Face à la prolifération des études scientifiques qui trouvent toujours plus de résonance dans les différents médias, il peut s’avérer difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. Chaque jour, on trouve de nouvelles propriétés à la bière, au vin, au sexe, au rire, au café, à la clope, au thé ou encore à la méditation. Chaque jour, on s’amuse des différences entre les hommes et les femmes, entre droitiers et gauchers, qu’on oppose dans d’inoffensives joutes biologiques. Un article d'Alexandre Coste, de Marianne.
Ces études, dites «à la con» (à prononcer avec l’accent anglais ça sonne bien), sont excellemment définies sur le site adriensaumier.fr : «Ce sont les "études américaines", d'une université qu'on ne connait pas. Ces études permettent de faire un gros titre marrant pour un article qui va générer du clic.» Un brin cynique, mais on ne peut plus vrai. Cette catégorie d’articles résume à elle seule la dérive de la presse internet : tout est dans le titre, le plus difficile restant de broder un article autour qui permette de l’accompagner.
Les portails d’infos tels que Google ou Yahoo actualités réservent un emplacement quotidien à ces résultats de recherches qui divertissent les internautes. Le phénomène est devenu à ce point omniprésent sur internet que des Tumblr recensent ces études et leurs conclusions d’une connerie parfois confondante.
Prenons l’exemple, au hasard, du sperme, et regardons ce que les études de ces dernières années nous ont appris sur le sujet :
- Il favorise le bien-être mental des femmes
- Il agit comme un antidépresseur
- Son goût varie selon votre alimentation
- Il ralentit le vieillissement des cellules
- Plus vous regardez la télévision, moins vous en produisez
- Les hommes à la voix grave sont moins fertiles
- Les stress et l’anxiété ont un effet négatif sur la qualité du sperme
- Le sperme, avalé, permet de réduire de 40% les risques de cancer du sein
- C’est un brûle-graisse reconnu
Bref, sperme et bicarbonate de soude, même combat ! On apprendra bientôt que ça aide à blanchir les dents, à réduire les effets des douleurs chroniques, qu’on peut nettoyer sa salle de bain avec… A tous les septiques, ne vous inquiétez pas, chaque effet est scientifiquement prouvé !
La formule magique est lâchée. Pour le lecteur moyen, pas besoin d’aller chercher plus loin. Il tient là une information qui peut tenir en un tweet rigolo, qu’il va envoyer à ses «followers». Lesquels répondront un vraisemblable «lol», avant de partager l’article à leur tour. Le processus sera similaire sur Facebook, avec toutefois une intimité propice à des commentaires un peu plus étayés : généralement de petites blagues salaces accompagnées d’un clin d’œil (ou ;)) appuyé.
Dans le cas d’une étude bienveillante sur la bière où le vin, par exemple «boire du vin permet de vivre plus vieux», les commentaires renverront au souvenir d’une soirée partagée entre certains contacts, ou d’appuyer d’un «ça va alors, je vais vivre au moins 300 ans lol» le fait que l’internaute ayant posté l’article se tape régulièrement des murges. Ce qui est toujours bien vu, socialement parlant.
Le vieux singe néanmoins, le fameux à qui on n’apprend pas à faire la grimace, prendra quant à lui le temps de cliquer sur le lien qui apparaît parfois sur le mot «étude» dans la phrase commençant par «Selon une étude…» si le journaliste en charge du bâtonnage de dépêches à correctement effectué son travail. Ce lien renverra au site de l’université, présentant le protocole expérimental de ladite étude, ce qui permet de repositionner des vérités générales assénées de manière tonitruante dans leurs justes proportions.
Par exemple, une étude largement relayée sur internet au mois de février annonçait que «oui, les filles sont plus bavardes que les hommes.» Pour parvenir à cette conclusion, des corps d’enfants de 4 à 5 ans décédés dans un accident ont été analysés. On a ainsi observé que les filles possédaient un taux 30% plus élevé de protéines FOXP2, qui semble jouer un rôle important dans la transmission du langage. En fouillant un peu, il est possible d’obtenir le nombre de sujets utilisés pour cette étude : seulement 10 ! 5 de sexe masculin et 5 de sexe féminin. C’est un peu juste pour étendre ces résultats à l’ensemble de la planète… De plus, la dimension sociale est complétement éludée au profit d’une analyse strictement biologique.
Les sites d’informations participent donc au relai de contrevérités ou, au minimum, de conclusions extrapolées dans le seul but de maximiser leur audience. Ce qui est tout de même éloigné de leur fonction première. Mais on peut tout aussi bien considérer que les lecteurs sont friands de ce type d’articles et que l’offre correspond à la demande. En fait, il est possible d’imaginer que ces études remplacent aujourd’hui la fonction de l’horoscope hier. Autre temps, autres mœurs, les pipettes des blouses blanches ont pris la place des étoiles et leurs alignements. Mais c’est bien avec la même voracité que les lecteurs se jettent sur ces articles, et avec la même envie de croire qu’ils les abordent.
Alexandre Coste
Journaliste à Marianne chargé de l'animation de la communauté des Mariannautes