attentes propres. Qu’on nous laisse au moins respirer.